Questions autour de l’exposition « Celtique ? »
et du Musée de Bretagne
Les réactions à l’exposition « Celtique ? » du Musée de Bretagne, qui tend, tour à tour, à minimiser, à nier et à décrédibiliser l’héritage celtique des Bretons, se sont ajoutées les une aux autres ces derniers temps, tendant à montrer combien le propos de cette exposition ne consiste pas tant à faire passer un savoir qu’à porter atteinte à la diversité culturelle. De nombreuses questions restent cependant en suspens.
Sur les informations véhiculées par le Musée de Bretagne
Comment un musée peut-il confondre déconstruction d’un discours et entreprise de dépossession culturelle ?
La dépossession des Bretons de leur patrimoine culturel celtique entreprise par le Musée de Bretagne semble aller jusqu’au lexique lui-même, puisque même l’origine du mot « Celte » est attribuée aux Grecs. Le dossier pédagogique de l’exposition « Celtique ? »1 indique, à ce propos : « Ce sont tout de même les Grecs, les premiers à avoir écrit sur l’existence des Celtes vers la fin du VIe siècle avant J.-C. (dans la Périégèse d’Hécatée de Milet), qui nous ont transmis ce nom : « Keltoï » (Κελτοί), qui servit d’abord à désigner les habitants de la région entourant la cité de Massalia fondée par les Phocéens. » Et il précise ensuite : « Progressivement ce mot fut utilisé pour désigner les peuples habitant une zone allant de la source du Danube jusqu’à la péninsule armoricaine. »
Pourtant, l’entrée « Celte » du Trésor de la langue française, le dictionnaire du CNRS, note qu’il s’agit, en français, d’un emprunt au latin Celtae, et non au grec2. Et, comme le montre la citation présente à la même entrée, Jules César attribue ce terme aux Celtes eux-mêmes : « Toute la Gaule est divisée en trois parties, dont l’une est habitée par les Belges, l’autre par les Aquitains, et la troisième par ceux qui se nomment Celtes dans leur propre langue, et que nous nommons Gaulois dans la nôtre. » (« Gallia est omnis divisa in partes tres, quarum unam incolunt Belgae, aliam Aquitani, tertiam, qui ipsorum lingua Celtae, nostra Galli appellantur. »)3
D’après ce texte, le grec « Keltoï » (Κελτοί) devrait donc provenir d’un emprunt aux Celtes eux-mêmes. Il semble d’ailleurs difficile d’expliquer à partir de quels mots grecs ce terme aurait pu être formé dans le cas contraire, et quelle serait alors sa signification étymologique.
Enfin, l’origine celtique du terme est confirmée par Erwan Vallerie. Ce dernier indique que les Celtes se nommaient eux-mêmes Kelti ou Galati4. L’exonyme est, en réalité, « Gaulois », qui a une origine germanique.
Comment un musée peut-il nier toute spécificité territoriale en dépit des données archéologiques ?
Selon Manon Six, s’exprimant au sujet de la péninsule armoricaine à la période de l’Âge du Fer, « il n’est pas possible de véritablement distinguer une caractéristique du territoire. »5
Au contraire, l’historien Kristian Hamon, en s’appuyant sur les travaux de Yannick Lecerf6 et sur ceux de Marie-Yvonne Daire7, relève que des caractéristiques propres à l’Armorique ont bien été mis en évidence à cette période8. Leur importance est d’ailleurs suffisamment remarquable pour que Marie-Yvonne Daire use de l’adjectif « celtoarmoricain » pour désigner cette réalité.
Et, à la période suivante, Manon Six avance : « La péninsule armoricaine n’est pas plus, ou moins, romanisée qu’un autre territoire. »5 Pourtant la romanisation était loin d’être uniforme dans tout l’empire romain. Les différence existaient, y compris à l’intérieur de l’Armorique elle-même. En effet, l’actuel vannetais, par exemple, comporte beaucoup plus de vestiges romains que la zone correspondant à la Cornouaille, au Léon et au Trégor9.
La même Manon Six indique : « En gros, la Bretagne à la période de l’Âge du Fer n’est pas plus celtique qu’un autre territoire. »5 Or, cette affirmation contraste nettement avec les propos de l’archéologue Yves Menez10.
