La marginalisation des langues autochtones
L’idéologie assimilationniste est, en France, largement institutionnalisée. Elle s’appuie à la fois sur l’ethnocentrisme, le suprémacisme linguistique et la glottophobie. Sur le plan discursif, il s’agit d’inférioriser ou de nier les langues autres que le français, et, sur le plan pratique, d’y faire obstruction ou de les exclure. Les langues autochtones en sont notamment victimes, comme le montrent quelques exemples récents.
Sciences et Avenir, 1er septembre 2024
La revue Sciences et Avenir ayant titré « De l’alcool détecté… au centre de notre galaxie », elle publie alors sur les réseaux sociaux : « Les Bretons vont investir dans les voyages spatiaux »1. Qu’un magazine de vulgarisation scientifique participe ainsi à la stigmatisation d’une minorité autochtone ne semble pas poser problème à son équipe. Ce dénigrement, sous prétexte d’humour, ne coutera vraisemblablement tout au plus que quelques abonnements au périodique, et ne le mettra probablement pas en difficulté.
Du reste, que les Bretons apprécient ou qu’ils désapprouvent est sans conséquence. La justice n’a aucune considération pour le fait qu’ils se sentent ou non offensés. Les minorités autochtones peuvent faire l’objet de diffamations de toutes sortes, jusqu’aux injures et violences verbales à caractère raciste, les tribunaux français ne condamnent pas, car le droit français nie leur existence.
Enfin, de tels agissements ont évidemment un impact négatif sur les langues de ces minorités. Le laisser-faire de l’État illustre donc, une nouvelle fois, l’absence de réelle prise en compte de la disposition relative à sa participation à la promotion des langues autochtones prévue à l’article L1 du Code du patrimoine : « L’État et les collectivités territoriales concourent […] à la promotion de ces langues. »2 Les lois connaissent systématiquement, en France, un cruel défaut d’application dès lors qu’elles sont en faveur des langues autochtones.
Renaissance, 7 juin 2024
Dans le cadre des élections européennes, Mediabask a interrogé neuf listes candidates sur la question de « l’officialisation des langues territoriales dans l’UE » et a publié, le 7 juin 2024, leurs réponses, dont celle de la liste Renaissance est édifiante3.
En revanche, s’il s’agit de reconnaître ces langues pour en assurer une meilleure promotion et développer le nombre de locuteurs (ce dont l’euskara a besoin), cela peut s’envisager. Mais cette demande doit être déconnectée de toute revendication indépendantiste.
Une fois de plus, il a été tenu, sous la bannière du parti du président de la République, un discours tendancieux faisant apparaitre les langues autochtones comme un danger potentiel pour l’État. Pourtant, la prise en compte de besoins exprimés démocratiquement et reconnus explicitement ne saurait légitimement être soumise à des conditions relevant d’une politique autoritaire. Les victimes en seraient, de surcroit, les intéressés qui, pour la plupart, sont étrangers à la confrontation dans laquelle ils se trouvent pris en otage. Mais, ce type de considérations n’embarrasse guère la liste Renaissance, pour qui l’enjeu semble essentiellement consister à faire miroiter la possibilité d’un soutien à des mesures en faveur des langues autochtones tout en se préparant à motiver sa future opposition à ces avancées sans avoir à se dédire.
RTL, 31 mai 2024
Dans un édito de RTL, une journaliste de cette radio s’en prend à l’enseignement immersif4.
Je suis aussi pour qu’à l’école et au collège, on puisse découvrir la culture et l’art d’une région dans la langue de la région. […] Mais réclamer l’enseignement immersif, je suis contre.
Enseigner l’histoire-géo en basque ou les maths en breton ou la SVT en corse, non. On a une langue pour ça, c’est le français. Et franchement, parler français correctement de nos jours, ce n’est déjà pas si évident. Alors, je dis, assurons juste l’essentiel.
Sur la forme, qu’une journaliste fasse de son avis personnel un argument d’autorité est déjà déontologiquement très discutable. Mais le fond est tout aussi problématique, car si la journaliste considère que l’enseignement de diverses matières devrait toujours être effectué en français, cela ne repose que sur un présupposé idéologique relevant du nationalisme linguistique. Par sa prise de position, elle contribue, en effet, à diffuser une vision suprémaciste en posant, par principe, le monolinguisme francophone comme une norme, les langues autochtones devant nécessairement être confinées, en tant que langue d’enseignement, à la découverte de la culture et l’art d’une région, avec pour triple effet de mener vers une limitation de leurs domaines d’emploi, de développer une représentation folklorique de ces langues et d’en réduire l’attractivité.
