Justice pour nos langues !

Le Musée de Bretagne défend son exposition « Celtique ? »

L’actualité bretonne reste marquée par la polémique, toujours en cours, autour de l’exposition « Celtique ? » du Musée de Bretagne. La révision des textes de certains panneaux sont, en effet, loin d’avoir mis fin à la controverse. Mais les diverses réactions publiées jusqu’à présent et les changements prévus au sein de son exposition ne semblent pas aller de pair avec une évolution de la position du musée…

Afin d’essayer de comprendre comment une exposition dont le contenu est aussi tendancieux que celui de l’exposition « Celtique ? » peut être maintenu dans un lieu culturel, j’ai contacté le musée le 31 juillet 2022. En me basant sur deux des premiers articles sur cette exposition, celui de Ronan Le Coadic1 et le mien2, je posais la question suivante : « En tenant compte de ces analyses, je vous [serais] gré de bien vouloir me fournir les éclaircissements utiles permettant de comprendre comment une exposition dont le caractère idéologique et politique est patent puisse se tenir dans votre musée. »

Assez rapidement, une première réponse de Hélène Audrain, la responsable du pôle Action culturelle du Musée de Bretagne, est arrivée, le 2 août 2022, me signifiant que la direction du musée prendrait contact avec moi début septembre, ce qui est parfaitement entendable en période de vacances. Le 28 août 2022, soit même un peu avant la période annoncée, une réponse plus fournie, m’a ensuite été communiquée, qui, bien que non signée, mais l’oubli reste parfaitement excusable, semble provenir de Cécile Chanas, la directrice du musée. Plutôt que de me contenter de livrer immédiatement ma réaction, qui donnerait une vision incomplète de la position du musée, il me semble préférable de commencer par reproduire l’ensemble des explications fournies par ce dernier.

Je respecte votre point de vue et vos divergences, qui comme vous le soulignez, rejoignent un certain nombre d’avis déjà exprimés publiquement.

En revanche, je souhaitais – étant donné que vous m’écrivez personnellement – vous dire que c’est bien mal connaitre l’histoire du musée de Bretagne que de lui prêter des intentions de manipulations idéologiques, qui viseraient à nier et déprécier l’identité bretonne, les identités bretonnes, qui comme vous le soulignez sont mouvantes, multiples, vécues à titre individuelles et collectives.

Alors, oui, nous avons choisi de traiter d’un sujet d’exposition, qui est sensible, mais c’est bien notre rôle de musée de société que de le faire ; oui, nous avons peut-être [insuffisamment] anticipé sa réception. Mais nous maintenons la ligne, le questionnement qui [est] le nôtre, avec des réponses nuancées, sans jugement de valeur, en portant aussi le débat sur celui des idées, de l’action culturelle. Nous assumons le sujet [tel] que nous l’avons posé, appuyé par un conseil scientifique pluridisciplinaire.

Pour résumer,

Si la celtitude semble bien vivante chez certains Bretons, si l’interceltisme est l’une des facettes reconnues de l’identité bretonne, si de nombreuses références contemporaines culturelles et de consommation sont régulièrement mises en valeur sur le territoire comme gages de qualité ou d’authenticité, d’où cela vient-il et qu’est-ce que cela raconte-t-il de la Bretagne ? Cela résulte-t-il (ou crée-t-il) un réel sentiment d’appartenance ?

La question nous a semblé légitime, dans un contexte de réflexion sur l’évolution de notre parcours permanent datant de 2006 et sur la manière de présenter l’identité d’un territoire. Nous souhaitions tester des approches muséographiques par le biais de l’exposition temporaire.

L’intention générale de cette exposition était de permettre un regard scientifique sur cette question de l’identité celtique de la Bretagne et d’émettre des hypothèses à partir de l’interprétation de faits (faits culturels contemporains, faits historiques…). En cela, l’exposition pose une question, matérialisée par son titre et son point d’interrogation : pourquoi et en quoi la Bretagne est-elle si “celtique” aujourd’hui, au regard de nos représentations contemporaines ? Pourquoi est-elle visiblement le territoire en France qui semble avoir le plus cristallisé cet héritage ?

Par ailleurs, nous avons déjà fait des expositions par le passé qui interrogeait l’identité française, exemple, “l’histoire de France racontée par la publicité”, où nous développions notamment le concept de roman national. La question de la langue nous semble largement développée dans l’exposition, et la médiation, avec notamment des visites en breton y est très présente.

L’exposition fera enfin l’objet d’une évaluation de sa réception par les publics.

Dans cette réponse, le musée parait omettre que les textes de certains panneaux ont été révisés. Il affirme avoir apporté « des réponses nuancées, sans jugement de valeur », et il maintient sa position : « Nous assumons le sujet [tel] que nous l’avons posé, appuyé par un conseil scientifique pluridisciplinaire. » Cependant, le fait que le musée ait été amené à revoir le contenu de l’exposition constitue déjà une reconnaissance implicite que les critiques formulées au sujet de cette exposition étaient fondées.