Yves Menez rappelle diverses acceptions du mot : « Le terme « celte » est compliqué. Il désigne plusieurs choses à la fois, et depuis des temps assez anciens. Vous avez une vision des auteurs grecs et latins. Donc, ça c’est la vision des textes. Vous avez autrement les archéologues qui ont essayé depuis le 19e d’identifier comment on pouvait reconnaitre les Celtes par l’archéologie. Et enfin, au début du 18e siècle, on a été adopté le terme « celte » également pour un ensemble de langues qui ont été reconnues comme ayant des aspects communs. »
Puis, revenant sur l’Armorique, il remarque : « Le terme « celte » veut dire des choses différentes, et aucune ne se recouvre systématiquement, ni en terme de chronologie, ni en terme de territoire. Par contre, un avantage, je dirais, pour la péninsule bretonne, c’est que, quel que soit l’angle d’attaque que l’on prend, le territoire de la péninsule bretonne peut être dénommé comme celtique. »
Au passage, la structure sociale caractéristique des Celtes peut être illustrée par une découverte matérielle trouvée sur le site de Paule. En effet, il y a été mis à jour un remarquable buste de barde avec une lyre.
Comment un musée qui nie la diversité pour réfuter la spécificité armoricaine peut-il, à l’inverse, s’appuyer sur la diversité pour laisser le doute sur la réalité des Celtes ?
Le Musée de Bretagne fait parfois preuve d’un certain scepticisme quant aux Celtes : « Aujourd’hui le terme “Celtes” ne fait pas consensus pour les scientifiques. »11 Cela est appuyé par la remarque selon laquelle « il n’y a pas un seul peuple celte, traçable dans ses migrations, ayant parlé une seule langue et produit un seul type de culture matérielle. Les archéologues préfèrent par exemple parler de “culture de la Tène” (la Tène étant la seconde partie de l’Âge du Fer, de 450 à 25 environ avant J.-C.). »11
La réalité celtique est pourtant, par ailleurs, présentée comme une évidence : « On commence directement à la période de l’Âge du Fer à montrer finalement au public que la péninsule armoricaine, puisqu’elle ne s’appelle pas encore la Bretagne à cette époque-là, est tout à fait intégrée dans l’Europe celtique. Et elle fait pleinement partie de cet ensemble culturel. On le sait par la proximité de certains objets. On le sait par les échanges, par les connexions qui pouvaient exister de l’Est à l’Ouest de l’Europe à cette époque-là. »5
Comment un musée culturel peut-il apporter des explications simplistes là où de véritables questions seraient à poser ?
L’exposition « Celtique ? » laisse entendre qu’il n’y a aucun lien entre les Celtes et les mégalithes parce qu’ils ont été érigés par les populations du Néolithiques. Un article relayé par le Musée de Bretagne relate : « Pourtant, au début du 20e siècle, les curieux préfèrent se plonger dans les idées romantiques qui associent les mégalithes aux populations celtes […]. »12
Cependant, les mégalithes faisaient partie de l’environnement des Celtes d’Armorique et de l’ile de Bretagne. Ils entretenaient donc nécessairement des liens avec eux. Aussi, quel usage en faisaient-ils ? Quels croyances ont-ils développées à leur sujet ? Il y aurait là matière à nourrir bien des personnes en quête de savoir.
Le regard du Musée de Bretagne est pour le moins curieux. Irait-il également expliquer qu’il ne faut pas associer les Yanomami à la forêt amazonienne sous prétexte que cette dernière leur a préexisté ?
Comment un musée peut-il relayer des articles présentant des phénomènes socio-culturels en usant d’un vocabulaire dépréciatif ?
Dans un article relayé par le Musée de Bretagne, c’est le terme de « superstitions », employé à plusieurs reprises, qui sert à catégoriser négativement « un ensemble de croyances qui accordent des vertus mystérieuses ou curatives aux pierres, aux fontaines, aux êtres surnaturels, aux saints guérisseurs, aux sorciers et autres rebouteux »13. Le ton inopportun semble trahir un certain mépris pour les croyances en question et les populations qui en sont porteuses.
Comment un musée culturel disposant d’un important conseil scientifique peut-il, dans le cadre d’une exposition sur l’identité celtique, tendre à rejeter le caractère celtique de pratiques culturelles lorsque celui-ci est suffisamment établi ?
Sur la foire aux questions sur l’exposition « Celtique ? » du site du Musée de Bretagne, une de ces questions concerne le gouren14. Le Musée de Bretagne, en se basant sur un article d’Aurélie Épron, laisse penser que l’origine celtique du gouren est une idée propre au milieu de ce sport, alors qu’un article scientifique de Gwennole Le Menn donne cette origine comme vraisemblable, et que les indices concordent pour la confirmer, tant au niveau de la comparaison des règles de cette lutte de Bretagne de celle de Cornouaille britannique qu’au niveau des rapprochements linguistiques qui peuvent être faits15.
