Justice pour nos langues !

La détermination des élèves de Diwan
surpasse l’inertie du ministre de l’Éducation

Des collégiennes et collégiens scolarisés dans des établissements Diwan, pratiquant un enseignement par immersion en breton, s’étaient montrés décidés à rédiger en breton leurs épreuves de sciences du brevet. Ils ont obtenu gain de cause ; en principe, leurs copies devraient bien être corrigées. Mais tous les problèmes ne sont pas résolus pour autant…

En mars 2023, une dérogation permettant aux collégiennes et aux collégiens de rédiger en basque les épreuves de sciences du brevet avait été octroyée par le ministre de l’Éducation nationale, Pap Ndiaye. Le réseau Diwan avait alors essayé d’obtenir également une dérogation pour le breton. Mais cette dérogation ne semblait toujours pas acquise quelques jours à peine avant les épreuves1.

Le 20 juin 2023, Ouest-France a révélé que onze collégiennes et collégiens étaient résolus à composer les épreuves de sciences en breton, quitte à sacrifier leurs notes à l’examen dans ces matières2. De son côté, le réseau Diwan a publié un communiqué de presse le 23 juin 2023, dans lequel il se demandait s’il y aurait une différence de traitement entre les élèves de Diwan et les élèves basques et invoquait le principe d’égalité3. Le lendemain, le réseau Diwan apprenait que l’académie de Rennes avait obtenu la dérogation du ministre, ce que Ouest-France a dévoilé dans un article du 25 juin 2023, à deux jours à peine des épreuves de sciences4. Les élèves du collège de Saint-Herblain, qui dépendent de l’académie de Nantes, sont, quant à eux, restés dans l’incertitude jusqu’au dernier moment, mais ont finalement pu rédiger leurs épreuves de sciences en breton aussi, avec l’assurance que leur copies seraient également corrigées5.

L’action des collégiennes et collégiens a donc porté ses fruits ; leurs copies seront finalement corrigées. Et c’est là une victoire remarquable de la part de ces jeunes, qui parviennent ainsi à débloquer une situation, alors que l’État semblait décidé à s’opposer à toute évolution. Ce sursaut du ministre pourrait ne pas être étranger à certaines considérations juridiques, car en corrigeant les réponses en basque, mais non en breton, les collégiennes et collégiens auraient alors subit un préjudice lié à une discrimination fondée sur la langue dans le cadre du droit à l’éducation. Et l’État aurait alors enfreint les droits garantis par la Convention européenne des droits de l’homme, puisqu’il serait allé à l’encontre de la combinaison de son article 14, traitant des discriminations, y compris fondée sur la langue, avec l’article 2 du protocole no 1, sur le droit à l’éducation6. L’image de Pap Ndiaye, spécialiste des minorités et engagé dans la lutte contre les discriminations, en aurait certainement pris un coup.

L’existence d’une dérogation ne rend pas la situation reluisante pour autant. Il subsiste en effet, quelques ombres au tableau. Premièrement, le dialogue reste défaillant, car cet incident tend à montrer que la moindre concession en faveur de la prise en compte des langues autochtones ne peut être arrachée que conflictuellement. Deuxièmement, l’information de dernière minute n’aura malheureusement pas permis aux élèves de bénéficier de conditions de révisions sereines, et aura probablement dissuadé nombre de collégiens et de collégiennes de se préparer en breton à leurs épreuves de sciences. Troisièmement, la possibilité de rédiger les épreuves de sciences en langue autocthone ne concerne ni toutes les langues, ni même toutes les filières pour les langues concernées7. Et, quatrièmement, la dérogation qui a été délivrée par le ministre n’établit pas une situation pérenne.

Pour remédier à ce dernier point, le réseau Diwan entend maintenant que cette avancée figure dans la convention à laquelle il prend part avec la Région et l’État8. Cela constituerait une garantie minimum, bien que toujours provisoire. La réponse adaptée serait, en réalité, la reconnaissance d’un droit, et donc un traitement législatif. Mais la question des droits linguistiques reste encore largement écartée du débat politique, même lorsque de tels droits apparaissent comme une nécessité démocratique.

Notes :

  1. En dépit de l'interdiction, des élèves de troisième vont écrire en breton pour l'épreuve de sciences du brevet, par Tom Kerkour, BFMTV, 22 juin 2023, 17 h 52.
  2. Malgré l’interdiction, ces collégiens vont écrire en breton pour le brevet, Alexis Vignais, Ouest-France, 20 juin 2023, 18 h 09, modifié le 21 juin 2023 à 11 h 30.
  3. Brevet des collèges en breton : les collégien·nes de Diwan moins bien traité·es que les basques ?, Rouedad Skolioù Diwan, 23 juin 2023.
  4. Au brevet 2023, les copies de collégiens rédigées en breton seront bien corrigées, par Nelly Cloarec, Ouest-France, 25 juin 2023, 16 h 45, modifié à 18 h 40.
  5. À Nantes, les collégiens de Diwan ont pu passer les épreuves scientifiques du brevet en breton, par Yasmine Tigoé, Ouest-France, 27 juin 2023, 18 h 26.
  6. Convention européenne des droits de l’homme.
  7. Communiqué : Épreuves de sciences du brevet : une avancée pour Seaska et Diwan, mais un droit qui reste à généraliser pour toutes les langues et filières, Pour que vivent nos langues, 27 juin 2023.
  8. Correction des copies en breton des épreuves de science : une avancée à confirmer dans le temps, Rouedad Skolioù Diwan, 26 juin 2023.