Justice pour nos langues !

Quand une radio bretonnante s’interroge
sur la qualification de « celtique »
de la musique et de la culture bretonnes

La question celtique semble vouloir rester sur le devant de la scène. Radio Bro Gwened a relancé le débat, sous l’angle de la musique, à l’aide d’un entretien avec Erik Marchand1. Mais, aussi instructives que puissent être les explications apportées sur la musique bretonne, les considérations prises en comptes restent très partielles.

Afin d’éviter tout malentendu, et de prévenir contre tout interprétation qui irait à l’encontre de l’esprit de cet article, autant le préciser tout de suite : il ne s’agit de mettre en cause ni Radio Bro Gwened, dont la diffusion régulière d’émissions en breton permet à la langue bretonne de conserver une place, aussi réduite soit-elle, dans l’espace radiophonique en Pays vannetais, ni la journaliste ayant effectué l’entretien, dont on peut saluer notamment la participation à la fondation de Splann2, ainsi que la démarche de devenir locutrice de breton, ni Erik Marchand, qui a effectué un travail remarquable, à la fois sur le plan artistique, sur le plan musicologique ou sur celui de la transmission de la musique modale en Bretagne. Il ne s’agit ici rien de plus qu’apporter un éclairage complémentaire, qui n’a d’autre ambition que de nourrir la réflexion sur le sujet et sur son traitement.

Malgré la richesse indéniable de son contenu, l’entretien diffusé le lendemain de la clôture du Festival interceltique de Lorient peut provoquer un sentiment désagréable. En effet, il rappelle, par plusieurs aspects la malheureuse et très controversée exposition « Celtique ? » du Musée de Bretagne3, qui a incité le Celtic-BLM de l’Université Rennes 2, l’Institut culturel de Bretagne et le Festival interceltique de Lorient à organiser le colloque « Bretagne celtique ! » le jour de l’ouverture de ce festival4. Autant dire qu’il est bien difficile à ceux qui ont suivi de près ces évènements de ne pas y voir, toute proportion gardée, une certaine analogie.

Tout d’abord, le titre donné à l’entretien est formé à partir d’une question qui peinerait à s’interpréter autrement que comme la remise en cause d’un fait supposé établi. Il induit ainsi d’emblée une réponse négative : « La musique bretonne : celtique, vraiment ? » Il incite donc à adopter une position tranchée, que ce soit pour adopter la conclusion vers laquelle tend l’entretien, ou, à l’inverse, pour la rejeter. En cela, il s’apparente au titre de l’exposition évoquée.

Il en va de même pour la question initiale, sur laquelle repose l’échange, consistant à savoir si parler d’une musique celtique ou plutôt d’une famille de musiques celtiques fait sens. Cette interrogation ressemble quelque peu au jeu biaisé « Celte ou pas celte ? » de l’exposition du Musée de Bretagne. Les formulations binaires de ce type sont problématiques en ce qu’elles tendent à mener vers des visions simplistes et caricaturales. Au contraire, la nuance est, de loin, plus constructive sur le plan didactique.

Un autre point commun avec l’exposition consiste en une restriction du regard porté sur la question à un domaine particulier. Alors que l’exposition s’appuyait sur une vision archéologique des termes « celte » et « celtique », ce dernier est ici vu au travers du prisme de la musique populaire traditionnelle. Or, ce qui est ordinairement appelé « musique celtique » ne se limite pas, loin s’en faut, à ce champ musical. Pour aborder le thème de manière plus complète, il faudrait donc traiter aussi des créations diverses, et dans des genres bien différents : classique, rock, punk ou autre.

Cela étant, rien n’empêche évidemment de se poser la question de la part de l’héritage celtique, ou de celles des influences et emprunts divers, dans la musique ou la culture populaire traditionnelle bretonne, puisque l’entretien termine par un élargissement sur la culture. Le colloque « Bretagne celtique ! » a, sur ce dernier point, apporté nombre d’éléments témoignant d’une continuité depuis l’Antiquité, et qui ne trouvent ici aucune contradiction. La Haute-Bretagne connait d’ailleurs aussi des traditions qui la relie à un passé celtique. Par exemple, des témoins se souviennent encore de bougies placées dans des betteraves creusées pour en faire des visages grimaçants à la période du nouvel an celtique5, et des croyances autour de l’Ankoù ou de la charrette de la mort y ont été relevées6. Dans le domaine de la musique, le pentatonisme, aussi bien dans le cas de la Bretagne que de l’Écosse, a probablement une origine celtique, et il peut être déduit des propos d’Erik Marchand qu’il est également envisageable qu’il en soit de même pour les rythmes en 6/8 de certains airs bretons.