Ces informations ont ainsi passé le filtre d’au moins deux conseils scientifiques : celui de Bretagne Culture Diversité et celui de l’exposition « Celtique ? ». Il y a là de quoi s’interroger sur le rôle effectif de ces conseils scientifiques.
Comment un musée culturel disposant d’un important conseil scientifique peut-il insuffler le doute en dépit des faits dûment établis ?
La première version du panneau sur La Villemarqué laissait clairement entendre que ce dernier était faussaire, en présentant le Barzaz Breiz, comme « un recueil de chants que l’auteur prétend avoir collectés auprès de la population de Basse-Bretagne. »16 Ce panneau a assez rapidement été révisé.
Sa modification serait à due à une intervention de Nelly Blanchard, selon les explications fournies par cette dernière : « j’ai demandé à ce que soit réécrit [le petit panneau] concernant le Barzaz Breiz, parce que beaucoup pensaient que c’est moi qui l’avais écrit, et je n’étais pas entièrement d’accord avec ce qui était écrit » (« goulennet ’meus ’vefe adskrivet [ar skritell vihan] diwar-benn ar Barzaz-Breiz pa soñje ur bern tud e oa bet skrivet ganin, ha ne oan ket a-du penn da benn gant ar pezh a oa bet skrivet »).
Mais le compte n’y est toujours pas, puisque le nouveau panneau laisse le visiteur dans le doute, La Villemarqué restant présenté comme un possible faussaire. En effet, de manière assez similaire à des formulations de première version du panneau, le musée relate, toujours au sujet du Barzaz Breiz, qu’« une polémique concernant l’authenticité des chants qu’il contient éclate en 1867 » et ajoute : « Pour ses détracteurs, La Villemarqué, à l’image de l’Écossais MacPherson, est un faussaire »16. Rien n’informe le visiteur sur le fait qu’il est à présent formellement établi que le Barzaz Breiz ne constitue pas une invention de toutes pièces depuis la découverte des manuscrits de collecte de La Villemarqué par Donatien Laurent17.
Comment un musée culturel disposant d’un important conseil scientifique peut-il avancer des affirmations allant à l’encontre des connaissances scientifiques ?
L’exposition indique que « la Bretagne est le résultat du brassage constant de populations […] à travers les siècles »18. Or, plusieurs études ont mis en évidence que certaines caractéristiques génétiques se retrouvant en Bretagne rapproche la population de ce territoire de celle des iles britanniques. Et ces faits ne peuvent s’expliquer sans contredire cette assertion de l’exposition, comme en attestent les raisons qui ont pu être avancées.
En se basant sur les travaux de Roger Leprohon19, un groupe de généticiens lie ce phénomène génétique à la géographie de la région bretonne et à son histoire : « Cela pourrait être expliqué à la fois par sa position à la fin du continent, où elle forme une péninsule, et par son histoire, puisque la Bretagne a été une entité politique indépendante (royaume et, plus tard, duché de Bretagne), avec des frontières stables, pendant une longue période. » (« This could be explained both by its position at the end of the continent where it forms a peninsula and, by its history since Brittany has been an independent political entity (Kingdom and, later, duchy of Bretagne), with stable borders, for a long time. »)20
Et pour ce qui est de la période ultérieure, Ronan Hirien, relatant les travaux de Nadine Pellen et Tanguy Solliec, renvoie à la réalité de la société traditionnelle21 : « Le marché matrimonial était réduit : le choix d’un conjoint au sein de sa paroisse était la norme du XVe au XXe siècle, les plus denses échanges se faisant dans un rayon extrêmement réduit : en moyenne de 5 à 10 kilomètres. » Et il ajoute : « Cette très grande stabilité géographique et la stabilité de la structure sociale de la population ont comme corollaire une structure génétique stable. En conséquence, Nadine Pellen pense que les populations étudiées sont vraisemblablement les descendants des groupes qui vivaient dans les mêmes régions au début du Moyen Âge. »
Comment le Musée de Bretagne peut-il présenter l’engouement pour la recherche celtique des 18e et 19e siècles en usant d’un vocabulaire dépréciatif ?
