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Déclaration des experts de l’Onui
sur les droits des peuples autochtones kanak
dans le territoire non autonome de Nouvelle-Calédonie
et l’accord de Nouméa
Communiqué du 19.08.2024, par le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme

La situation dans le territoire non autonome de Nouvelle-Calédonie reste extrêmement volatile et incertaine. Nous sommes très préoccupés par l’absence de dialogue, l’usage excessif de la force, le déploiement continu des forces militaires et les rapports continus de violations des droits de l’homme qui ont ciblé des milliers d’autochtones kanaks pour avoir pris part à des manifestations depuis mai 2024.

D’après les informations reçues, au moins 6 manifestants kanaks auraient été abattus et 169 autres auraient été blessés. Plus de 2235 manifestants ont été arrêtés, dont beaucoup arbitrairement arrêtés et détenus, et des dizaines d’entre eux ont été déportés vers la France métropolitaine. 500 personnes kanakes auraient été victimes de disparitions forcées. Des informations font également état d’allégations de criminalisation de défenseurs des droits de l’homme kanaks par l’application abusive du droit pénal.

Le manque de retenue dans l’usage de la force contre les manifestants kanaks, et le traitement exclusivement répressif et judiciaire d’un conflit dont l’objet est la revendication par un peuple autochtone de son droit à l’autodétermination, est non seulement anti-démocratique, mais profondément inquiétant pour l’État de droit. Comme le rappelle la résolution 2625 de l’assemblée générale, “Les États ont le devoir de s’abstenir d’actes de représailles impliquant l’emploi de la force. Tout État a le devoir de s’abstenir de recourir à toute mesure de coercition qui priverait de leur droit à l’autodétermination, à la liberté et à l’indépendance les peuples mentionnés dans la formulation du principe de l’égalité de droits et de leur droit à disposer d’eux-mêmes.”

Nous sommes conscients que des actes de violence ainsi que des dommages aux biens privés et publics ont été commis par certains manifestants. Cependant, les moyens utilisés, la gravité des violences rapportées, l’intensité de la réponse répressive et le caractère raciste et discriminatoire de certains actes de violence, ainsi que le nombre de morts et de blessés, d’arrestations et de détentions arbitraires et de disparitions forcées sont alarmants.

Nous sommes particulièrement préoccupés par les allégations de violences à caractère raciste commises par des milices armées, qui ont causé la mort de 3 manifestants kanaks. Le gouvernement français doit prendre des mesures pour enquêter sur les violences commises lors de ces manifestations et traduire leurs auteurs en justice. Des mesures doivent être prises immédiatement pour dissoudre ces milices armées.

Nous sommes également préoccupés par certains développements qui montrent une tentative de démanteler l’accord de Nouméa, feuille de route du processus de décolonisation. La consultation sur la souveraineté de la Nouvelle-Calédonie s’est tenue le 16 décembre 2021 en pleine épidémie de COVID-19 et en plein deuil coutumier observé par le peuple kanak, malgré l’opposition des autorités et des organisations coutumières kanakes. Cette consultation a été marquée par un taux d’abstention exceptionnel de plus de 43 %, remettant en cause la légitimité même de cette consultation. L’Assemblée nationale française a adopté le 14 mai 2024 un projet de loi modifiant le corps électoral, faisant sauter l’un des fondements de l’accord de Nouméa, qui est précisément le gel du corps électoral en Nouvelle Calédonie. Un autre projet de loi, le projet “Marty”, qui aurait totalement éliminé d’autres acquis majeurs de l’accord de Nouméa concernant la reconnaissance de l’identité et des institutions autochtones kanak, du droit coutumier et des droits fonciers coutumiers, a également été élaboré en octobre 2023.

Les droits fondamentaux à la participation, à la consultation et au consentement libre, préalable et éclairé du peuple autochtone kanak et des institutions coutumières kanakes n’ont manifestement pas été respectés dans aucun de ces processus. En outre, la tentative de démantèlement de l’accord de Nouméa, un accord qui a ramené la paix après des années de conflit sanglant au cours desquelles plus de 90 personnes ont trouvé la mort, porte atteinte à l’intégrité de l’ensemble du processus de décolonisation.

Nous demandons instamment au gouvernement français d’engager rapidement un dialogue avec le Comité spécial de la décolonisation et les institutions coutumières kanakes pour trouver une solution pacifique au conflit. Dans l’intérêt de la sécurité juridique et du respect des droits de l’homme du peuple autochtone kanak, et en particulier de son droit à l’autodétermination, le gouvernement français se doit de respecter le principe de l’irréversibilité de l’accord de Nouméa qui, conformément à l’engagement pris par la France au titre de l’article 5, doit être protégé par la Constitution jusqu’à ce que le territoire accède à la pleine souveraineté. Nous avons été informés qu’à l’issue des élections législatives françaises, le projet de loi modifiant la composition du corps électoral a été suspendu, mais nous demandons son abrogation complète.

i Les experts : Jose Francisco Cali Tzay, rapporteur spécial sur les droits des peuples autochtones, Gina Romero, rapporteur spécial sur les droits à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association ; Ashwini K.P., rapporteuse spéciale sur les formes contemporaines de racisme, Irene Khan, rapporteuse Spéciale sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression

Source : « Déclaration des experts de l’Onu sur les droits des peuples autochtones kanak dans le territoire non autonome de Nouvelle-Calédonie et l’accord de Nouméa », 19 aout 2024, par Jose Francisco Cali Tzay, Gina Romero, Ashwini K.P. et Irene Khan, sur le site du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme.