Justice pour nos langues !

Succès du colloque « Bretagne celtique ! » à Lorient

Le colloque « Bretagne celtique ! », qui s’est tenu le premier jour du Festival interceltique de Lorient, le 4 août 2023, a fait salle comble, montrant combien le thème du caractère celtique de la Bretagne suscite l’intérêt. Les intervenants se sont succédés, mettant en valeur diverses facettes du sujet. Devant le succès de l’évènement, la proposition a été avancée de le reconduire.

C’est une réussite pour le laboratoire Celtic BLM de l’Université Rennes 2, le Festival interceltique de Lorient et l’Institut culturel de Bretagne, organisateurs du colloque « Bretagne celtique ! ». Les quelques éléments ci-après, qui ne sauraient constituer qu’une légère entrée en matière, ni exhaustive, ni représentative des interventions de la journée, permettront de donner un aperçu de la journée. Et les actes du colloque, devant paraitre prochainement, permettront aux personnes intéressées d’aborder le sujet plus largement, et bien plus en profondeur.

Bretagne celtique

Les pays celtiques possèdent des caractéristiques géographiques communes, qui ont imprégné la culture des peuples qui y vivent. La proximité culturelle de ces peuples se manifeste par différents biais, y compris par une gestuelle commune, elle-même liée aux langues parlées, parentes entre elles. De longue date, les langues celtiques constituent un important marqueur de la proximité culturelle des peuples celtes.

Avant la période celtique, l’arc atlantique connaissait une certaine unité culturelle. Les populations qui y vivaient avaient pour particularité d’être reliés entre eux par la mer et par les cours d’eau, ce qui a favorisé des échanges entre eux. Les études ADN montrent que ces populations ont pu parfois être mêlés aux indo-européens arrivants, car une part de leur ADN se retrouve ensuite chez les Celtes.

Les arrivants indo-européens ont imposé leur langue, et il est probable que la langue celtique soit apparue initialement dans cette zone géographique, et se présente donc comme l’évolution de la langue de nouvelles populations de l’Ouest de l’Europe. Cependant, il est actuellement impossible de dater avec précision l‘apparition de cette langue celtique, dont au peut néanmoins affirmer qu’elle n’existait pas avant -6 000. La transmission des techniques de fabrication à l’époque de l’âge du bronze suppose une compréhension mutuelle, et plaide en faveur d’une forte proximité linguistique entre les Celtes de la façade atlantique à cette période. Les connaissances que l’on a des langues parlées à l’Antiquité permettent de définir un groupe gallo-brittonique, dont seule la branche brittonique a survécu, et un groupe gaélique, desquels proviennent les langues celtiques actuelles. Des informations sur ces peuples celtes à l’Antiquité ont pu nous parvenir grâce au voyage de Pythéas, vers -320.

Dans le domaine de l’art, si certains motifs sont assez caractéristiques de la culture celte, leur présence ne permet pas de déterminer avec certitude l’origine des objets sur lesquels ils figurent. Il existe, en effet, de nombreux exemples d’emprunts artistiques. Des mêmes motifs peuvent ainsi se retrouver sur des objets de civilisations ou de cultures différentes. Aussi, la langue semble, en réalité, le marqueur le plus fiable pour définir l’appartenance celtique des peuples antiques.

L’arrivée des Bretons de l’ile de Bretagne a eu un effet durable sur les pratiques linguistiques en Bretagne. Une langue s’est implantée en Armorique, le brittonique, tandis qu’une autre mourrait, le gaulois. Le gaulois disparait, en effet, sur l’ensemble du continent, sur lequel il reste pratiqué jusqu’au 6e siècle en Auvergne. En Bretagne, le brittonique entre néanmoins en contact avec le gaulois tardif, et le breton moderne reste marqué par cette influence. Le latin, qui, à l’époque gallo-romaine, était, en Armorique, langue de culture sans être d’usage dans la vie courante, a eu également des effets sur le breton.