Le terme de « celtomanie »22 utilisé par le Musée de Bretagne est tendancieux. Et l’usage qui en est fait dans l’exposition « Celtique ? » correspond assez bien à ce qu’un contributeur anonyme23, corrigé par un autre contributeur anonyme24, a pu écrire sur l’encyclopédie libre Wikipédia : « On peut parler aussi d’une utilisation de la celtomanie tournée contre l’idée même de l’existence de peuples celtiques dotés d’une profondeur historique et de toute revendication institutionnelle ou linguistique. Les aspects désuets de la celtomanie sont parfois invoqués pour discréditer la culture celtique dans son ensemble, voire l’objet d'étude lui-même. Cette tendance, discrète mais encore sensible en Grande-Bretagne, est assez souvent de règle en France, dans la sphère médiatique ou universitaire. »
Comment un musée culturel peut-il décemment décrédibiliser une identité vivante et actuelle, comme l’est l’identité celtique en Bretagne ?
Le Parisien, à qui le message de l’exposition n’a apparemment pas entièrement échappé, explique que « l’exposition s’attache […] à montrer comment cette culture résulte d’une construction intellectuelle servant des intérêts politiques ou touristiques. »25 Autrement dit, il s’agit clairement d’une exposition à charge contre l’identité celtique, conformément à ce qui avait déjà été montré par diverses analyses. Mais cela ne pose visiblement aucun problème à ce journal.
Cependant, cela amène tout de même plusieurs remarques. Premièrement, les travaux de plusieurs ethnologues permettent de montrer que l’identité celtique existe indépendamment de toute construction intellectuelle26. Deuxièmement, les personnes porteuses de cette identité ne peuvent être tenues, par principe, pour responsables d’une éventuelle récupération. Troisièmement, sur quoi peut bien s’appuyer le tourisme si ce n’est sur les spécificités locales ? Et est-ce un mal si une identité s’avère bénéfique à l’économie locale ? Quatrièmement, le problème n’est pas tant que quelque groupe politique que ce soit défende des droits humains fondamentaux ayant trait aux minorités, mais bien plus que ces questions soit délaissées par la quasi-totalité des partis nationaux, alors qu’il ne tient qu’à eux de s’en saisir.
Comment un musée culturel peut-il présenter une exposition aux visées assimilationnistes ?
La question suivante, posée par le Musée de Bretagne, tend clairement à montrer une volonté de faire porter aux jeunes générations un regard négatif sur l’identité celtique, et est ainsi révélatrice des intentions assimilatrices poursuivies : « Alors face à cette récupération mercantile de l’héritage celte, lui-même issu d’un processus de construction identitaire, est-il encore possible aujourd’hui de se reconnaitre dans une identité celtique ? »27. Et cette identité est réduite, immédiatement après, à entrer dans la catégorie des « phénomènes réactionnels ».
Comment un musée peut-il poser la question des liens reliant la Bretagne et les Celtes en négligeant délibérément tous les travaux scientifiques sur la question ? Comment un musée peut-il se permettre de porter un jugement sur une identité culturelle ? Comment un musée peut-il réduire le traitement du nationalisme de l’entre-deux guerres à la collaboration et au nazisme ? Comment un musée peut-il considérer l’identité celtique au travers du prisme du nationalisme français ? Comment un musée peut-il mélanger science et idéologie dans une exposition culturelle ?
Il serait illusoire de tenter d’être exhaustif sur les problèmes que soulèvent les discours véhiculés par le Musée de Bretagne. Les critiques formulées à l’encontre de l’exposition sont d’ailleurs si nombreuses qu’il ne serait évidemment pas possible ici de les reprendre toutes. Et sans doute n’est-il pas nécessaire de s’étendre davantage sur les messages que le musée semble s’appliquer à faire passer.
Sur les membres du conseil scientifique de l’exposition et leur rôle
Comment l’exposition « Celtique ? » peut-elle se tenir sans que son contenu n’ait reçu l’aval de son conseil scientifique et sans que certains membres de ce conseil n’aient même eu connaissance du réel contenu des textes de cette exposition ?
Plusieurs membres du conseil scientifiques ont indiqué avoir découvert le contenu de l’exposition après qu’elle ait été ouverte28, et n’ont dont pas eu la possibilité d’émettre le moindre avis avant l’ouverture de l’exposition. En réalité, selon Erwan Chartier, le conseil scientifique, n’a validé ni les textes ni même l’orientation de l’exposition.
Pourquoi les membres du conseil scientifique restants ne défendent-ils pas l’exposition ou ne quittent-ils pas le conseil scientifique s’ils ne la cautionnent pas ?
