Justice pour nos langues !

Le rôle du Conseil supérieur des langues en question

Le Conseil supérieur des langues a vu le jour dernièrement. Mais s’agit-il réellement de créer les conditions d’une évolution politique en faveur des langues autochtones en France ? Rien n’est moins sûr…

Prévu par la circulaire du 14-12-2021 visant à donner un cadre légal à l’enseignement immersif en langue autochtone1, le Conseil supérieur des langues a officiellement été installé le 24 janvier 2022 en présence de Jean-Michel Blanquer, le ministre de l’Éducation nationale, de la jeunesse et des sports2. Le but de ce nouvel organe est de « valoriser et renforcer la qualité d'enseignement des langues vivantes étrangères, des langues vivantes régionales et des langues de l'Antiquité ».

Concernant les langues autochtones, le Conseil supérieur des langues se distingue notamment de la Délégation générale à la langue française et aux langues de France, puisqu’il est lié au ministère de l’Éducation nationale, et non au ministère de la culture. Les objectifs visés par ce nouvel organe sont :

Concrètement, le travail du Conseil des langues consistera à « dresser un état des lieux de la recherche en didactique des langues », éventuellement à « étudier les didactiques et les pratiques d’enseignement des langues mises en œuvre dans différents pays » et, enfin, à formuler « des préconisations ».3 Et comme il n’est pas spécifiquement centré sur la question des langues autochtones, il y a peut-être plus de chances qu’il soit plus actif que ne l’avait été en son temps le Conseil national des langues et cultures régionales, présidé par le Premier ministre, qui avait été créé par décret no 85-1006 du 23 septembre 19854. Le réseau Eskolim a rappelé que cet ancien conseil ne s’était, au final, jamais réuni5.

Le Conseil supérieur des langues est constitué de trois collèges : le collège langues vivantes étrangères, le collège langues vivantes régionales, et le collège langues et cultures de l’Antiquité. Les deux postes clé du collège langues vivantes régionales sont occupés par Anne Bisagni-Faure, la présidente, et Yves Bernabé, le secrétaire général.

Pour ce qui est d’Anne Bisagni-Faure, elle n’a pas suivi un parcours universitaire qui la prédestinait à traiter de la question des langues autochtones, car elle est diplômée… en médecine6. Au contraire, ce qui semble la relier avec ces langues, c’est plutôt son poste de rectrice de Bordeaux, où elle a été nommée le 24 juillet 2019 et où il lui a été reproché son refus d’autoriser la mise en place d’une nouvelle expérimentation d’immersion en basque en classes de petite et moyenne sections de maternelle à l’école publique Basté-Quieta de Saint-Pierre-d’Irube7. À noter que cette opposition a été manifestée à l’été 2020, soit quasiment un an avant la décision du Conseil constitutionnel du 21 mai 2021 censurant l’enseignement immersif en langue autochtone8.

Quant à Yves Bernabé, inspecteur général de l’éducation du sport et de la recherche, il est le co-auteur avec Sonia Dubourg-Lavroff d’un rapport sur le réseau Diwan, qui préconisait ni plus ni moins de mettre fin à l’enseignement immersif qui y est dispensé, alors même qu’il mettait en évidence l’excellence des résultats des établissements concernés9. Le sommet du collège langues régionales est donc constitué de deux partisans de la politique hostile aux langues autochtones menée par Jean-Michel Blanquer.

Concernant le collège langues vivantes régionales, il est ainsi à craindre, dans le cas où le Conseil supérieur des langues fonctionnerait réellement :

La probabilité pour que le Conseil des langues ait un impact positif sur la situation des langues autochtones avoisine donc le zéro. En effet, face à un problème, il est pour le moins douteux de donner à des personnes qui ont contribué à le créer la charge de sa résolution. À l’inverse, comment mieux faire obstruction aux langues autochtones qu’en chargeant leurs opposants du dossier ? La technique a d’ailleurs déjà fait ses preuves. Car, pour mémoire, le premier ministre en charge du Conseil national des langues et cultures régionales en 1985 était, à l’époque, Laurent Fabius. Et c’est précisément lui qui présidait, bien plus tard, le Conseil constitutionnel lorsque ce dernier censurait l’enseignement immersif en langue autochtone.

Et pour ce qui est des méthodes utilisées pour saper le travail d’un organisme, la Convention citoyenne pour le climat peut aussi faire figure d’exemple. Après l’engagement du président de la République, Emmanuel Macron, à ce que l’intégralité des 149 propositions, à l’exception de trois d’entre elles seulement, soient examinéees par le Parlement ou soumises à référendum, le nombre de propositions rejetées avaient curieusement augmenté, et la majorité des propositions finalement retenues n’ont été, en réalité, que partiellement reprises.

Comme jouée d’avance, la partition du gouvernement se dessine ainsi de manière assez limpide et peu novatrice. La nomination d’Anne Bisagni-Faure et d’Yves Bernabé à la tête du Collège langues vivantes régionales parait n’avoir rien de fortuit, et s’apparente bien plus une déclaration de guerre qu’à un signe d’apaisement. Il ne s’agit pas là, bien sûr, d’une entrée en guerre à proprement parler, puisque la guerre contre les langues autochtones était déjà entamée de longue date. Mais les signaux que le gouvernement envoie aux locuteurs des langues autochtones restent désespérément et invariablement au rouge. Et sa politique d’enfumage semble avoir la vie longue.

Notes :

  1. Circulaire du 14-12-2021 (NOR : MENE2136384C) (Bulletin officiel no 47 du 16 décembre 2021).
  2. Installation du Conseil supérieur des langues (Ministère de l’Éducation nationale de la jeunesse et des sports, site du ministère).
  3. Le Conseil supérieur des langues (Ministère de l’Éducation nationale de la jeunesse et des sports, site du ministère).
  4. Journal officiel de la République française – Lois et décrets, 117e année, no 223, mercredi 25 septembre 1985. P. 11046.
  5. Rapport Kerlogot-Euzet, une grande déception, copie à revoir – Communiqué de presse du 23.07.2021 (Eskolim, Justice pour nos langues !, 24 juillet 2021).
  6. Anne Bisagni-Faure, rectrice de Bordeaux et de la région académique Nouvelle-Aquitaine – Biographie (L’Étudiant, mise à jour en juillet 2019)
  7. Pétition « Non au refus de la Rectrice d’autoriser de nouvelles expérimentations immersives en basque », par un collectif de parents d’élèves bilingues, sur le site Change.org.
  8. Décision no 2021-818 DC du 21 mai 2021, par le Conseil constitutionnel.
  9. L’enseignement en immersion d’une langue vivante régionale : le réseau Diwan – Note à monsieur le ministre de l’Éducation nationale et de la jeunesse – Note no 2019-053 (Yves Bernabé et Sonia Dubourg-Lavroff, Ministère de l’Éducation nationale et de la jeunesse et Ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, juillet 2019).