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Les raisons de la demande d’arrêt
de l’exposition « Celtique ? »

D’après un article de Ouest-France paru le 5 octobre 2022, 28 historiens et chercheurs ont publié un texte visant à défendre l’exposition « Celtique ? », sans que plus d’informations n’aient été livrées par le journal sur sa source. Le texte dans son entier inviterait probablement à effectuer un grand nombre de commentaires, mais les extraits livrés sont suffisamment éloquents pour permettre de réagir.

Dans l’article publié par Ouest-France1 figurent plusieurs considérations, qui, pour la plupart, relèvent du bon sens. Par exemple, l’histoire, et il aurait pu être ajouté qu’il en va de même pour toute science, est sans cesse remise en question par les nouveaux apports de la recherche, les identités peuvent être à la fois construites et héritées, « les logiques d’affiliations concurrencent les logiques de filiations », la Bretagne ne se limite pas à sa composante bretonnante.

Mais les propos rapportés contiennent aussi quelques accusations de mauvais aloi, plus ou moins franches, qui jalonnent le discours. Ainsi, il est question d’« une polémique trop souvent polluée par les passions identitaires », les personnes ayant émis des critiques sur l’exposition devraient « retrouver la raison », elles sembleraient méconnaitre les principes énoncés au paragraphe précédent, être dérangées par des considérations historiques qui les auraient ébranlées dans leurs certitudes et qui auraient provoqué, chez-elles, « un certain inconfort », elles apparaissent mues par « un simple slogan », si bien qu’il faille leur rappeler que « l’histoire n’est pas un drapeau », et elles semblent, enfin, avoir oublié la complexité et la diversité de la Bretagne et vouloir priver les Bretons de « riches et stimulantes interrogations ».

Aussi, toute personne dénonçant l’exposition serait, de facto, coupable de toutes sortes de maux, enfermée dans un système et dominée par son affect. Ces personnes sont même implicitement présentées comme hermétiques au dialogue, puisque les historiens et chercheurs leur opposent que « le principe de discussion doit s’imposer ». Pourtant, les voix qui se sont élevées contre l’exposition ne sont pas des moindres, puisqu’elle a été critiquée par plusieurs professeurs d’université, tels Ronan Le Coadic2 et Herve Le Bihan3, par un historien, Kristian Hamon4, par un chercheur, Erwan Chartier5, ainsi que, sur un mode humoristique, par le professeur d’université Marc Kerrain6.

Sans m’étendre davantage sur les détails du message que font passer les auteurs du texte, deux grandes idées se dégagent de ce dernier :

  1. Les textes de l’exposition ne pourraient être remise en cause au motif que la recherche historique est toujours susceptible d’amener à réviser les connaissances antérieures.
  2. Toute personne critiquant le fait qu’une identité soit stigmatisée est suspecte, car elle est aussitôt assimilée à un militant aveuglé par le nationalisme qui lui est attribué.

S’agissant du principe de discussion, je précise que j’ai moi-même commencé par essayer d’échanger avec une personne du conseil scientifique dans un premier temps, et avec le musée par la suite. Le même scénario s’est alors répété : une première réponse me présentait un certain point de vue, éventuellement de façon très succincte, puis, après un envoi de ma part apportant des contradictions, il n’y a alors plus eu aucun retour. D’autre part, Cécile Chanas, la directrice du musée, comme Manon Six, la commissaire de l’exposition, ont clairement manifesté leur volonté de ne pas modifier le message de l’exposition7. Et le débat via une table-ronde qui avait été annoncé par le Musée de Bretagne , sans qu’aucune date n’ait toutefois été donnée, n’a jamais eu lieu. Aussi, concernant le principe de discussion, il semblerait qu’il y ait une erreur d’adressage.

Et, paradoxalement, le dénigrement effectué par les historiens et chercheurs des personnes ayant dénoncé l’exposition n’apparait pas vraiment comme un appel au dialogue, et cadre, en réalité, bien mal avec le principe de discussion invoqué. En outre, aucun des signataires du texte dont il est question ici n’a entrepris de me contacter pour entamer un quelconque échange préalablement à l’article de Ouest-France.

Pour ce qui est des autres jugements formulés, je ne m’y reconnais d’autant moins que je n’appartiens à aucun mouvement politique, ni à aucune association militante. Il me semble donc inutile de m’attarder dessus.

Néanmoins, je constate qu’une phrase semble m’être destinée, sans prétendre en être nécessairement le seul destinataire. Il a, en effet, été énoncé qu’« aucun censeur ne devrait se croire en droit d’exiger le retrait ou la correction d’une exposition qui lui déplaît ». Si j’ai, à ma connaissance, été le seul, pour l’heure, à tenter une telle action, ce n’est ni pour m’ériger en censeur, ni au motif d’un déplaisir que m’aurait procuré l’exposition. J’ajoute que j’ignore si les signataires du texte auraient eu connaissance d’autres éventuelles initiatives en ce sens, tout comme s’ils ont eu vent ou non de l’existence de mes écrits, qui leur auraient aisément permis de déterminer mes raisons, curiosité qui aurait, somme toute, été assez logique de la part d’historiens, ou s’ils en ont délibérément occulté le contenu, ce qui ne serait pas particulièrement à leur avantage.