Alors que la polémique dure depuis plusieurs mois, aucun membre du comité scientifique n’a apporté le moindre argument pour contredire les analyses qui ont été effectuées ou pour défendre l’exposition. Il serait pourtant sain de les entendre s’exprimer pour faire connaitre leur position et répondre sur le fond aux critiques.
Le Musée de Bretagne maintient vouloir publier « un catalogue qui fasse référence »29. Peut-être aura-t-il au moins le mérite de rendre public le nom de l’ensemble des scientifiques ayant cautionné l’exposition « Celtique ? ».
Au passage, il peut être remarqué qu’à l’heure actuelle, les auteurs de cette exposition restent toujours inconnus. Ceux qui se sont exprimés semblent surtout avoir tenu à s’en défendre. C’est le cas notamment de plusieurs membres du comité scientifique de l’exposition, ainsi que de l’association Bretagne Culture Diversité, partenaire de l’exposition.
Sur le milieu politique et les institutions
Comment l’exposition « Celtique ? », au vu de son contenu, peut-elle bénéficier d’aide et de financements publics, comme ceux provenant de Rennes Métropole ?
Rennes Métropole ne se contente pas de participer au financement de l’exposition, la métropole est aussi propriétaire du site Celtique ? L’expo30, complémentaire de l'exposition « Celtique ? », dont les analyses effectuées montrent combien les informations qu’ils contient sont orientées26. Et le directeur de la publication de ce site est Tristan Lahais, 17e vice président, en charge de la culture, au sein de Rennes Métropole.
Ce dernier a été contacté le 4 septembre 2022, et sa réponse est parvenue le 23 septembre 2022. Au sujet du rôle de Rennes Métropole dans le financement de l’exposition, il déclare :
Rennes Métropole fait le choix politique de soutenir le musée de Bretagne en lui donnant les moyens d'exercer ses missions : raconter la Bretagne, offrir une profondeur historique et un éclairage depuis la Bretagne à des problématiques contemporaines.
Le musée de Bretagne, comme tous les équipements culturels soutenus par la métropole et/ou la ville de Rennes, est, en revanche, entièrement libre de sa programmation. C'est un principe auquel nous sommes attachés. Les expositions reposent donc sur les compétences internes du musée ainsi que sur un conseil scientifique dédié.
Le point consiste donc à savoir si le contenu de cette exposition cadre réellement avec les missions du Musée de Bretagne. Tristan Lahais admet : « je peux parfaitement entendre la rigueur de vos points de [vues] ». Mais il déclare également : « je ne peux que contester l’idée selon laquelle le musée aurait délibérément souhaité décrédibiliser l’identité celtique de la Bretagne. J’ai lu les différentes critiques et je conviens volontiers que des maladresses aient pu heurter des sensibilités. La directrice des champs libres, avec qui j'ai également échangé de cette polémique, a également convenu du besoin de corriger certaines [formulations], corrections qui ont été apportées depuis. »
Tout ce qui a été relevé ne serait donc que maladresses. Pourtant, quand les formulations tendancieuses et les erreurs manifestes sont aussi nombreuses et vont toutes dans le même sens, et ne se limitent d’ailleurs pas aux textes affichés dans le musée, il est bien difficile de ne pas y voir une preuve d’intentionnalité… Mais cela semble peu importer aux élus concernés : une fois de plus, le système, indefectiblement verrouillé, ne laisse pas la moindre possibilité de recours aux minorités nationales.
Pourquoi n’y a-t-il toujours aucune réaction publique de la Région Bretagne malgré plusieurs interpellations ?
Un message avait été envoyé à la direction de la Direction de l’éducation et des langues de Bretagne du Conseil régional de Bretagne, en date du 1er août 2022. Le message a dû circuler d’un service à l’autre, puisque c’est finalement Laurence Dubourg, cheffe du service Valorisation du patrimoine de la Direction du tourisme et du patrimoine, qui a répondu, en date du 30 août 2022. Elle « informe que la Région n’a pas soutenu financièrement cette exposition » et, « pour de plus amples informations sur son contenu, […] invite à adresser un mail à la commissaire de cette exposition : Madame Manon [Six] ». En clair, l’alerte est donc restée sans effet.
Il est évident que cette réponse n’est pas d’une grande utilité, car le Musée de Bretagne a bien entendu déjà été contacté. Mais elle est surtout simpliste, puisque, si, effectivement, la Région Bretagne ne subventionne pas cette exposition, son partenaire Bretagne Culture Diversité, quant à lui, fonctionne presque exclusivement grâce au financement de la Région. La Région Bretagne fournit donc une aide indirecte au Musée de Bretagne par le biais de ce partenariat.
