Justice pour nos langues !

Répression annoncée après l’interdiction du basque
aux épreuves du baccalauréat

Ces dernières années ont été marquées par une grande instabilité pour ce qui est de l’usage des langues autochtones aux examens du brevet et du baccalauréat. L’histoire récente du basque au baccalauréat, en particulier, apparait mouvementée et révélatrice de l’état de la politique linguistique actuelle. Et d’après les dernières nouvelles en date, l’utilisation du basque par certains candidats au baccalauréat 2024 lors du grand oral risque d’être suivie de sanctions.

À l’époque de l’adoption de la réforme du baccalauréat de 2018, les pratiques concernant l’usage du basque aux examens ont été soudainement remises en question, et la possibilité de passer des épreuves du baccalauréat en langue autochtone est alors devenue cahotique. Pourtant, plusieurs dispositions ont été invoquées en faveur de la possibilité d’utiliser le basque à cet examen.

L’article L121-3 du Code de l’éducation traite de la langue des examens. Et il prévoit une possibilité de composer en langue autochtone pour répondre aux besoins de l’enseignement de cette dernière : « La langue de l’enseignement, des examens et concours, ainsi que des thèses et mémoires dans les établissements publics et privés d’enseignement est le français. Des exceptions peuvent être justifiées » par plusieurs motifs, dont « les nécessités de l’enseignement des langues et cultures régionales ou étrangères »1.

La Convention entre le ministère de l’Éducation nationale, la fédération Seaska et l’Office public de la langue basque pour la période 2019-2022 prévoyait cette possibilité dès l’année de sa signature, en 20192. Il y était indiqué que « les élèves des filières bilingues et immersives pourront présenter une partie de l’épreuve terminale du grand oral en langue basque. » Et que « la possibilité est également offerte aux élèves de la voie professionnelle de composer en basque aux épreuves d’histoire-géographie et mathématiques du baccalauréat. »

La circulaire du 14 décembre 2021, publiée par le ministère de l’Éducation nationale, va dans le même sens. Elle concerne l’enseignement bilingue quelle que soit la langue autochtone : « Les élèves ayant suivi ce cursus bilingue peuvent présenter au baccalauréat des épreuves en langue régionale »3.

En 2022, malgré ces textes, la rectrice de l’Académie de Bordeaux, Anne Bisagni-Faure, a décidé, concernant le baccalauréat, et de supprimer la possibilité de composer des épreuves écrites en basque, alors que le basque avait été autorisé auparavant pour deux épreuves écrites, à savoir l’histoire-géographie et les mathématiques, et de ne permettre de présenter une partie du grand oral en langue autochtone qu’aux élèves ayant opté au baccalauréat pour la spécialité langue régionale. Seaska a alors déposé un recours en référé au sujet du grand oral auprès du tribunal administratif de Pau, lequel a rendu sa décision fin mai 2022, mais le ministère de l’Éducation nationale, représenté par Anne Bisagni-Faure a obtenu gain de cause4.

Il y avait pourtant de solides raisons d’espérer que la décision du juge des référés aurait remis un peu de cohérence dans les pratiques. Les textes fournissaient d’ailleurs des arguments qui ne se limitaient pas au seul cas du grand oral.

Premièrement, l’autorisation du basque au baccalauréat pour la composition des épreuves d’histoire-géographie et de mathématiques et pour la présentation d’une partie du grand oral, qui a existé pendant des années, montre que la possibilité offerte à des élèves de composer dans cette langue aux épreuves concernées était considérée comme conforme au Code de l’éducation, et donc reconnu comme relevant des nécessités de l’enseignement des langues et cultures dites régionales. Or, aucune raison qui permettrait d’expliquer que cet enseignement ne serait désormais plus soumis aux mêmes nécessités n’a été avancée.

Deuxièmement, la Convention 2019-2022 était très claire sur ces possibilités offertes aux élèves pour les épreuves du baccalauréat. Et elle n’était pas encore arrivée à son terme lorsque le recours avait été déposé.

Troisièmement, la circulaire du 14 décembre 2021 autorise les élèves suivant un cursus bilingue à présenter des épreuves en langue régionale au baccalauréat. Mais, comme il n’a jamais été précisé lesquelles, il n’apparait aucune restriction sur les épreuves concernées. L’application de cette circulaire devrait donc permettre aux élèves ayant suivi un cursus bilingue impliquant une langue autochtone de présenter toute épreuve du baccalauréat dans cette langue.

Inopportunément, le juge a tranché dans l’autre sens pour le grand oral. Et Seaska n’est ainsi pas parvenu à obtenir la possibilité de composer en basque pour les candidats au baccalauréat de quelque filière que ce soit par voie de justice.

Au-delà de son issue, cette procédure montre combien le dialogue avec l’État est difficile au sujet des langues autochtones, tant il reste fermé sur les questions qui en relèvent. Et il ne semble guère y avoir d’amélioration, puisque, bientôt deux ans après qu’elle ait pris fin, la Convention 2019-2022 n’a toujours pas été renouvelée.