Cependant, ces 28 historiens et chercheurs travaillant avec le Musée de Bretagne, il serait fort étonnant qu’aucun d’entre eux n’ait suivi attentivement la polémique. Et comme les propos retranscrits par Ouest-France ne répondent à aucune des critiques qui ont été avancées8, ni à aucune des questions de fond soulevées9, ils tendent ainsi à confirmer le bien fondé des unes comme des autres, car s’il y avait eu des contradictions, elles n’auraient pas manqué d’être formulées. Mais, pour qui voudrait connaitre les motifs pour lesquels j’ai dénoncé l’exposition « Celtique ? », et au cas où ils ne seraient pas apparus assez clairement, les voici :

  1. Non seulement l’exposition et les documents qui y sont liés ne reflètent aucunement l’état actuel de la connaissance, mais ils sont même en contradiction avec ce dernier. Or, ce qui importe, en matière de présentation historique et scientifique, c’est, avant tout, de se baser sur l’état actuel du savoir, et non de le rendre inopérant au nom d’hypothétiques connaissances ultérieures qui pourraient amener à reconsidérer le regard porté sur lui.
  2. L’exposition est philosophiquement très contestable : la stigmatisation d’une identité vivante va à l’encontre de la préservation de la diversité culturelle. Et cela est d’autant plus vrai s’agissant de minorités, qui sont déjà, qui plus est, en proie à un système qui leur est défavorable.
  3. La décrédibilisation d’une identité comporte des effets sociaux et sanitaires indésirables et connus : dissentions au sein de communautés, perturbations psychologiques, syndromes, affectation plus ou moins grave de la santé mentale ou physique10.
  4. Le propos de l’exposition s’oppose à des principes définis par le droit international : le droit à la protection est internationalement reconnu aussi bien pour les minorités11 que pour les personnes appartenant à ces minorités12, et le fait qu’un établissement public propage une vision négative d’une identité vivante est contraire aux principes qui découlent de ces droits, tout comme l’est toute entreprise visant à l’assimilation13.

Quant à savoir pourquoi j’ai demandé l’arrêt de cette exposition, c’est parce qu’au-delà de ces considérations précédentes, il existe une raison qui, ajoutée à ces dernières, s’est trouvée être déterminante : cette exposition est contraire au droit français qui définit les missions permanentes des musées de France. En effet, l’une de ces missions consiste à « contribuer aux progrès de la connaissance et de la recherche ainsi qu’à leur diffusion » (article L441-2 du Code du patrimoine). Toute exposition par le biais de laquelle seraient diffusées des informations non-conformes à l’état actuel de la connaissance contreviendrait donc à la loi, et, en l’occurrence, il semble bien que ce soit grandement le cas14.

Enfin, pour ce qui est du souhait émis selon lequel le catalogue de l’exposition « Celtique ? » permette de retrouver la sérénité, cela est peu probable. Un catalogue ne saurait servir d’alibi à une exposition qui tend à dévoyer la science, dont l’idéologie assimilatrice transparait nettement, et qui pose de sérieux problèmes de légalité. Et le fait qu’une demande de respect d’une portion de loi qui tient du bon sens soit assimilée à l’action d’un censeur par 28 historiens et chercheurs, défendant ainsi qu’un musée puisse asséner impunément des contre-vérités, a de quoi interroger sur une certaine dérive actuelle au sein du monde scientifique. Aussi, il serait grand temps d’en revenir à la raison, et d’aller dans le sens du respect de l’histoire, de la science et du droit.

Notes :

  1. « Rennes. La polémique autour de l’exposition Celtique ? fait réagir des historiens de Rennes 2 », Ouest-France, 5 octobre 2022 à 14 h 55.
  2. Deux articles :
  3. « Un nouveau chercheur retire sa caution à l’exposition Celtiques ? du musée de Bretagne », Penn-Bazh, 30 août 2022.
  4. « Celtique ? À propos de Yannick Lecerf, Bretons et Celtes, 2017 », par Kristian Hamon, Kristian Hamon : le blog, 3 septembre 2022, 9 h 37.
  5. « « Celtique ? » : le Musée de Bretagne empêtré dans son expo polémique », Le Télégramme, 17 août 2022, 22 h 36, modifié à 22 h 38.
  6. « Message sur la Grammatica Latino-Celtica de 1800 », par Mark Kerrain, Facebook, 22 septembre 2022, 10 h 27.
  7. « Le Musée de Bretagne défend son exposition « Celtique ? » », par Yann-Vadezour ar Rouz, Justice pour nos langues !, 3 septembre 2022, modifié le 4 septembre 2022.
  8. « Le scandale de l’exposition « Celtique ? » du Musée de Bretagne », par Yann-Vadezour ar Rouz, Justice pour nos langues !, 6 septembre 2022, modifié le 6 octobre 2022.
  9. « Questions autour de l’exposition « Celtique ? » et du Musée de Bretagne », par Yann-Vadezour ar Rouz, Justice pour nos langues !, 23 septembre 2022, modifié le 25 septembre 2022.
  10. « Les effets psychologiques, physiologiques et sociaux de la prédation linguistique », par Yann-Vadezour ar Rouz, Justice pour nos langues !, 25 juin 2022, modifié le 6 octobre 2022.
  11. « Le droit des minorités linguistiques à la protection », par Yann-Vadezour ar Rouz, Justice pour nos langues !, 16 juin 2022, modifié le 12 juillet 2022.
  12. « Les droits des personnes appartenant à des minorités linguistiques », par Yann-Vadezour ar Rouz, Justice pour nos langues !, 3 juillet 2022, modifié le 12 juillet 2022.
  13. « Le droit de ne pas subir d’assimilation forcée » (Yann-Vadezour ar Rouz, Justice pour nos langues !, 2 juin 2022, modifié le 16 juin 2022).
  14. « Lettre ouverte à Tristan Lahais », par Yann-Vadezour ar Rouz, Justice pour nos langues !, 29 septembre 2022.