Même en restreignant le champ d’étude à la culture populaire traditionnelle, il existe ainsi un ensemble d’éléments qui rendent légitime le qualificatif « celtique », même si, sous l’angle de vue considéré, il ne parait évidemment convenir qu’en partie. La problématique est évidemment complexe, pour ne pas dire insoluble, d’autant plus que similitude et filiation ne vont pas toujours de pair. Une pratique originelle peut évoluer différemment selon les aires géographiques, et, à l’inverse, les caractéristiques communes peuvent avoir des origines différentes. Enfin, les emprunts peuvent aussi être marqués par un substrat, qui constitue une autre forme de continuité. Si la musique bretonne a puisé à des sources diverses, elle a pu ainsi être assimilée de manière particulière.

Que les musiques populaires traditionnelles des pays celtiques ne forment pas une famille musicale au sens où le musicologue l’entend, c’est tout à fait possible. La musique celtique est d’ailleurs une catégorie qui n’a pas été forgée par des musicologues, mais est, à la base une catégorisation pragmatique. L’adjectif réfère simplement aux pays celtiques, c’est-à-dire des pays possédant une langue celtique. Il s’agit donc, originellement, simplement des musiques, traditionnelles ou d’inspiration traditionnelles des pays celtiques. Cette catégorie n’a donc pas vocation à être homogène, et elle n’est, de fait, pas exempte d’une certaine transversalité.

Pour s’entendre, il faut, bien entendu, s’accorder avant tout sur la signification du qualificatif « celtique ». Mais, en tout état de cause, il serait réducteur de résumer ce dernier à une conviction philosophique ou politique. Il renvoie aussi à un sentiment d’appartenance. Et aucun musée, ni aucun scientifique, n’a évidemment d’autorité pour y contrevenir et en imposer un autre.

Par ailleurs, cette notion, aussi imparfaite soit-elle, a amplement participé à l’attractivité de la musique et de la culture bretonne, et, par là, au dynamisme musical et culturel breton. La musique, qui constitue une porte d’entrée possible vers la culture, amène également, de cette manière, nombre de personnes à l’apprentissage du breton. Aussi, la tentative de rejeter ce qualificatif, comme semble le faire, de façon quelque peu provocatrice, le titre donné à l’entretien, est assez surprenante venant d’une radio bretonnante, outre le fait qu’elle adresse ainsi un bien curieux message à son public.

Peut-être existe-t-il une crainte que le terme « celtique » soit prétexte à nier les apports extérieurs… Pourtant, les cercles celtiques, en dépit de leur nom, ne se sont jamais abstenus de mettre en avant leur répertoire traditionnel local, sans pour autant écarter ni les figures de contredanses, qui se sont mêlées à la gavotte dans certains terroirs, ni les quadrettes, alors que les unes et les autres, trouvent leur origine dans les danses pratiquées à la cour du roi de France, et, dans une moindre mesure, à la cour royale d’Angleterre, ni encore les airs de danses de couples, rapportées par les soldats des campagnes militaires napoléoniennes. La musique celtique, loin de tout purisme, ne cesse, bien au contraire, de se confronter à tous les styles depuis bien des décennies. Alors pourquoi s’en prendre à un qualificatif porteur en termes d’image et de développement ?

Le contexte actuel est largement hostile à la différence. Le droit français lui-même est, de longue date, instrumentalisé à des fins d’assimilations, et porte, en conséquence, atteinte à la diversité culturelle et linguistique. Le phénomène n’a fait que prendre de l’ampleur au cours de ces dernières années. Les fonds publics sont même mis à contribution pour cela, puisque la négation de l’héritage celtique en Bretagne était, il y a peu, le biais employé par le Musée de Bretagne pour nier l’originalité de la culture bretonne. Dans un cadre aussi hostile à l’altérité et au vu du temps qu’il a fallu aux Bretons pour inverser le stigmate, la pertinence de l’approche de la question celtique par Radio Bro Gwened a de quoi laisser perplexe.

Notes :

  1. « La musique bretonne : celtique, vraiment ? Entretien avec Erik Marchand », par Radio Bro Gwened, 14 août 2023.
  2. Site d’enquêtes journalistiques Splann.
  3. « Le scandale de l’exposition « Celtique ? » du Musée de Bretagne », par Yann-Vadezour ar Rouz, Justice pour nos langues !, 6 septembre 2022, modifié le 21 août 2023.
  4. « Succès du colloque « Bretagne celtique ! » à Lorient », par Yann-Vadezour ar Rouz, Justice pour nos langues !, 8 août 2023, modifié le 15 août 2023.
  5. « Chasseurs d’âmes dans les croyances populaires de Loire Atlantique », Mitaw, 21 octobre 2011.
  6. « L’Ankoù en Loire Atlantique ? », Mitaw, 30 avril 2010, modifié le 5 juillet 2012.