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Le droit de ne pas subir d’assimilation forcée

L’assimilation est, en France, préférée à l’intégration jusque dans les plus hautes sphères de l’État, et est prônée officiellement. Pourtant, l’assimilation forcée est contraire au normes du droit international, définies notamment par l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) et par les Nations unies. Cela n’empêche pourtant pas le principe d’assimilation d’être appliqué en France, y compris dans le domaine juridique, puisqu’il oriente la jurisprudence constitutionnelle.

Remarques préliminaires

La protection des minorités nationales et l’assimilation forcée constituent deux principes incompatibles. Les effets que ces derniers cherchent à produire sont, en effet, inverses. La protection des minorités vise à la perpétuation des caractéristiques par lesquelles ces minorités se définissent et se reconnaissent. L’assimilation, quant à elle, est l’action par lequelle les personnes appartenant à des minorités, ou les minorités elles-mêmes, abandonnent leurs caractéristiques propres pour adopter celles la majorité. Et parmi les principales caractéristiques concernées figurent fréquemment la langue et la culture.

Les dispositions de droit relevés dans le présent article concernent spécifiquement l’assimilation, et non la protection des minorités nationales d’une manière plus générale. Les seules dispositions à caractère plus général mentionnées sont celles pour lesquelles il existe un commentaire interprétatif faisant explicitement mention de l’assimilation.

Rejet de l’assimilation forcée par l’OSCE

L’assimilation forcée est contraire aux principes de l’OSCE, comme le montrent divers accords conclus au sein de ce même organisme alors qu’il était nommé Conférence pour la sécurité et la coopération en Europe (CSCE), nom qu’il conserva jusqu’en 1995, date à laquelle il prit son nom actuel. Ainsi, le document de Copenhague1 du 29 juin 1990 rejette l’assimilation contre leur volonté des personnes appartenant aux minorités nationales, ce que reprend, par la suite, le rapport de la réunion d’experts sur les minorités nationales de la CSCE2 du 19 juillet 1991.

Document de Copenhague1 (1990)

32. […] Les personnes appartenant à des minorités nationales ont le droit d’exprimer, de préserver et de développer en toute liberté leur identité ethnique, culturelle, linguistique ou religieuse et de maintenir et de développer leur culture sous toutes ses formes, à l’abri de toutes tentatives d’assimilation contre leur volonté. […] (P. 20.)

Rapport de Genève2 (1991)

[Les États participants] réaffirment que les personnes appartenant à des minorités nationales ont le droit d’exprimer, de préserver et de développer en toute liberté leur identité ethnique, culturelle, linguistique ou religieuse et de maintenir et de développer leur culture sous toutes ses formes, à l’abri de toutes tentatives d’assimilation contre leur volonté. (Partie III, 4e paragraphe)

Rejet de l’assimilation forcée par les Nations unies

Les Nations unies considèrent que l’assimilation forcée est contraire au droit. Cela apparait dans la Déclaration des droits des personnes appartenant à des minorités nationales ou ethniques, religieuses et linguistiques3, adoptée le 18 décembre 1992, que vient préciser un commentaire dont le texte final4 date du 2 avril 2001, et dans la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones5, adoptée le 13 septembre 2007.

Déclaration des droits des personnes appartenant à des minorités nationales ou ethniques, religieuses et linguistiques3 (1992).

Article premier
1. Les États protègent l’existence et l’identité nationale ou ethnique, culturelle, religieuse ou linguistique des minorités, sur leurs territoires respectifs, et favorisent l’instauration des conditions propres à promouvoir cette identité.
2. Les États adoptent les mesures législatives ou autres qui sont nécessaires pour parvenir à ces fins.

Texte final du Commentaire sur la Déclaration sur les droits des personnes appartenant à des minorités nationales ou ethniques, religieuses et linguistiques4 (2001)

20. […] Dans certains cas, des mesures positives d’intégration (mais pas d’assimilation) assureront au mieux la protection des minorités.

21. La relation entre l’État et ses minorités a, dans le passé, revêtu cinq formes différentes: élimination, assimilation, tolérance, protection et promotion. En vertu des normes actuelles du droit international, l’élimination est manifestement illégale. La Déclaration repose sur le principe que l’assimilation forcée est également inacceptable. Si un certain degré d’intégration est requis dans toute société nationale pour que l’État ait la possibilité de respecter sans discrimination les droits de chaque personne sur son territoire et d’en assurer la jouissance, la protection des minorités, toutefois, vise à ce que l’intégration ne se transforme pas en assimilation non désirée et ne détruise pas l’identité de groupe des personnes appartenant à différentes communautés vivant sur le territoire de l’État.

22. L’intégration diffère fondamentalement de l’assimilation. Elle consiste à développer et à maintenir un domaine commun avec égalité de traitement et une règle de droit commune tout en autorisant le pluralisme dans les domaines visés par la Déclaration: culture, langue, religion.

23. La protection des minorités repose donc sur quatre conditions: protection de leur existence, non-exclusion, non-discrimination et non-assimilation.