L’importance de la continuité dans la culture celte a largement été illustrée, en précisant que la recréation en est une forme, s’agissant d’une manière de se connecter au passé. Parmi les exemples donnés, il peut être cité la réutilisation des mégalithes, préceltiques, qui ont été gravés et sculptés jusqu’au Moyen Âge, au cours duquel certains ont été affublés d’une croix à leur sommet, la survivance de cultes et le maintien des lieux de cultes, la Samhain, marquant le nouvel an Celtique, qui s’est perpétuée avec la fête de la Toussaint, les rites funéraires, dont des pratiques observées dans le Trégor semblent remonter à une époque très ancienne, l’importance de la pêche à la Sardine en baie de Douarnenez à l’époque gallo-romaine, des éléments de tradition orale, comme la complainte de Skolvan, dont les versions collectées sont proche d’un poème gallois, Yscolan, présent sur un manuscrit gallois du 13e siècle…

Rozenn Milin, après avoir illustré la possibilité de cohabitation harmonieuse d’identité multiples par son témoignage personnel, s’est ensuite penchée sur les inégalités entre les langues en contact. Elle a également donné quelques chiffres rendant compte du déclin du nombre de locuteurs. Ce nombre était stable entre 1914-1918 et 1952, s’élevant à 1,1 millions, tandis que, concernant les monolingues, il a, dans le même temps, chuté, passant de 750 000 à 100 000. La baisse s’est ensuite accélérée, puisqu’il ne restait plus, en 1983, que 650 000 locuteurs comprenant le breton et 360 000 le parlant régulièrement. Et, actuellement seulement 200 000 personnes connaissent le breton, mais peuvent être considérés comme des locuteurs potentiels, puisqu’ils ne le parlent pas nécessairement régulièrement. Bien qu’insuffisant, l’objectif de 30 000 élèves scolarisés totalement ou partiellement en breton en 2027, prévu par la Convention État-Région signée en 2022, est néanmoins un progrès, à condition que la mise en œuvre soit effective. Cette dernière précision de Rozenn Milin est d’autant plus pertinente que les annonces de la Région Bretagne concernant l’enseignement du breton demeurent sans effets1 et que deux associations, Div Yezh Breizh et Kelennomp ! ont engagé une procédure de carence fautive de l’État concernant l’application de la loi Molac et la Convention État-Région en question2.

L’intervention de Corinne Poulain, la directrice des Champs Libres, s’est quelque peu apparenté à un numéro d’équilibriste. Elle a défendu l’exposition « Celtique ? » du Musée de Bretagne3, tout en mettant en avant les enseignements, en termes de méthode de travail et de partenariats, que le musée serait amené à tirer suite à la polémique autour de l’exposition. Malgré les nombreux éléments montrant la continuité de faits culturels remontant à l’époque celtique qui avait été précédemment mis en lumière, elle a soutenu, comme en écho à l’exposition, que l’identité celtique reposait sur des mythes, qu’ils soient fondés ou non, sans toutefois expliciter le concept de mythe qui serait fondé.

Un intervenant a réfuté l’idée selon laquelle l’exposition « Celtique ? » pourrait avoir procédé de directives contre l’identité celtique. Un avis divergeant a ensuite été émis, mettant cette exposition en parallèle avec les cas pour lesquels des pressions attentant à l’expression de l’identité celtique ont été constatés, et que le magazine Keltia a entrepris de recenser. Le caractère nettement idéologique de l’exposition a, au final été soulignée par Herve Le Bihan.

Quelques questions du public ont pu être posées. L’une d’entre elle évoquait les mégalithes, ce a quoi il a immédiatement été répondu qu’ils n’étaient pas celtiques. Dans l’entretien qui avait été diffusé, Barry Cunliffe avait toutefois précisé que les mégalithes attestaient d’une forme de continuité de par leur réutilisation à l’époque celtique. Aussi, bien qu’ils aient été érigés par les populations du Néolithique, donc préceltiques, il est, dès lors, abusif de les écarter d’office de la culture celtique.

Si certains intervenants ont présenté brièvement leur sujet en breton, une personne s’est étonnée qu’aucune intervention n’ait été effectuée dans cette langue, alors que l’importance de réapprendre et de pratiquer le breton avait été exposée. Et, parmi les dernières questions, l’une plaidait en faveur de l’enseignement de l’histoire de la Bretagne, et une autre pour la mise en place d’un Erasmus entre les pays celtes.

Herve Le Bihan a lancé l’idée d’une pérennisation de l’évènement. L’avenir dira donc s’il y aura une suite. Une personne du public a plaidé pour le thème du rapport à la géographie…

Langues, cultures et identités multiples

La possibilité d’une cohabitation harmonieuse d’identités, de cultures et de langues multiples au sein d’une même personne a pu être mise en avant. Mais, si cette présentation est très politiquement correcte, il pourrait être envisagé d’élargir le sujet aux autres cas de figure.

En effet, rien n’exclut l’existence d’autres situations, qui méritent tout autant d’être prises en compte. Cela est d’autant plus vrai qu’après plus de cinquante ans, ce discours s’avère insuffisant pour mettre un terme aux préjugés et à la pression sociale que subissent les locuteurs des langues autochtones, même si des réactions positives s’observent à présent bien plus couramment que par le passé. Mais, rien n’empêchera jamais de focaliser sur les cas conflictuels ; aussi, les éluder n’est pas une solution satisfaisante, et laisse, en quelque sorte, une porte ouverte aux tensions politiques et sociales sur ces sujets.