Cependant, la lutte pour la langue est aussi une lutte pour la vie. Aussi, il n’est pas question pour les promoteurs du basque de baisser les bras. À l’approche du baccalauréat 2024, ils ont décidé d’offrir une possibilité pour des candidats de s’exprimer en basque lors de l’épreuve du grand oral, grâce à un badge permettant d’identifier les examinateurs bascophones, initiative qui a aussi été soutenue par des enseignants non bascophones5.

Et quelques temps plus tard, souhaitant une résolution du problème, le député Eñaki Echaniz a interpelé, le 18 septembre 2024, la directrice de l’enseignement scolaire, Caroline Pascal, en commission des affaires culturelles et de l’éducation6. Après avoir dressé le constat que, d’une part, les élèves des filières bilingues publiques ou confessionnelles, contrairement à ceux des filières immersives associatives, subissent une interdiction de composer l’épreuve de sciences en langue autochtone au diplôme national du brevet, et que, d’autre part, aucune décision ministérielle ne précise quelles sont les épreuves du baccalauréat pouvant être présentées en langue autochtone par les élèves ayant suivi un cursus bilingue, conformément à ce que prévoit la circulaire du 14 décembre 2021, le député a demandé à connaitre le calendrier et la feuille de route du ministère concernant les conditions de passage des examens en langues autochtones avant la session 2025, afin d’éviter un éventuel blocage, et à savoir si tous les interlocuteurs seront associés à cette réflexion et quels seront les moyens mis en œuvre sous le nouveau mandat en cours.

La directrice de l’enseignement scolaire a indiqué qu’aucune avancée n’était prévue : « Sur l’enseignement des langues vivantes régionales, pour l’instant, nous sommes à réglementation constante […], donc il n’y a pas d’évolution portée en ce sens pour l’instant. Encore une fois, c’est du registre politique et du registre d’une décision de ministre que je ne pourrai pas prendre. » La directrice de l’enseignement scolaire ne semble pas avoir envisagé la possibilité de soumettre la question au ministre après sa nomination.

Pour en revenir à l’opération consistant à permettre aux élèves de s’exprimer en basque au grand oral sans attendre le feu vert que l’académie refuse de donner, elle a été considérée comme une réussite par ses promoteurs. Cette démarche, qui se veut constructive, montre combien la pérennisation souhaitée répond à une attente et combien les enseignants entendent faciliter sa mise en œuvre7.

La situation qui se présente actuellement est inédite et totalement ubuesque. Face à la crispation de l’État sur les problématiques liées aux langues autochtones, ce sont ainsi des enseignants eux-mêmes qui se sont organisés pour appliquer une circulaire ministérielle en vigueur, palliant ainsi au manque des services de l’État, qui, de leur côté, refusent de la faire appliquer, en faisant, pour cela, abstraction de l’article L121-3 du Code de l’éducation. À présent, l’académie augmente encore la pression avec une menace de répression, puisqu’elle a informé, le 30 septembre 2024, qu’une enquête était ouverte sur l’usage du basque au grand oral8. Il faut donc s’attendre à ce que soient sanctionnées des personnes qui se seraient conformées à la circulaire.

Enfin, ce traitement du basque montre que l’exclusion des langues autochtones aux examens du baccalauréat pour toute question qui ne concerneraient pas l’enseignement de spécialité langue régionale ne s’explique aucunement par des raisons de difficultés organisationnelles. Elle révèle seulement une volonté politique de faire obstruction aux langues autochtones. Mais, au besoin, il peut être rappelé que le rôle de l’État, défini par la loi, ne consiste ni à faire obstruction à l’usage des langues autochtones, ni à les réprimer ; il se définit, même s’il se refuse encore largement à l’assumer, comme l’exact opposé de cela : « L’État et les collectivités territoriales concourent […] à la promotion de ces langues. »9

Notes :

  1. « Code de l’éducation – Article L121-3 », sur le site Légifrance.
  2. « Hezkunde nazionaleko ministerioaren, Seaska federazioaren, eta Euskararen erakunde publikoaren arteko hitzarmena – 2019 - 2022 – Convention entre le ministère de l’Éducation nationale, la fédération Seaska et l’Office public de la langue basque », sur le site de l’Euskararen erakunde publikoa – Office public de la langue basque. P. 15.
  3. « Langues et cultures régionales – Cadre applicable et promotion de leur enseignement », sur le site Légifrance.
  4. « Un pas en arrière pour l’usage du basque dans les épreuves du baccalauréat », par Yann-Vadezour ar Rouz, Justice pour nos langues !, 12 juin 2022, modifié le 13 juin 2022.
  5. « Des enseignants vont permettre le grand oral en euskara », par Haizpea Abrisketa, Mediabask, 19 juin 2024.
  6. « Ce matin je suis revenu en commission des affaires culturelles et de l’éducation pour interroger Mme Pascal, nouvelle directrice de l’enseignement scolaire, sur la feuille de route du ministère concernant les conditions de passage des examens en langues régionales », par Iñaki Echaniz, Facebook, 18 septembre 2024, 17 h 45.
  7. « Le grand oral en euskara : pari réussi pour les examinateurs », par Goizeder Taberna, Mediabask, 23 septembre 2024.
  8. « Bordeaux ouvre une enquête », Mediabask, 1er octobre 2024, 7 h 10.
  9. « Code du patrimoine – Article L1 », sur le site Légifrance.