Justice pour nos langues !

Lettre ouverte à Arte suite à la diffusion de l’animation
« Les langues vont-elles disparaître ? »

[Message envoyé à Arte le 15 août 2023.]

Le 14 août 2023.

Objet : Participation d’Arte à la stigmatisation des langues autochtones.

Madame, monsieur,

Avant tout, je tiens à vous féliciter pour la qualité et le sérieux habituels de vos émissions. Grâce à la sélection que vous opérez sur ses contenus, votre chaine a acquis une solide notoriété, et une image qui lui permet d’être clairement identifiée. Cela mérite d’être salué.

Cependant, j’ai observé récemment que vous avez choisi de diffuser, dans l’émission « 28 minutes » du 11 août 2023, une très courte animation intitulée « Les langues vont-elles disparaître ? », disponible à l’adresse https://www.arte.tv/fr/videos/116281-004-A/les-langues-vont-elles-disparaitre/ et dont le fond contraste fortement avec l’ensemble des diffusions d’Arte, ordinairement porteuses de connaissance. Je m’en explique.

Tout d’abord, la présentation que vous faites de cette animation est trompeuse. À la question « Les langues vont-elles disparaître ? », votre texte de présentation indique, « Benoît Forgeard reste optimiste et imagine demain. » Or, il me semble difficile de ne pas saisir la déconsidération des langues autochtones véhiculées par les fausses anticipations de l’auteur, ni l’ironie particulièrement évidente du discours lorsqu’il déclare : « Je ne parviens pas à me défaire d’un optimisme béat. »

Le propos de cette animation n’est nullement informatif, et sa charge idéologique est manifeste. Après avoir posé la disparition des langues comme une mauvaise nouvelle, l’auteur revient immédiatement sur cette affirmation en posant d’emblée une hiérarchie entre les langues, de par la distinction qu’il effectue entre celles qui seraient utiles et les autres, qui se voient reléguées au rang de dialectes ou de patois, avec tout le caractère dévalorisant que peuvent avoir ces termes dans une telle acception : « Après tout, n’y a-t-il pas bon nombre de dialectes superflus sur cette planète ? » Il néglige, au passage que le terme de « dialecte » a, en linguistique, un sens bien différent de celui de « langue », et que celui de patois, à la base péjoratif, est largement rejeté par les linguistes, malgré quelques tentatives de réhabilitation.

L’auteur s’appuie sur un épisode de l’Ancien Testament. Ce curieux procédé, tendant à sacraliser le point de vue exposé, va pourtant quelque peu à rebours de l’esprit du texte biblique, puisqu’il repose sur le regret de l’arrêt de la construction de la tour de Babel. Or, dans le passage de la Genèse auquel il est fait référence, la tour, explicitement présentée comme la première réalisation d’un peuple unique parlant une langue unique, est prévue pour atteindre les cieux et aurait mené à la toute-puissance. Et c’est la raison pour laquelle cette construction humaine entraine une intervention divine, consistant à confondre le langage et à disperser les hommes, afin de les détourner d’une telle entreprise.

Puis, pour jeter le discrédit sur ces langues, l’auteur imagine une mesure de sauvegarde absurde, qu’il pousse jusqu’à la rendre potentiellement préjudiciable aux malades, rendant ainsi grotesque l’usage des langues considérées comme superflues : « Il s’agirait de rémunérer des locuteurs volontaires, et de les lâcher dans la nature en les encourageant à taper la discut’ au maximum. On pourrait même combiner ce dispositif avec celui visant à combattre les déserts médicaux. Vous ne comprenez rien à ce que vous dit le docteur ? Pas d’inquiétude, c’est parce qu’il parle le cherokee, langue amérindienne en voie d’extinction. Hihañhohoa. »

La seule utilité que l’auteur accorde aux langues autochtones est de pouvoir servir de cyniques desseins. Ces langues pourraient profiter au populisme des élus, et permettraient de masquer l’hostilité du monde à leur locuteurs grâce à un outil de traduction, dont le modèle représenté porte le nom dédaigneux de « Patois Translator 7 600 ».

Comme cela apparait, les images suivent la même orientation que le texte. Ceux qui sont tournés en ridicule sont représentés avec un sourire béat, qu’il s’agisse de l’ours des Pyrénées, du médecin parlant cherokee, ou du locuteur volontaire à l’apparence soixante-huitarde, affublé d’un tee-shirt portant la mention « UNESCO » et tenant un bâton de marche d’où sortent quelques feuilles vertes.