Il pourrait donc être envisagé de s’intéresser aux différentes manières dont sont vécus le plurilinguisme, la pluriculturalité et la coexistence de plusieurs identités chez l’individu. Y a-t-il appropriation ou non des langues, des cultures et des identités en présence, qu’elles soient imposées ou choisies ? Quelles sont les limites de cette appropriation ? Sont-elles ou non conflictuelles et pourquoi ? Dans quelles situations concrètes se manifeste ce conflit ? Comment est-il géré, et quelles sont ses conséquences ?

Quel impact cela peut-il avoir au niveau familial ? Quels sont les raisons qui poussent les enfants à introduire la langue dominante dans les relations familiales, alors qu’ils sont élevés dans une langue autochtone ? Cela est-il générateur d’incompréhension, de sentiment d’impuissance ou d’échec ? Quelles tensions éventuelles en résultent ?

Enfin, quelles conclusions tirer de tout cela pour l’établissement d’une politique linguistique et culturelle ? La compréhension des effets négatifs de l’imposition d’une langue, d’une culture et d’une identité, effectuée au détriment d’une autre, sont des points essentiels, non seulement pour ce qui est de l’établissement d’une paix sociale, mais également pour lutter contre leurs impacts sur la santé, tant du point de vue physique que psychique4.

Faible prise en compte de la langue bretonne au sein du colloque et du festival

Lors des inscriptions au colloque, les contacts avec les organisateurs pouvaient être effectués en breton, et les réponses étaient alors formulées dans la même langue. Cependant, les informations à l’initiative des organisateurs faisaient, quant à elles, un usage exclusif du français, même lorsqu’elles étaient en direction de personnes ayant pu échanger en breton précédemment avec eux.

Quelques intervenants ont présenté brièvement leur sujet en breton. Mais la place du breton s’est trouvée d’autant plus réduite qu’aucune traduction simultanée n’était prévue en breton. Le casque disponible permettait uniquement de bénéficier d’une traduction de l’anglais vers le français. Seul Herve Le Bihan, lors d’un échange avec le public, a répondu entièrement en breton à une question posée dans cette même langue, et a poursuivi de même pour clore le colloque.

Plus généralement, la place infime du breton dans le festival est quelque peu paradoxale. Le nom même du Festival interceltique de Lorient renvoie aux Nations celtes, définies, à l’origine, comme les pays ayant en commun d’avoir une langue celtique parlée sur leur territoire. Malheureusement, après plus de 50 ans d’existence, force est de constater que la place du breton dans le festival reste anecdotique. La mise en avant de cette composante linguistique reste donc à améliorer.

Extraits du colloque

Entretien avec Barry Cunliffe

Le monde celte de l’ouest (vidéo) / Kelted eus ar C'hornôg (Enrolladenn video) / Celtic from the West (video recording)

Mis en ligne par l’Agence Bretagne Presse.

Extrait de l’intervention de Rozenn Milin

Identité celtique, identité multiple, identité menacée / Identelezh Keltiek, identelezh lies, identitelezh goudrouzet / Celtic identity, multiple identity, threatened identity

Mis en ligne par TV Bro Kemperle.

Prise de parole de Herve Le Bihan

Discours de cloture

Mis en ligne par TV Bro Kemperle.

Intégralité du colloque

Discours de cloture

Mis en ligne par Institut Culturel de Bretagne - Skol Uhel ar Vro.

Quelques adresses en lien avec le sujet

Pour plus d’informations sur cette journée :

Le site Bretagne celtique !

Annonce du colloque

Quelques retours du colloque

Notes :

  1. « Plan de formation des enseignants monolingues et langue bretonne : c’est pour… quand ? », Kelennomp !, 20 juin 2023.
  2. « Engagement d’une procédure de carence fautive de l’État (Div Yezh Breizh, Kelennomp !) », Kelennomp !, 28 juin 2023.
  3. « Le scandale de l’exposition « Celtique ? » du Musée de Bretagne », par Yann-Vadezour ar Rouz, Justice pour nos langues !, 6 septembre 2022, modifié le 8 août 2023.
  4. « Les effets psychologiques, physiologiques et sociaux de la prédation linguistique », par Yann-Vadezour ar Rouz, Justice pour nos langues !, 25 juin 2022, modifié le 6 octobre 2022.