27. La quatrième condition est la non-assimilation avec pour corollaire l’instauration d’un climat propice à la promotion de l’identité des minorités en tant que groupe. […]

28. L’identité des groupes minoritaires, qui est essentiellement d’ordre culturel, exige de l’État et de la société dans son ensemble, au-delà de la simple tolérance, une attitude favorable au pluralisme culturel. Cela suppose non seulement l’acceptation mais aussi le respect des caractères spécifiques des minorités et de leur contribution à la vie de l’ensemble de la société. Protéger l’identité signifie que l’État, non seulement doit s’abstenir de prendre des mesures ayant pour but, ou effet, d’assimiler les minorités à la culture dominante, mais doit également protéger ces minorités contre les activités de tiers qui ont un effet assimilateur. […]

Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones5 (2007)

Article 8
1. Les autochtones, peuples et individus, ont le droit de ne pas subir d’assimilation forcée ou de destruction de leur culture.
2. Les États mettent en place des mécanismes de prévention et de réparation efficaces visant :
a) Tout acte ayant pour but ou pour effet de priver les autochtones de leur intégrité en tant que peuples distincts, ou de leurs valeurs culturelles ou leur identité ethnique ;
[…]
d) Toute forme d’assimilation ou d’intégration forcée […].

Rejet de l’assimilation dans divers traités internationaux

D’autres instruments internationaux reconnaissent le droit de ne pas subir d’assimilation forcée, comme la Convention relative aux peuples indigènes et tribaux6 du 27 juin 1989, notamment aux articles 2 et 5, ou la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales7 du 1er février 1995, en particulier l’article 5. Mais, la France n’ayant pas ratifié ces traités à ce jour, le détail des paragraphes correspondants dépasse le cadre du présent article.

L’assimilation posée implicitement comme principe à valeur constitutionnelle

Le principe de l’assimilation linguistique ne figure nulle part dans le bloc constitutionnel, mais il apparait en filigrane aux considérants 5, 6 et 10 de la décision du Conseil constitutionnel no 99-412 DC du 15 juin 19998. Comme ce dernier n’a jamais énoncé ce principe, pour le faire ressortir clairement, il convient d’expliciter le raisonnement suivi par le Conseil constitutionnel.

Après avoir indiqué, au considérant 5, que « le principe d’unicité du peuple français, dont aucune section ne peut s’attribuer l’exercice de la souveraineté nationale, a […] valeur constitutionnelle », le Conseil constitutionnel a statué, au considérant 6, que « [ce principe fondamental s’oppose] à ce que soient reconnus des droits collectifs à quelque groupe que ce soit, défini par une communauté d’origine, de culture, de langue ou de croyance ». Et cela lui permet de conclure, au considérant 10, que « la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, en ce qu’elle confère des droits spécifiques à des « groupes » de locuteurs de langues régionales ou minoritaires, à l’intérieur de « territoires » dans lesquels ces langues sont pratiquées, porte atteinte [au principe constitutionnel] d’unicité du peuple français ».

Ainsi, d’après ces considérants, la reconnaissance de droits à des groupes définis par une communauté de langue ou de culture porterait atteinte au principe d’unicité du peuple français. Pourtant, rien dans la Constitution, ni ailleurs dans le droit, ne permet d’avancer qu’un groupe ainsi défini devient un peuple dès lors qu’il bénéficie de droits collectifs, ou que le peuple français cesse d’exister dès lors qu’un tel groupe en son sein bénéficie de droits collectifs. Le raisonnement est donc dénué de tout fondement juridique.

Par ailleurs, ni l’anthropologie, ni l’ethnologie, ni la sociologie ne permettent non plus de conclure qu’un peuple est nécessairement monolingue ou monoculturel. Chaque individu appartient à différents groupes, qu’ils soient familiaux, linguistiques ou culturels. Et non seulement les appartenances de chaque individu sont multiples, mais ces groupes et le peuple sont des réalités parfaitement dissociables. Le monolinguisme et le monoculturalisme comme condition d’existence du peuple français se heurteraient d’ailleurs toujours à la réalité sociale, malgré les nombreux efforts qui ont pu être déployés en ce sens.

Cependant, ni les droits collectifs, ni les langues autochtones ne sont présentés individuellement comme étant inconstitutionnels ; seule la combinaison des deux est considérée comme telle. À ce stade, deux hypothèses peuvent être formulées : soit le Conseil constitutionnel considère qu’un groupe reconnu officiellement comme ayant une communauté de langues ou de cultures est, de facto, un peuple, soit que le peuple français ne peut être officiellement que francophone monolingue et monoculturel de culture française.

En l’absence d’argument juridique, la réponse se trouve dans la tradition jacobine. La nécessité d’un peuple monolingue a, en effet, clairement été énoncée dès 1794, et une telle représentation politique, toujours prégnante actuellement, est brièvement résumée par Colette Grinevald et Michel Bert9.

En France, le contexte idéologique est très marqué par l’idéologie de l’État-Nation, qui sous-entend une relation « un état – une langue », et un idéal prônant le monolinguisme à travers l’assimilation linguistique.