Mais ces propos montrent également que la position des responsables du Musée de Bretagne n’a, en réalité, pas variée, malgré la réécriture partielle des explications présentées au sein de son exposition. Cela explique que les changements opérés s’avèrent nettement insatisfaisants, comme le montrent mon précédent article sur le sujet3, auquel la récente réaction de Herve Le Bihan apporte des éléments supplémentaires4. Au demeurant, ils risquent d’être d’un effet très limité si le personnel du musée ne modifie pas son discours. D’autres éléments tendent d’ailleurs à montrer que le changement n’est que de façade : le dossier de presse5 s’en tient toujours au textes des panneaux présentés initialement et correspond à la première version du site Internet de l’exposition, et le dossier pédagogique6 n’a pas non plus été modifié. Ces documents restent, de ce fait, toujours aussi orientés et partiaux qu’au départ3.

Concernant le conseil scientifique, il apparait, en réalité, comme une bien maigre caution, et pour plusieurs raisons. Premièrement les déclarations de certains membres du conseil scientifique de l’exposition semblent montrer que l’exposition n’a pas eu leur aval7. Deuxièment, certains membres de ce conseil ont manifesté, en privé8, une réaction positive au premier article de Ronan Le Coadic1, qui mettait clairement en cause le contenu de l’exposition. Troisièment, au moment où le musée a envoyé son message, un membre du conseil scientifique, Erwan Chartier, s’était déjà désolidarisé de cette exposition en assumant publiquement sa position9 ; depuis, Herve Le Bihan en a fait de même10, en publiant, de plus, un article critique particulièrement fourni4 ; et il est probable que d’autres membres en désaccord avec le contenu de l’exposition n’aient pas encore eu le temps de manifester publiquement leur désapprobation. Quatrièmement, à ma connaissance, aucun des membres du conseil scientifique ne s’est prononcé publiquement pour défendre le contenu de cette exposition depuis le début de la polémique, et aucun échange privé en ce sens n’a été relevé non plus. Le conseil scientifique ne semble donc pas véritablement soutenir l’exposition.

Par ailleurs, certains scientifiques ne faisant pas partie ce conseil scientifique ont pris la peine de s’exprimer en privé ; et ils se sont alors montrés très critiques par rapport à l’exposition. Ronan Le Coadic a indiqué, à ce sujet, que son premier article lui avait valu « un nombre élevé de réactions – toutes positives – » et que « beaucoup […] provenaient de la communauté scientifique : ethnologues, archéologues et, même, membres du comité [scientifique] de l’exposition ou du Musée de Bretagne » et que parmi ces scientifiques figurait « Barry Cunliffe, en particulier, archéologue de réputation mondiale »4.

Aussi, pour ce qui est de l’intérêt purement scientifique de l’exposition, avancé par le musée, il peut légitimement être mis en doute. Le musée énonce : « L’intention générale de cette exposition était de permettre un regard scientifique sur cette question de l’identité celtique de la Bretagne et d’émettre des hypothèses à partir de l’interprétation de faits (faits culturels contemporains, faits historiques…). » Sans reprendre les nombreux arguments développés jusqu’à présent, qui permettraient d’en tirer les mêmes conclusions, il semble, au contraire, que la simple question suivante, posée dans le dossier pédagogique des 1er et 2nd degrés, montre clairement une volonté de faire porter aux jeunes générations un regard négatif sur cette identité, et est ainsi révélatrice des intentions assimilatrices poursuivies : « Alors face à cette récupération mercantile de l’héritage celte, lui-même issu d’un processus de construction identitaire, est-il encore possible aujourd’hui de se reconnaitre dans une identité celtique ? » ; et cette identité est finalement réduite à entrer dans la catégorie des « phénomènes réactionnels »11. Au passage, le soutien du ministère de l’Éducation nationale dans cette mission est tristement banal.

Quant au concept de « roman national » qui apparait dans l’exposition « L’histoire de France racontée par la publicité »12, il n’a pas réellement été développé par le Musée de Bretagne, car, d’une part, ce concept est bien plus ancien, et, d’autre part, la paternité de l’exposition en question ne saurait lui être attribuée, puisqu’elle a été réalisée pour la ville de Paris ; elle a initalement été présentée à la Bibliothèque Fornay à Paris, avant d’être présentée à Rennes, puis à Alésia, et de poursuivre sa route dans divers pays du monde13. Cet argument tend donc à confirmer une regrettable tendance du Musée de Bretagne à déformer quelque peu la réalité.

Mais, pour en revenir plus précisément à l’exposition, l’important réside surtout dans le fait qu’interroger l’histoire officielle à l’école primaire sur une période allant de la Troisième République à la fin des années 1960 et décrédibiliser une identité vivante et actuelle sont deux choses bien distinctes, et qui n’ont absolument pas la même portée. En effet, dans le second cas, la représentation négative d’une identité collective au sein de la communauté concernée est indissociable des phénomènes d’aliénation culturelle et linguistique, et, par conséquent, responsable de la disparition progressive des langues autochtones14.