L’idée d’une égale valeur de toutes les langues et de toutes les cultures n’a pas semblé effleurer l’auteur. Ce dernier, en inventant un médecin imbécile parlant volontairement une langue en voie de disparition ignorée de ses patients, n’a sans doute aucune idée des traumatismes produits par l’assimilation forcée auxquels ont été soumis des populations entières, avec parfois des conséquences néfastes sur leur santé physique ou psychique. Il n’a probablement jamais été confronté à aucun des drames familiaux qu’a pu engendrer la coupure dans la transmission intergénérationnelle d’une langue. Il n’a certainement pas connaissance de l’isolement accrue des personnes atteintes de maladie neuro-dégénérative ne sachant plus faire usage que de leur langue maternelle dans une société qui a invisibilisé leur langue, ni du désarroi de leur descendants lorsqu’il se trouvent dans l’incapacité de les comprendre parce qu’ils n’ont pas eu accès à un enseignement de leur langue ou qu’ils ont été dissuadés de le suivre. Il n’a de toute évidence jamais entendu de témoignage de personnel de maison de retraite ou d’animateurs relatant comment des personnes âgées pouvaient trouver un regain de vigueur lorsqu’une activité leur était proposée dans leur langue maternelle. Il ne doit pas non plus savoir les bénéfices que peut avoir la valorisation des langues autochtones sur l’estime de soi, et, partant, sur la réussite scolaire ou professionnelle. Et, il ne se doute vraisemblablement pas que le respect de ces langues peut ainsi avoir des conséquences positives sur l’économie.

J’espère que vous comprendrez que de nombreuses personnes aient pu se sentir stigmatisées, et être choquées ou blessées par la diffusion de cette animation par votre chaine, même si d’autant moins de personnes auront pris la peine de vous contacter qu’il est, pour beaucoup d’entre elles, difficile de s’exprimer sur ce sujet, souvent douloureux. Pourriez-vous expliciter la logique que vous poursuivez en diffusant une animation prônant l’acculturation linguistique sur une chaine culturelle ? Un éclairage de votre part serait la bienvenue dans le respect de tous ceux qui auront vu cette animation et qui ne comprennent pas votre démarche ou qui auront été affectés par celle-ci. Alors que votre chaine a, en 2016, adopté le slogan « Arte, ouverture permanente », il serait à propos de préciser si cette ouverture vaut en 2023 vis-à-vis des langues autochtones, quel que soit le qualificatif qu’on leur donne : historiques, minoritaires, minorisées, régionales ou autre.

Dans l’attente de votre réponse, veuillez recevoir, madame, monsieur, mes respectueuses salutations.

Yann-Vadezour ar Rouz


[Message reçu d’Arte le 22 août 2023.]

Monsieur,

Nous vous remercions de l’intérêt que vous portez à notre chaîne.

Nous avons transmis votre lettre au sujet de l’émission « 28 Minutes » du 11/08 à la rédaction concernée qui en a pris connaissance et vous en remercie.

Vous pouvez également joindre la société de production du magazine à l’adresse :

KM Productions
23, Rue de Linois
75015 PARIS
contact@kmprod.fr

Nous restons à votre disposition pour tout renseignement complémentaire et vous souhaitons d’agréables moments en notre compagnie.

Cordialement,

Alexandra COSTA
ARTE - Service Téléspectateurs

[Message envoyé à Arte le 23 août 2023.]

Madame Alexandra Costa,

Je vous remercie d’avoir transmis ma lettre à la rédaction concernée. Cependant, les remerciements que vous m’envoyez et me transmettez ne rendent pas moins nécessaire la réponse souhaitée.

Aussi, j’espère que la rédaction concernée acceptera d’apporter les explications aux interrogations soulevées dans la lettre que je vous ai adressée. Je pense qu’elles le méritent, d’autant plus qu’elles sont attendues, comme le montrent les demandes qui m’ont été formulées en ce sens.

Au besoin, je vous communique l’adresse où mon courrier a été publié :
http://justicepournoslangues.fr/actualites/2023/lettre_ouverte_a_arte_suite_a_la_diffusion_de_l_animation_les_langues_vont-elles_disparaitre.html

Dans l’attente de la réception d’un message plus complet de la part de la rédaction concernée ou d’Arte, veuillez recevoir, madame Alexandra Costa, mes respectueuses salutations.

Yann-Vadezour ar Rouz


[Message envoyé à Arte le 7 septembre 2023.]

Madame Alexandra Costa,

Le 15 août 2023, un courrier vous a été adressé, par moi-même, au sujet de l’animation « Les langues vont-elles disparaître ? » diffusée dans l’émission « 28 minutes » du 11 août 2023, et, avant cela, le 16 juin 2023 dans cette même émission. Ce courrier posait des questions précises, qui sont pourtant restées sans réponse.

Vous m’avez cependant écrit, le 22 août 2023, que ma lettre avait été transmise à la rédaction concernée, et vous m’avez alors envoyé des remerciements, mais non les explications demandées. Mon message de relance du 28 août 2023, quant à lui, n’a fait l’objet d’aucun retour. Vous pourrez le retrouver à la même adresse que le précédent :
http://justicepournoslangues.fr/actualites/2023/lettre_ouverte_a_arte_suite_a_la_diffusion_de_l_animation_les_langues_vont-elles_disparaitre.html

À présent, pourriez-vous, je vous prie, m’indiquer clairement si Arte entend apporter l’éclairage attendu aux interrogations soulevées dans ma lettre initiale ou si votre chaine accorde trop peu d’importance à la problématique pour cela ? Vous comprendrez qu’un silence sur le sujet ne saurait être interprété que comme un manque de considération envers toutes les personnes qui ont pu être affectées par la diffusion de l’animation en cause.

En espérant que cet échange mène à la réception prochaine d’une réponse appropriée, veuillez recevoir, madame Alexandra Costa, mes respectueuses salutations.

Yann-Vadezour ar Rouz


[Aucune réponse, à ce jour, aux deux précédents messages.]