Justice pour nos langues !

La place des langues autochtones
dans les combats politiques actuels

Notre société doit faire face à des défis de toutes sortes et de plus en plus pressants. La question des langues autochtones, jugée d’importance mineure par le grand nombre, tend à disparaitre derrière toute une série de priorités, alors qu’elle est généralement considérée comme essentielle par les premiers concernés. Aussi, face à la multiplicité de problématiques essentielles, quelle importance accorder aux revendications ayant trait aux droits linguistiques ?

Le problème touchant le plus immédiatement le citoyen est de toute évidence l’économie, puisqu’elle conditionne sa subsistance au quotidien. Malheureusement, ce n’est pas toujours cet aspect qui préoccupe le plus l’exécutif, qui se préoccupe souvent plus des classes aisées que des personnes en difficulté. En témoignent, par exemple, l’ordonnance d’Emmanuel Macron sur la flexibilité de l’emploi, qui n’a fait qu’accentuer la précarisation de l’emploi, et les diminutions des Aides personnalisées au logement ou des retraites, dont il est également à l’origine, et qui contrastent avec l’application des mesures de réduction de l’impôt sur la fortune et des droits de succession. L’économie fait aussi figure de levier pour renforcer l’autoritarisme de l’État, en accentuant son caractère centralisé. C’est dans cette optique qu’ont été supprimés peu à peu les impôts perçus par les collectivités locales, les privant ainsi de leurs ressources propres.

Au niveau de la santé, la gestion de la pandémie du COVID-19 par Emmanuel Macron et son gouvernement est difficilement défendable. La France a été fournie en masques tardivement. Les consignes officielles concernant le port du masque ont fait un virage à 180°. Des suppressions de lits ont été effectuées dans les hôpitaux en pleine pandémie. Et pour couronner le tout, les délibérations du Conseil de défense sanitaire sont classées « secret défense » alors que les décisions qu’il prend ont un impact direct sur la santé publique.

Sujet d’importance croissante, l’écologie ne se restreint plus au champ de la préservation de la biodiversité, ou à celui de la santé publique, comme c’est notamment le cas avec les perturbateurs endocriniens, aux dommages irréversibles, mais elle est aussi devenue une nécessité face à la menace du changement climatique, ce dernier menaçant la survie même de notre propre espèce. Devant de tels dangers, on comprendra aisément pourquoi l’inaction du chef de l’État et les reculs qu’il a occasionnés sont irresponsables1.

Les libertés citoyennes ne sont pas en reste, et elles ont de fortes implications sur l’adhésion aux règles régissant la société. Là encore, le bilan du quinquennat d’Emmanuel Macron n’est pas brillant. La liberté de manifester a été mise à mal par le risque de perdre un bras ou un œil pour une simple participation à une manifestation pacifique, quand, dans le même temps, les bavures sont régulièrement couvertes par la hiérarchie policière. La loi sur le secret des affaires et la cellule Déméter portent un coup au droit d’informer, cette cellule donnant, en outre, à la gendarmerie le rôle de gardien d’une certaine politique agricole tout en servant des intérêts privés. Le secret médical a été provisoirement remis en cause avec le passe vaccinal. Les possibilités d’instruire ses enfants dans la famille ont été réduites, grâce à une procédure d’autorisation alourdie et dissuasive, à l’imprécision du critère correspondant au cas général qui permet dorénavant de soumettre l’éventuelle autorisation au bon vouloir de l’administration, alors qu’il s’agit pourtant à la fois d’un droit naturel et d’un garde-fou salutaire en cas de dérive totalitaire de l’État.

Autre élément incontournable, la réalité et le fonctionnement des institutions constitue un réel enjeu démocratique. Mais, là encore, le bât blesse. Depuis longtemps, le peu de transparence de la vie publique est problématique, et l’application systématique du secret défense prive le citoyen d’informations sur des sujets d’importance majeure, comme la santé publique, notamment pour ce qui touche aux incidents nucléaires ou aux cas de pandémies. Par ailleurs, la France ne dispose pas de cour constitutionnelle entrant dans la hiérarchie des tribunaux, comme la plupart des pays démocratiques, mais d’un Conseil constitutionnel, composé exclusivement de membres nommés par des organes politiques, pour lesquels aucune compétence juridique n’est exigée, et qui s’affranchissent des règles les plus élémentaires du droit en toute impunité. Ce dernier est allé jusqu’à accorder à des ordonnances, textes venant de l’exécutif, une valeur législative en l’absence de vote du parlement2, jurisprudence qu’il a confirmée par la suite3, sans se soucier du principe de séparation des pouvoirs, pourtant indispensable à la démocratie.