D’autre part, baser son opposition à l’enseignement immersif sur une insuffisante maitrise générale du français est contradictoire dans la mesure où le bilinguisme précoce que permet cet enseignement amène les élèves à développer des capacités supplémentaires par rapport aux élèves monolingues. L’enseignement immersif pratiqué en France obtient d’ailleurs de meilleurs résultats que les autres types d’enseignement, y compris pour ce qui est de l’apprentissage du français5.
En outre, n’assurer que l’essentiel en matière d’enseignement, ainsi que le préconise la journaliste, irait à l’encontre des obligations légales. Et, quand bien même il serait entrepris de suivre un tel précepte, rien ne permet d’établir que l’enseignement dans les langues autochtones ne présente en aucun cas de caractère essentiel, alors qu’il se trouve, en réalité, être essentiel non seulement pour les personnes qui le réclament, mais aussi pour la préservation même de ces langues.
Enfin, la journaliste met en avant « une identité régionale » et défend l’idée que les langues autochtones constituent « un trésor national ». Mais comment les élèves pourraient-ils considérer que ces langues sont réellement précieuses si elles apparaissent comme impropres à l’enseignement de la plupart des matières ? Et comment peuvent-il acquérir la capacité à s’exprimer en langue autochtone dans tous les domaines couverts par l’enseignement si la plupart d’entre eux, ou même seulement quelques-uns, se trouvent exclus de l’enseignement qui leur est dispensé dans cette langue ?
Toute langue est condamnée dès lors qu’elle n’est pas pleinement langue d’enseignement. La Commission des droits de l’homme du Conseil économique et social des Nations unies établit d’ailleurs clairement un lien entre langue de l’enseignement et préservation de l’identité linguistique d’une minorité dans le Texte final du Commentaire sur la Déclaration sur les droits des personnes appartenant à des minorités nationales ou ethniques, religieuses et linguistiques : « Au cas où la langue de la minorité est une langue territoriale traditionnellement parlée et utilisée par de nombreux habitants d’une région du pays, les États devraient, en exploitant au maximum les ressources disponibles, veiller à ce que l’identité linguistique puisse être préservée. Idéalement, l’instruction préscolaire et primaire devrait dans ces cas-là se faire dans la langue de l’enfant, c’est-à-dire la langue de la minorité parlée à la maison. »6
Outre-mer la 1ère, 20 janvier 2024
L’occitan, ou langue d’oc, langue traditionnellement parlée sur un vaste territoire comprenant notamment la majeure partie du tiers Sud de la métropole, dispose, selon l’Office public de la langue occitane, d’un million de locuteurs7, dont, selon une enquête sociolinguistique de 2020, environ 542 000 de 15 ans et plus dans la partie Ouest, correspondant aux régions Nouvelle-Aquitaine et Occitanie et au territoire frontalier du Val d’Aran, en Espagne8. Pourtant, Outre-mer la 1ère n’hésite pas à enterrer vivants ce million de locuteurs en affirmant que leur langue est aujourd’hui disparue9.
Quant à ses racines occitanes (avec en mémoire, la langue d’Oc aujourd’hui disparue), elles fondent en grande partie ses affinités envers ce pays qui a du également concilier la survivance de son créole vis-à-vis de la langue de l’ancien maître, le français.
Vœux du président de la République aux Français, 31 décembre 2023
Le nouvel an 2024 a été une nouvelle occasion pour Emmanuel Macron de conforter le nationalisme d’État, en posant comme intangibles les procédés assimilationnistes en œuvre, lesquels procèdent de l’affirmation d’une unicité de culture, d’histoire et de langue : « La France, c’est une culture, une histoire, une langue, des valeurs universelles qui s’apprennent dès le plus jeune âge, à chaque génération. »10 Un projet politique intégrant les peuples autochtones et donnant toute leur place à leurs langues et à leurs cultures n’est malheureusement toujours pas à l’étude. Pourtant, il ne saurait y avoir de valeurs universelles allant à l’encontre des droits humains fondamentaux et du respect de la diversité linguistique ou culturelle.