Ainsi, le Conseil constitutionnel ne dit pas que le peuple ne peut avoir qu’une langue qu’une culture, mais que le peuple ne doit avoir qu’une langue et qu’une culture. Il ne fait ni l’hypothèse ni le constat du monolinguisme et du monoculturalisme du peuple français, il le fixe en objectif. Et il va jusqu’à instaurer l’assimilation linguistique et culturelle comme constitutive même de l’essence du peuple français. Car, dans la logique du Conseil constitutionnel, si le peuple renonce à cette assimilation en garantissant une socialisation des langues ou des cultures autres que la langue et la culture française par la reconnaissance de droits collectifs à des groupes définis par une communauté d’origine ou de culture, il se désagrège alors pour laisser place à ses diverses composantes.

Le Conseil constitutionnel a donc donné implicitement une valeur constitutionnelle au principe d’assimilation linguistique et culturelle. Et, non content de poser, non comme postulat, mais bien comme finalité, et sans la moindre base juridique, l’uniformité culturelle et linguistique du peuple français, il se permet, en outre, de le faire en rappelant que l’exercice de la souveraineté appartient à ce dernier.

Perspectives

En France, non seulement l’assimilation culturelle et linguistique est ouvertement présentée comme un modèle au niveau politique, et conditionne les pratiques de l’administration, mais, bien que dénué de tout fondement juridique, elle constitue aussi un principe sous-jacent aux jugements constitutionnels dès lors que ces derniers ont des implications sur les langues autochtones, comme le montrent les extraits de la décision du Conseil constitutionnel no 99-412 DC analysés plus haut. Les effets juridiques qui en découlent, comme toutes les pratiques visant à l’assimilation, et donc, à terme, à la disparition des minorités nationales, relèvent de l’ethnocide.

Les victimes de cet ethnocide ne sont pas seulement les minorités issues de l’immigration, mais également les minorités autochtones, dont certaines ne sont présentes que sur le territoire national. À la violence que l’assimilation forcée représente pour les minorités concernées, s’ajoute donc le risque d’éradication de langues et de cultures sur leur propre territoire, et sur l’intérgralité même de leur territoire pour certaines d’entre elles.

Pourtant, si aucun des deux comportements suivants n’est évidemment souhaitable, il est bien plus dommageable de porter atteinte à la pérennité de langues et de cultures que d’élever des murs entre elles, particulièrement lorsque ces murs constituent l’ultime protection possible contre l’assimilation dont les minorités nationales sont victimes. La première option supposerait le droit de cité des unes au détriment des autres, et que soit donc établie, au moins implicitement, une hiérarchie entre elles. Une troisième voie est hautement préférable : la confrontation à l’altérité devrait, en effet, être considérée comme source de curiosité, de découverte et d’enrichissement et présentée comme telle. Et la coexistence des langues et des cultures implique d’autant moins un quelconque cloisonnement que rien n’empêche aux individus d’être bilingues ou biculturels.

Ainsi, la diversité linguistique et culturelle gagnerait à être valorisée et mise à profit au sein de la société. Cela permettrait à la France, premièrement, de repecter ses citoyens dans leur leur identité, leur être et leur dignité, qui sont source à la fois de confiance en soi, d’équilibre et de créativité, deuxièmement, de respecter les idéaux de démocratie et de fraternité qu’elle défend en son sein, troisièmement, de mettre en application les valeurs de pluralité et de respect de la diversité qu’elle prône à l’étranger, quatrièmement, d’honorer les obligations qui ressortent de ses engagements internationaux, cinquièmement, de se démarquer de pratiques assez typique des dictatures et d’éviter de leur servir de modèle ou d’alibi, sixièmement, de mettre fin à une situation de nature oppressive, elle-même génératrice de tensions et de conflits, et, septièmement, de faire de la revitalisation et de la normalisation de ces langues et de ces cultures un moteur de l’économie et du développement durable. Toutes les raisons invoquées expliquent aisément que les instances internationales se positionnent évidemment contre l’assimilation forcée des minorités nationales.

Notes :

  1. Document de la Réunion de Copenhague de la Conférence sur la dimension humaine de la CSCE.
  2. Report of the CSCE meeting of experts on national minorities, Geneva 1991
  3. Déclaration des droits des personnes appartenant à des minorités nationales ou ethniques, religieuses et linguistiques.
  4. Texte final du Commentaire sur la Déclaration sur les droits des personnes appartenant à des minorités nationales ou ethniques, religieuses et linguistiques.
  5. Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones.
  6. C169 - Convention (n° 169) relative aux peuples indigènes et tribaux, 1989, par l’Organisation internationale du travail.
  7. Convention-cadre pour la protection des minorités nationales.
  8. Décision du Conseil constitutionnel no 99-412 DC du 15 juin 1999 – Charte européenne des langues régionales ou minoritaires.
  9. Grinevald, Colette ; Bert, Michel : 2012. « Langues en danger, idéologies, revitalisation ». Cahiers de l’Observatoire des pratiques linguistiques, no 3 – Langues de France, langues en danger : aménagement et rôle des linguistes. Page 29.