Par ailleurs, ce partenariat n’empêche aucunement une dénonciation de l’exposition « Celtique ? » et des pratiques du Musée de Bretagne. Et cela mériterait d’être doublé d’une mise en garde adressée à Bretagne Culture Diversité, dont l’un des objets consiste à « promouvoir la diversité culturelle »31.
De plus, Bretagne Culture Diversité dispose d’un conseil de surveillance, qui « est l’organe permanent de contrôle de la gestion de l’association », ainsi que l’indiquent ses statuts32, et 7 élus de la Région Bretagne y siègent33. Aussi, « il peut, à toute époque de l’année, effectuer les vérifications et contrôles […] qu’il juge opportuns et se faire communiquer les documents qu’il estime utile à l’accomplissement de cette mission ». Et son rôle est plus précisément défini.
Il a en particulier pour fonctions de :
- s’assurer de la conformité des décisions prises par le conseil d'administration à l’objet de l’association ;
- s’assurer du respect de l’ensemble des engagements de l'association, en particulier ceux pris à l'égard des pouvoirs publics ;
- contrôler le plan d'action de l'association et sa bonne mise en œuvre par le conseil d’administration et de valider les orientations stratégiques proposées par le conseil d’administration.
Au passage, les convergences de vues très discutables qui semblent exister entre Bretagne Culture Diversité et le Musée de Bretagne15 peuvent être mises en corrélation avec l’organisation des 10 ans de Bretagne Culture Diversité pour laquelle cette association organise une table-ronde où est invitée Céline Chanas, directrice du Musée de Bretagne, à s’exprimer sur le thème « La vulgarisation de la matière culturelle de Bretagne : comment produire et transmettre de la connaissance ? Et pourquoi le faire ? »34 en pleine polémique sur l’exposition « Celtique ? ».
Et si aucun membre du Celtic-BLM ne figure parmi les invités, il ne faut pas en conclure que le Celtic-BLM ne s’intéresse pas aux questions liées à la transmission orale. Ce centre de recherche, en effet, coorganise avec Tempora une journée d’étude sur le thème « Pays celtiques et Afrique subsaharienne : les sources orales au secours de l’histoire », devant se tenir le mercredi 28 septembre 202235.
La seule membre de l’Université de Rennes 2 figurant au programme est Éva Guillorel, qui se trouve être chercheuse associée au Centre de recherche bretonne et celtique (CRBC)36. Il peut donc être regretté le manque de diversité des centres universitaires de recherche bretons dans ce programme, pour lequel deux membres du CRBC sont également invités, à savoir Jean-Baptiste Pressac et le directeur de ce centre de recherche, Yves Coativy.
Les 10 ans de Bretagne Culture Diversité s’annoncent néanmoins riches en échanges, même s’il est regrettable qu’un hasard de calendrier ait voulu que la manifestation pour la réunification à Saint-Nazaire tombe au cours de ces festivités, le 24 septembre 202237. Mais l’association ayant fixé son calendrier de longue date, il ne saurait lui en être fait le reproche.
Pourquoi n’y a-t-il aucune condamnation ferme de l’exposition et de leurs financeurs venant de la classe politique ?
Les messages Facebook de Christan Guyonvarc'h sur « la dimension celtique de l’identité bretonne »38 et sur « la supposée opposition entre La Villemarqué et Luzel »39 et la publication du récit d’une visite de l’exposition par le Parti breton40 constituent des initiatives, qui si elles peuvent être saluées, s’avèrent nettement insuffisantes. Par la suite, une tribune signée par 10 conseillers municipaux, métropolitains ou départementaux ou régionaux est parue dans Le Peuple Breton41.
Face à la polémique, ces 10 élus constatent « une réponse pas à la hauteur », car « les réponses des responsables de l’exposition ont esquivé les questions de fond ». Ils rapportent que si des modifications ont été annoncées, le fond du message restera inchangé. Mais la conclusion de l’article, espérant que le catalogue « viendra corriger les omissions et les présentations problématiques de l’exposition » laisse finalement la porte ouverte au Musée de Bretagne pour continuer à diffuser un message de nature idéologique. Et, au final, si le contenu du catalogue n’est pas à la hauteur, cela ne sera constaté qu’après publication.