Le Rapporteur spécial de l’ONU sur les questions relatives aux minorités, Fernand de Varennes, rappelle que « les enfants des minorités linguistiques doivent recevoir un enseignement dans leur propre langue lorsque cela est possible afin de parvenir à une éducation inclusive et de qualité et de respecter les droits de l’homme de tous les enfants », et précise que « ne pas utiliser une langue minoritaire comme moyen d’instruction lorsque cela est possible, signifie fournir une éducation qui n’a pas la même valeur ou le même effet »11. En oute, le Texte final du Commentaire sur la Déclaration sur les droits des personnes appartenant à des minorités nationales ou ethniques, religieuses et linguistiques indique que « l’enseignement de la langue ou des langues officielles devrait être introduit peu à peu à un stade ultérieur » à « l’instruction préscolaire et primaire »6. Aussi, ce n’est absolument pas « dès le plus jeune âge » que cet enseignement devrait être dispensé pour les minorités linguistiques.
Assemblées délibératives, 20 octobre 2023 et 8 décembre 2023
Selon le Conseil constitutionnel, la Constitution ne s’oppose pas à l’usage des traductions, ainsi que cela apparait aux considérants 7 et 8 de sa décision no 99-412 DC du 15 juin 1999, et cette jurisprudence a été confirmée à plusieurs reprises, comme dans la décision no 2006-541 DC du 28 septembre 2006 : « l’article 2 de la Constitution n’interdit pas l’utilisation de traductions ». Pourtant, dans la pratique, il est fréquemment fait obstacle aux traductions dans les assemblées délibératives, y compris, paradoxalement, lorsqu’il est question d’adopter des dispostions en faveur des langues autochtones.
Session du Conseil municipal de Nantes, 8 décembre 2023
Alors que les débats portaient sur l’accession de la ville de Nantes au deuxième échelon de la charte Ya d’ar brezhoneg / Oui au breton, Valérie Oppelt, faisant suite à la demande de Johanna Rolland, a interrompu les propos bilingues de Pierre-Emmanuel Marais-Jegat, adjoint à la maire de Nantes, qui célébrait la diversité culturelle et linguistique, ainsi que l’explique l’élu dans une lettre ouverte à Valérie Oppelt13. Face à la surprise et à l’incompréhension de l’élu, Mounir Belhamiti a asséné que « la langue de la République est le français », ce à quoi Florian Le Teuff, porteur de la délibération, a rétorqué : « La promotion des langues régionales est inscrite dans la Constitution de la République. »14
Session du Conseil départemental des Pyrénées-Atlantiques, 20 octobre 2023
Au moment où, il s’agissait de faire passer une motion sur les langues autochtones, Iker Elizalde, conseiller départemental de Hendaye-Côte Basque-Sud, lisant la motion, dont la partie en basque n’était qu’une traduction, a alors été coupé par le président du conseil départemental des Pyrénées-Atlantiques, Jean-Jacques Lasserre15. La notion de respect s’est curieusement trouvée inversée, puisqu’elle a été invoquée, non pas pour laisser un conseiller lire une motion traduite dans sa langue, mais au contraire, pour l’en empêcher. La glottophobie a ainsi, une fois de plus, pris le pas sur la liberté d’expression en langue autochtone, et, en l’occurrence, en basque.
Jean-Jacques Lasserre — Monsieur Elizalde, pardonnez-moi, ne voyez pas dans mon…
Un autre conseiller départemental — Par respect pour les autres !
Jean-Jacques Lasserre — … dans mon observation…
L’autre conseiller départemental, à nouveau — Par respect pour les autres !
Jean-Jacques Lasserre — Sincèrement, entre nous, la pratique que vous faites de la langue basque… On connait vos convictions ! La démonstration appuyée que vous faites n’apporte rien au débat, si ce n’est de mettre dans la gêne ceux qui ne vous comprennent pas.
Iker Elizalde — Mais, c’est la traduction de ce que j’ai dit en français…
Jean-Jacques Lasserre — Non, mais, vous ne vous adressez qu’à vous, là ! Revenons au fond de la proposition qui est la nôtre…
Iker Elizalde — Oui, oui, d’accord, d’accord !
Jean-Jacques Lasserre — … et du texte commun sur lequel nous avons convenu dans la langue de la République accessible par tous.
Iker Elizalde — J’entends, monsieur le président, mais je m’étonne de cette réaction, c’est tout. OK, je lis la motion qu’on a voté…
Jean-Jacques Lasserre — Il y a longtemps que j’ai passé le stade de la culture de mon propre plaisir [passage incompris] discipline collective. Voilà ! C’est tout !