Au vu de ce qui précède, il est clair que la table ronde qui est envisagée pour enrayer la polémique15 ne permettra pas de redresser la barre, puisque, comme il a été signalé, les nouveaux textes sont déjà prêts, et que, quoi qu’il advienne, le propos restera inchangé, même s’il est biaisé. Sur ce dernier point, la déclaration de Manon Six, commissaire de l’exposition, va dans le même sens que ce qui a déjà été rapporté : « On ne change pas le message, on modifie la formulation »15. Mais s’il s’agit simplement de changer les mots pour tenir un discours équivalent et reposant sur les mêmes présupposés3, la table ronde ne sera pas d’une grande utilité. Et il pourrait être ajouté que, lorsque les affirmations erronées ou tendancieuses sont aussi nombreuses et vont toutes dans le même sens, il ne s’agit pas de formulations « maladroites »15, selon le terme employé par Corinne Poulain, directrice des Champs Libres, mais bien du reflet de la pensée de leurs auteurs.

À l’inverse, et contrairement à ce que laisse entendre Cécile Chanas, ce sont bien des regards scientifiques, et non « un regard militant »15, qui sont à l’origine des critiques qui ont été formulées, Ronan Le Coadic et Herve Le Bihan étant tous deux professeurs d’Université. Et la qualité d’expert du dernier cité a été reconnu par le musée lui-même, puisqu’il avait fait appel à lui pour faire partie de son comité scientifique4. En l’occurrence, il semblerait donc que le militantisme soit plutôt du côté assimilationniste.

Au final, il semble bien que les analyses argumentées de l’exposition « Celtiques ? » demeurent plus pertinentes que la présentation que peut en faire le Musée de Bretagne ou que les justifications qu’il peut apporter. Aussi, compte tenu du contenu de cette exposition, il est difficilement admissible que des institutions publiques, comme, entre autres, la métropole Rennes Métropole, participent à son financement. Et, dans la mesure où le Musée de Bretagne apparait incapable de réviser son point de vue, et donc de traiter objectivement, ou même avec bienveillance, de tels sujets, le mieux serait sans doute, par respect tant pour le publique que pour sa propre réputation, que ce dernier mette fin à ses expositions sur l’identité celtique ou bretonne.

Notes :

  1. « Une manipulation idéologique au musée de Bretagne à Rennes », par Ronan Le Coadic, Blogs.mediapart.fr, 29 juin 2022.
  2. « La stigmatisation de l’identité bretonne via l’exposition « Celtique ? » », par Yann-Vadezour ar Rouz, Justice pour nos langues !, 21 juillet 2022, modifié le 1er août 2022.
  3. « Une version édulcorée de l’exposition « Celtique ? » », par Yann-Vadezour ar Rouz, Justice pour nos langues !, 17 août 2022.
  4. « Le professeur Hervé Le Bihan se désolidarise aussi de l’exposition anti-celtique de Rennes », par Herve Le Bihan, Agence Bretagne Presse, 29 août 2022, 20 h 06, mis à jour le 31 août 2022 à 11 h 06.
  5. Celtique – Exposition, Rennes, 18.03 - 4.12.2022 – Dossier de presse.
  6. Celtique – Dossier pédagogique, 1er et 2nd degré, par Céline Morvan, Musée de Bretagne – Les champs Libres.
  7. « Le musée de Bretagne contraint de revoir le contenu de l’exposition « Celtique ? » », par Yann-Vadezour ar Rouz, Justice pour nos langues !, 4 août 2022, modifié le 6 août 2022.
  8. « Exposition « Celtique ? » : de la partialité à la post-vérité ? », par Ronan Le Coadic, Le Club de Mediapart, 10 août 2022.
  9. « « Celtique ? » : le Musée de Bretagne empêtré dans son expo polémique », Le Télégramme, 17 août 2022, 22 h 36, modifié à 22 h 38.
  10. « Polémique au Musée de Bretagne. Un nouvel expert retire « sa caution » », Ouest-France, 29 août 2022, 19 h 43.
  11. Celtique – Dossier pédagogique, 1er et 2nd degré (cf. note 6). P. 18.
  12. Amalvi, Christian : 2013. « . L’Histoire de France racontée par la publicité : les affiches du roman national, au XXe siècle, exposées à la bibliothèque Forney du 30 janvier au 28 ». Sociétés & Représentations, vol. 36, no 2, 2013, p. 219-235.
  13. « Histoire de France et publicité », Bibliocité.
  14. « Les effets psychologiques, physiologiques et sociaux de la prédation linguistique », par Yann-Vadezour ar Rouz, Justice pour nos langues !, 25 juin 2022, modifié le 28 août 2022.
  15. « Controverse autour de l’exposition « Celtique ? » à Rennes : le Musée de Bretagne propose un débat », par Agnès Le Morvan, Ouest-France, 2 septembre 2022, 18 h 24.