Sur les journalistes et la presse
Pourquoi, depuis le début de la polémique, aucun journaliste n’a été à même d’apporter des réponses aux questions du dévoiement de la science, du comportement de certains scientifiques en idéologues, de l’instrumentalisation du Musée de Bretagne à des fins assimilationnistes, ou du silence des milieux politiques ?
Ces dernières semaines, la polémique autour de l’exposition « Celtique ? » a fait dernièrement son entrée sur la scène nationales avec un article du journal Le Parisien du 4 septembre 202225, et avec la diffusion du premier article de Ronan Le Coadic critiquant l’exposition42 par le biais de la lettre d’information « Sur le bout des langues » de Michel Feltin-Palas du 13 septembre 2022.
Cependant peu de réponses aux questions légitimes des Bretons n’ont été encore apportées. Il semblerait que, sur certains sujets, le journalisme d’investigation fasse cruellement défaut en Bretagne.
Pour conclure
Afin d’éviter que des personnes en charge de la culture, ainsi que des scientifiques, ne reproduise ce type de dérive, il parait urgent que soient traduits les principes contenus dans la Déclaration des droits des personnes appartenant à des minorités nationales ou ethniques, religieuses et linguistiques dans le droit français. Mais dans un tel contexte idéologique, il est difficile de concevoir que cela se fasse.
Néanmoins, pour apporter quelque éclairage, y compris à ceux qui auraient du mal à se défaire d’un ensemble de dogmes, à qui l’imaginaire français aurait, à tort, conféré, à l’exclusion de tout autre précepte contradictoire, un caractère républicain, peut-être serait-il utile de rappeler quelques uns de ces principes, dont ceux de l’article premier :
1. Les États protègent l'existence et l’identité nationale ou ethnique, culturelle, religieuse ou linguistique des minorités, sur leurs territoires respectifs, et favorisent l’instauration des conditions propres à promouvoir cette identité.
2. Les États adoptent les mesures législatives ou autres qui sont nécessaires pour parvenir à ces fins.
Et celui du premier alinéa de l’article 5 :
1. Les politiques et programmes nationaux sont élaborés et mis en œuvre compte dûment tenu des intérêts légitimes des personnes appartenant à des minorités.
La France à l’obligation de se conformer au droit international. Ce pays doit, par conséquent, cesser de se comporter, vis-à-vis de ses minorités, comme nombre de dictatures de par le monde, voire même de les inspirer. Les pratiques assimilationnistes françaises doivent cesser, et non servir de modèle à d’autres régimes, et cela dans l’intérêt du respect et de la promotion de la diversisté linguistique et culturelle tant en France que de par le monde.
Notes :
- Celtique – Dossier pédagogique, 1er et 2nd degré, par Céline Morvan, Musée de Bretagne – Les champs Libres. P. 10.
- Imbs, Paul (directeur) : 1977. Trésor de la langue française – Dictionnaire de la langue du 19e et du 20e siècle élaboré par le Centre national de la recherche scientifique. 5, Cageot-Constat. Paris : Éditions du Centre national de la recherche scientifique.
- César, Jules : environ 57 av. J.-C. Caesaris commentariorvm de bello Gallico. Liber primvs. (Premier livre de la Guerre des Gaules.) 1er commentaire, pargraphe 1.
- Bescond, Michel ; Vallerie, Erwan : 1996. « Le parcours bilingue d’Erwan Vallerie ». ArMen, no 81, décembre 1996, p. 48-52. P. 50a.
- Podcast – C comme celtique avec Manon Six, Bretagne Culture Diversité, Bécédia.
- Lecerf, Yannick : 2017. Bretons et Celtes – Quand le monde de l'archéologie s’interroge ou les incertitudes de la celtitude. Le Coudray-Macouard : Feuillage. (Les acteurs du savoir.) P. 95.
- Daire, Marie-Yvonne : 1991. « L’Armorique ». Les Celtes, catalogue de l’exposition organisée par le Palazzo Grassi, l’Accademia nazionale dei Lincei et l’Institut de France. Milan : Bompiani. P. 237-238.
- « Celtique ? À propos de Yannick Lecerf, Bretons et Celtes, 2017. », par Kristian Hamon, Kristian Hamon : le blog, 3 septembre 2022, 9 h 37.
- Fleuriot, Léon : 1980. Les origines de la Bretagne. Paris : Payot. P. 58.
- « Podcast – L’histoire du site de Paule, résidence celtique », Bécédia.
- Celtique – Dossier pédagogique, 1er et 2nd degré (cf. note 1). P. 17.