Iker Elizalde — La motion que je vous ai envoyée, je l’ai envoyée, cette fois-ci, dans les deux langues. Je pensais qu’il n’y avait pas de problème pour la lire dans les deux langues. Je vois que oui…
Jean-Jacques Lasserre — Le texte ! On a convenu sur un texte ou pas ?
Iker Elizalde — Oui, oui, sur le texte, il n’y a de soucis… Mais, je m’étonne que ce soit perçu presque comme une agression de dire trois mots d’euskara. Ce n’est pas grave…
Jean-Jacques Lasserre — Oh ! Oh ! Oh ! Rendez-vous compte ! J’ai autant de souffle que vous ! Allez-y, et développez si vous voulez ! On y va !
Iker Elizalde — Mais non, je ne vais pas développer. C’était juste de la lecture…
Jean-Jacques Lasserre — Mais, non ! On se connait trop pour ne pas sacrifier à ce genre de démonstration, voyons !
Iker Elizalde — Mais, il n’y a pas de démonstration. Enfin, je…
Jean-Jacques Lasserre — Mais, on connait votre…
Iker Elizalde — Je ne comprends pas les réactions qu’il y a eu, c’est tout… Mais ce n’est pas grave ! Allez, motion pour que vivent nos langues, donc, accordée avec l’exécutif. […]
[…]
Yves Salanave-Péhé — Que podem parlar, si !
Jean-Jacques Lasserre — Si…
Yves Salanave-Péhé — En libertat.
Jean-Jacques Lasserre — Mais, bien sûr…
Yves Salanave-Péhé — Bon ! Président, je suis chargé de porter la parole du groupe. Nous allons voter avec enthousiasme cette motion. Mais, je vais quand même l’assortir de quelques remarques personnelles qui sont, je crois, partagées par beaucoup de gens, ici, autour de la table… autour de l’hémicycle. Ce n’est pas la première fois qu’on parle de la nécessité de faire vivre nos langues régionales. […] Mais, permettez-moi, quand même, de noter ce paradoxe, que, d’abord, ici, autour de l’hémicycle, on ne les pratique pas. Et je regrette que vous ayez interrompu dans son élan Iker, parce que, moi, ça me fait plaisir d’écouter, d’entendre la langue basque, même si je ne la comprends pas complètement. De temps en temps, je suis désolé, on devrait s’autoriser à parler nos langues…
Jean-Jacques Lasserre — Oui, bien sûr…
Yves Salanave-Péhé — … avec tout le respect qui leur est dû, et s’écouter un peu dans la langue qui, encore une fois, fait partie de notre héritage. Et je pense que ce serait une bonne chose. […]
Travail en commission à la Région Bretagne, 7 décembre 2023
Béatrice Macé, vice‐présidente à la Région Bretagne, s’exprime sur le fest-noz en le ciblant spécifiquement : « Le fest-noz est un cas à part » ; et elle laisse alors s’exprimer son aversion pour le monde qui s’y rapporte en le stigmatisant : « Je dirais qu’on n’est plus en cercle celtique danse traditionnelle, on est chez les attardés. »12 Avec ou sans excuses, de tels propos sont évidemment incompatibles avec sa fonction en charge de la culture, des droits culturels et de l’éducation artistique et culturelle, le fest-noz étant, en outre, inscrit au patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’Unesco.
Le déséquilibre de genre qui a été relevé est évidemment une vraie problématique. Mais cela saurait justifier un tel mépris. Et celui que l’élue a exprimé est d’autant plus déplacé que la commission à laquelle elle participait avait notamment pour objet le plan de réappropriation des langues de Bretagne. Or, outre ses fonctions culturelle et sociale, le fest-noz est aussi un des rares espaces d’expression pour la langue bretonne et la langue gallèse, non seulement dans le domaine du chant, mais aussi de la vie qui s’y déroule, du fait des échanges spontanés qui s’y effectuent régulièrement dans ces langues. Cela peut permettre de mieux mesurer combien les mots de l’élue s’avèrent, pour beaucoup, à la fois particulièrement violents, offensants et blessants.