Face à des faits aussi alarmants, dont d’autres exemples encore figurent dans le dernier rapport d’Amnesty International4, les revendications sur des droits linguistiques ont bien dû mal à se faire entendre. Sur cette question, les progrès survenus au cours de la présidence d’Emmanuel Macron peinent à compenser les reculs. Le fragile décret donnant un cadre juridique à l’enseignement immersif pèse bien peu face à la censure de ce type d’enseignement par le Conseil constitutionnel. Concrètement, le principal changement consiste en la possibilité de composer en langue autochtone l’épreuve de mathématiques du diplôme national du brevet étendue à l’occitan dans l’Académie de Bordeau, et en l’épreuve orale du certificat de formation général pouvant être passée en basque5. Cependant, ces dernières mesures sont discriminatoires et loin d’être suffisantes, car, elles ne concernent qu’une ou deux langues autochtones, et elles se restreignent à une Académie. De plus, la seconde d’entre elles n’est prévue qu’à titre expérimental. Il ne s’agit donc que de maigres concessions survenues en période électorale, assez provisoires, mais nécessaires pour assurer un minimum de crédibilité à la présidente du collège langues vivantes régionales du tout nouveau Conseil supérieur des langues, Anne Bisagni-Faure, puisque cette dernière occupe également de poste de rectrice de Bordeaux6. Pendant ce temps, le breton reste dans la ligne de mire, l’État bloquant toute avancée pour cette langue par le biais du contrat État-région7. La aussi, il aura fallu attendre la période de campagne pour les présidentielles pour que soit signé, le 15 mars 2022, le contrat de plan État-Région Bretagne 2021-20278, avec plus de quatorze mois de retard, ainsi que de la convention spécifique pour la transmission des langues de Bretagne et le développement de leur usage dans la vie quotidienne 2022-20279.

Pour beaucoup la question des langues autochtones n’a que peu d’importance. Cependant, l’existence de quelque enjeu essentiel n’implique pas qu’il faille négliger les autres problématiques ou les renvoyer aux calendes grecques pour autant. Il ne saurait, par exemple, être question de ne considérer que l’économie à court terme, en courant vers une catastrophe écologique mettant en danger notre propre existence, ou de ne considérer que l’écologie sans tenir compte des droits humains, au risque de se laisser conduire vers une dictature écologiste. Tous les combats nécessaires doivent bien sûr être menés de front.

À cela s’ajoute que la plupart de ces problèmes évoqués sont intimement liés. Ainsi, les graves conséquences sanitaires résultant de l’insuffisante prise en compte de l’écologie, de même que la menace climatique sur la vie humaine, renvoient au droit à la vie et au droit de l’enfant à la protection. Parallèlement, l’écologie devient aussi incontournable dans le domaine de l’économie, des travaux ayant notamment montré que le coût de la transition écologique est inférieur à celui qu’engendre l’absence de sa mise en œuvre, ce qui, malheureusement, n’a pas empêché le gouvernement de repousser cette transition, ce dernier ayant préféré privilégier un budget à court terme. Par ailleurs, si l’économie est un domaine si préoccupant pour beaucoup de citoyens, c’est que le droit à subvenir à ses besoins les plus vitaux repose sur lui. Cela ramène, encore une fois, à des questions de droits fondamentaux.

Cette source commune ne doit rien à une coïncidence fortuite. Car si toutes ces questions revêtent une telle importance pour un grand nombre de nos concitoyens, c’est bien parce qu’elles se rapportent à des droits et libertés qui les concernent particulièrement. Et les plus essentiels d’entre entrent logiquement dans le domaine des droits fondamentaux.

Quant aux questions linguistiques, elles relèvent évidemment des libertés citoyennes. Les opposer à ces dernières n’aurait donc aucun sens. Et les considérer comme anecdotiques serait oublier que la possibilité de s’exprimer dans sa langue avec les autres membres de sa communauté linguistique constitue aussi un droit fondamental, qui attend d’ailleurs toujours d’être reconnu en France. De tels droits et libertés représentent pourtant un enjeu essentiel pour le fonctionnement démocratique du pays. En effet, l’absence de reconnaissance d’un droit fondamental quel qu’il soit atteste déjà d’une dérive vers un régime autoritaire.

Enfin, la langue est intimement liée à l’identité de l’individu, et il serait vain d'attendre d’un État qu’il respecte les libertés individuelles alors qu’il ne respecte pas même l’identité de ses propres citoyens. Cette considération, à laquelle s’ajoute le caractère fondamental de droits relatifs à l’usage des langues, fait que, plutôt que d’être occultés par les autres libertés, ces droits devraient, au contraire, faire figure de préalable pour redonner du sens à notre démocratie et assurer au pays un avenir serein.

Notes :

  1. One Ocean Summit : lettre ouverte au Président de la République (Claire Nouvian, Bloom, 9 février 2022).
  2. Décision no 2020-843 QPC du 28 mai 2020, considérant 11 (Conseil constitutionnel, 28 mai 2020).
  3. Décision no 2020-851/852 QPC du 3 juillet 2020, considérant 11 (Conseil constitutionnel, 3 juillet 2020).
  4. France 2021 (Amnesty International, 2022).
  5. Éducation : vers une meilleure reconnaissance du basque et de l’occitan (Sudouest.fr, 4 février 2022, 14 h 52).
  6. Le rôle du Conseil supérieur des langues en question (Yann-Vadezour ar Rouz, Justice pour nos langues !, 3 février 2022).
  7. Un gouvernement constant dans la duplicité malgré sa circulaire relative à l’enseignement immersif en langue autochtone (Yann-Vadezour ar Rouz, Justice pour nos langues !, 10 janvier 2022, modifié le 11 janvier 2022).
  8. Contrat de plan Etat-Région Bretagne 2021-2027 (La préfecture et les services de l’État en région, 15 mars 2022).
  9. Convention spécifique pour la transmission des langues de Bretagne et le développement de leur usage dans la vie quotidienne 2022-2027 (La préfecture et les services de l’État en région, 15 mars 2022).