- Mégalithes et celtomanie, Sophie Chmura, Musée dévoilé – Les coulisse du musée de Bretagne, 14 mars 2022.
- « La Bretagne par l’image – La Bretagne, terre de superstitions ? », Sophie Chmura, Musée dévoilé – Les coulisse du musée de Bretagne, 19 juillet 2021.
- « Celtique ? – Vos questions / Nos réponses », Musée de Bretagne.
- « L’élaboration d’un discours : de Bretagne Culture Diversité au Musée de Bretagne », par Yann-Vadezour ar Rouz, Justice pour nos langues !, 11 septembre 2022, modifié le 21 septembre 2022.
- « L’exposition “celtique?” a réécrit le carton concernant La Villemarqué », par Jean-Pol Kerjean, Facebook, 25 août 2022, 6 h 26.
- « Donatien Laurent : l’oralité est une histoire », par Catherine Milin, Penn-Bazh, 3 septembre 2022, mis à jour le 10 septembre 2022.
- « 5. Épilogue », Celtique ? L’expo.
- Leprohon, Roger : 1984. Vie et mort des Bretons sous Louis XIV. Brasparts : Beltan. (Les Bibliophiles de Bretagne.)
- Saint Pierre, A. ; Giemza, J. ; Alves, I. ; et al. : 2020 « The genetic history of France ». European Journal of Human Genetics no 28, p. 853–865. https://doi.org/10.1038/s41431-020-0584-1
- « Remonter aux origines de la Bretagne grâce à la génétique et à la linguistique », par Ronan Hirrien, France 3 Bretagne, 28 novembre 2021, 8 h 30, mis à jour à 8 h 47.
- « 2. Celtomanie », Celtique ? L’expo.
- « Celtomanie » : différence entre les versions (modification du 22 mai 2021 à 21 h 06).
- « Celtomanie » : différence entre les versions (modification du 21 octobre 2021 à 1 h 30).
- « Une exposition sur les racines des Bretons fait débat à Rennes », par Solenne Durox, Le Parisien, 4 septembre 2022, 8 h 15.
- « Le scandale de l’exposition « Celtique ? » du Musée de Bretagne », par Yann-Vadezour ar Rouz, Justice pour nos langues !, 6 septembre 2022, modifié le 23 septembre 2022.
- Celtique – Dossier pédagogique, 1er et 2nd degré (cf. note 1). P. 18.
- « Le musée de Bretagne contraint de revoir le contenu de l’exposition « Celtique ? » », par Yann-Vadezour ar Rouz, Justice pour nos langues !, 4 août 2022, modifié le 6 août 2022.
- « Controverse autour de l’exposition « Celtique ? » à Rennes : le Musée de Bretagne propose un débat », par Agnès Le Morvan, Ouest-France, 2 septembre 2022, 18 h 24.
- Site Celtique ? L’expo.
- Statuts de Bretagne Culture Diversité, Bretagne Culture Divesité, Bretagne Culture Diversité. P. 1.
- Même source que précédemment. P. 6.
- Le conseil de surveillance – composition, Bretagne Culture Diversité.
- 10 ans de BCD, demandez le programme !, Bretagne Culture Diversité.
- Journée d’étude, Diplôme d’études celtiques – Pays celtiques et Afrique subsaharienne : les sources orales au secours de l’histoire, Université Rennes 2.
- « Chercheurs associés », Centre de recherche bretonne et celtique.
- Manifestation réunification de la Bretagne samedi 24 septembre Saint-Nazaire, par Yves-Alain Le Goff, Agence Bretagne Presse, 13 septembre 2022, 14 h 53, mis à jour à 21 h 27.
- « Nier la dimension celtique de l'identité bretonne est aussi infondé que de réduire l'identité bretonne à cette seule dimension celtique », par Christian Guyonvarc'h, Facebook, 17 août 2022, 9 h 05.
- « Quelques mots à propos de la supposée opposition entre La Villemarqué et Luzel », par Christian Guyonvarc'h, Facebook, 25 août 2022, 7 h 24.
- « Fédération des Jeunes du Parti Breton : Visite de l’exposition « Celtique ? » », Parti Breton – Strollad Breizh, 5 septembre 2022.
- « Tribune. « Celtique ? » Une exposition partielle et partiale », Le Peuple Breton – Pobl Vreizh, 22 septembre 2022.
- « Une manipulation idéologique au musée de Bretagne à Rennes », par Ronan Le Coadic, Le Club de Mediapart, 29 juin 2022.