TV5Monde, 16 octobre 2023
Pour la plupart, nos hommes politiques ont, par bonheur, abandonné le vocabulaire dévalorisant ayant servi à opérer une distinction entre « la langue », pour désigner le français, et « les patois », pour les autres langues. Mais, si la phraséologie a changé, il n’a pas été mis fin à la hiérarchisation des langues pour autant. Pour s’en convaincre, il suffit d’observer l’immense écart entre la langue française, qui, selon une idée reçue largement diffusée, serait universelle, et les langues autochtones, qui, par contraste, seraient, au choix, incapables de porter des valeurs humanistes, nécessairement sources de dissensions, ou destinées à être confinées à des communautés linguistiques locales. D’une manière ou d’une autre, c’est un rapport de domination qui se trouve ainsi instauré, et que les médias tendent à conforter.
Un entretien récent réalisé par TV5Monde oppose ainsi le français aux autres langues en posant l’universalité du français comme une évidence16. Telle qu’elle a été conçue, la Cité internationale de la langue française constitue malheureusement un sujet particulièrement propice à la diffusion de ce type de représentations biaisées.
TV5Monde : La francophonie peut-elle à la fois défendre l’universalité du français et la légitimité de toutes les langues, y compris les langues régionales et locales ?
Eugène Ebodé : L’universel est partout et non en un seul lieu ou en une langue. Aucune partie de l’humanité ne peut s’en arroger le monopole et se poser comme l’unique dépositaire de ce qui est un idéal.
Ceux qui ont été tentés de s’en approprier ont abouti à l’inverse : à l’ethnocentrisme.
Arte, 16 juin 2023 et 11 aout 2023
Une animation de Benoît Forgeard stigmatisant les langues autochtones, intitulée « Les langues vont-elles disparaître ? », est diffusée dans l’émission « 28 minutes » d’Arte le 16 juin 2023, et redifusée du 11 août 2023 dans cette même émission. Très peu informative, son objet semble surtout avoir pour objectif de dévaloriser les langues autochtones.
L’auteur y pose l’inutilité des langues autochtones, qu’il qualifie tantôt de « dialectes », tantôt de « patois », comme une évidence : « Après tout, n’y a-t-il pas bon nombre de dialectes superflus sur cette planète ? » Il tourne ensuite en ridicule les entreprises de revitalisation de ces langues en présentant des actions grotesques en ce sens, mais tirées de sa seule imagination : « Il s’agirait de rémunérer des locuteurs volontaires, et de les lâcher dans la nature en les encourageant à taper la discut’ au maximum. On pourrait même combiner ce dispositif avec celui visant à combattre les déserts médicaux. Vous ne comprenez rien à ce que vous dit le docteur ? Pas d’inquiétude, c’est parce qu’il parle le cherokee, langue amérindienne en voie d’extinction. Hi-han-ho-hoa. »
La chaine a alors été contactée17. Elle a été interrogée sur la logique qu’elle poursuivait en diffusant une animation prônant l’acculturation linguistique sur une chaine culturelle. Il lui a été demandé un éclairage dans le respect de tous ceux qui auront vu cette animation et qui ne comprennent pas la démarche de la chaine ou qui auront été affectés par cette diffusion. Et il lui a été demandé, alors qu’elle a adopté, en 2016, le slogan « Arte, ouverture permanente », si cette ouverture vaut en 2023 vis-à-vis des langues autochtones.
Arte s’est contenté d’envoyer une réponse type, et n’a pris la peine de fournir aucune explication permettant de répondre aux questions soulevées. Comme d’autres contenus de cette période, l’animation concernée n’est plus disponible sur le site d’Arte18. La raison semble uniquement provenir du renouvellement habituel des contenus de son site.
Ministère de la culture, 2023
Le ministère de la culture proclame très sérieusement : « Tous les citoyens ont […] le droit démocratique, garanti par la loi, de recevoir une information et de s’exprimer dans leur langue. » Cela découlerait, selon le ministère, de l’article 2 de la Constitution, alors que la jurisprudence constitutionnelle dit explicitement le contraire. En effet, selon le Conseil constitutionnel, cet article, en stipulant que « la langue de la République est le français », restreint en réalité ce droit aux seuls citoyens de langue française. Rappelons que, malgré la perpétuation d’une longue politique de francisation ouvertement assimilationniste, les citoyens français ne sont pas tous francophones, en particulier dans les Outre-mers.
La citation mentionnée est extraite du site Internet du ministère de la culture19, et provient du Rapport au Parlement sur la langue française 2023, de la Délégation générale à la langue française et aux langues de France20. Il pourra être noté, au passage, combien cette délégation nie la réalité linguistique de la France, et combien les droits des personnes appartenant à des minorités linguistiques sont absents de ses préoccupations.
Élections régionales, 9 juillet 2015
Le sénateur Bruno Retailleau, candidat aux élections régionales en Pays de la Loire avance que la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires par la France pourrait entrainer « l’affaiblissement de notre unité nationale » et considère que l’usage des langues autochtones fragiliserait l’unité française et la France elle-même : « Attention à ne pas introduire à l’école de la République une nouvelle forme de communautarisme, après le communautarisme culturel et confessionnel : le communautarisme linguistique… Attention à ne pas créer une fuite en avant identitaire où chaque groupe culturel exigerait d’utiliser dans l’espace public la langue à laquelle il est attaché, plutôt que la langue française. L’unité linguistique a toujours été le socle de l’unité française. Fragiliser la langue française, c’est fragiliser la France. »21
La Charte européenne des langues régionales ou minoritaires consiste en une série de dispositions devant assurer la mise en œuvre de droits humains fondamentaux. La reconnaissance de l’ensemble de ces droits, qui implique notamment le respect des langues de tous les citoyens, à plus forte raison s’agissant de langues autochtones, ne peut que contribuer à l’adhésion des administrés à l’État, et donc à la cohésion du pays.
Notes :
- « Les Bretons vont investir dans les voyages spatiaux », par Sciences et Avenir, Facebook, 1er septembre 2024, 22 h 13.
- « Code du patrimoine – Article L1 », sur le site Légifrance.
- « Les propositions de neuf listes candidates au scrutin du 9 juin », par Félix Thommen, Mediabask, 7 juin 2024.
- « Édito - Langues régionales : elles sont “le patrimoine d’une région”, défend Alba Ventura », par Alba Ventura, RTL, 31 mai 2024, 8 h 22.
- « Les bénéfices de l’usage des langues autochtones », Justice pour nos langues !, 6 septembre 2021, modifié le 22 mars 2024.
- « Texte final du Commentaire sur la Déclaration sur les droits des personnes appartenant à des minorités nationales ou ethniques, religieuses et linguistiques », sur le site de la Bibliothèque numérique des Nations unies. Point 61, page 15.
- « Bien plus qu’une langue », sur le site de l’Office public de la langue occitane.
- « Communiqué de presse – La langue occitane : on en parle ! Résultats de l’enquête sociolinguistique 2020 », sur le site de l’Office public de la langue occitane, 31 août 2020.
- « Coraly Zahonero de la Comédie Française fait entendre la poésie d’Haïti », par Patrice Elie Dit Cosaque, Outre-mer la 1ère, 20 janvier 2024, 10 h 36.
- « Vœux aux Français pour 2024 », sur le site de l’Élysée, 31 décembre 2023. De 5:52 à 6:01.
- « Les États doivent éduquer les enfants des peuples autochtones dans leur langue maternelle (expert) », ONU Info, 11 mars 2020.
- « « Attardés », les festoù-noz ? Le dérapage de la vice-présidente bretonne à la culture », par Romain Roux, Le Télégramme, 5 janvier 2024, 19 h 30.
- « Lettre ouverte de Pierre-Emmanuel Marais-Jegat à Valérie Oppelt », Justice pour nos langues !, 14 décembre 2023.
- « La ville de Nantes s’engage pour la transmission du breton », par Yasmine Tigoé, Ouest-Fance, 10 décembre 2023, 18 h 41.
- « Session du Conseil départemental des Pyrénées-Atlantiques du 20 octobre 2023 », vidéo postée par Le 64 sur Youtube, 20 octobre 2023. De 5:56:24 à 5:58:00, puis de 6:18:24 à 6:20:02.
- « Cité de la langue française à Villers-Cotterêts : « La francophonie ne doit pas être un instrument d’une puissance. » », par Christian Eboulé, TV5Monde, 16 octobre 2023, 8 h 24 (TU).
- « Lettre ouverte à Arte suite à la diffusion de l’animation « Les langues vont-elles disparaître ? » », Justice pour nos langues !, 15 août 2023, modifié le 15 septembre 2023.
- « « Les langues vont-elles disparaître ? », 28 minutes - 11/08/23 », Arte.
- « La langue française, un bien commun », sur le site du Ministère de la Culture.
- Rapport au Parlement sur la langue française 2023, sur le site du Ministère de la Culture. Page 7.
- « Bruno Retailleau ne veut pas d'une charte », Ouest-France, 9 juillet 2015, 0 h 00, modifié à 9 h 28.