Justice pour nos langues !

L’élaboration d’un discours :
de Bretagne Culture Diversité au Musée de Bretagne

Par le biais de son exposition « Celtique ? », le Musée de Bretagne a mis le celtisme à l’honneur ces derniers temps, bien que d’une manière particulièrement critiquable, et qui n’a pas manqué d’être critiquée. L’association Bretagne Culture Diversité étant partenaire de cette exposition, il peut être intéressant de se pencher sur ce qu’elle relaye sur le sujet. Pour cela, deux éléments emblématiques de la culture bretonne, dont le caractère celtique ne semble pas faire débat, seront examinés, le gouren et la langue bretonne, et mis en relation avec l’exposition « Celtique ? ». Puis un regard sera posé sur la manière dont se positionne l’association et sur les conséquences qui en découlent, en s’appuyant notamment sur un des sites de l’association.

L’association Bretagne Culture Diversité, par le biais de différents sites Internet, propose de la documentation en ligne, et cela est très louable. Cette documentation est d’autant plus accessible qu’elle mise à disposition gratuitement. L’un de ses sites, Bécédia, est, comme l’indique sa page d’accueil, « un site de ressources inédites sur la Bretagne et ses habitant.e.s ». C’est de ce site que proviennent les articles « Le gouren, une tradition moderne » d’Aurélie Épron1 et « Le breton, langue de Basse-Bretagne » de Nelly Blanchard2, dont le contenu sera analysé dans un premier temps.

Les origines du gouren

Dans l’article sur le gouren, de 20161, plusieurs techniques d’écriture ont pour effet de faire passer l’idée que le gouren n’aurait, en réalité pas d’origine celtique.

Tout d’abord, le titre pose le gouren comme « une tradition moderne ». Comme il est difficile de concevoir en quoi cette lutte ancienne aurait été en avance sur son temps, cette formule, laisse plutôt à penser, à tort, que la tradition du gouren est récente. L’ambigüité présente dans le titre aurait cependant aisément pu être évitée en apportant davantage de précision, et en indiquant, par exemple, « une tradition adaptée à la modernité » ou « une tradition ayant évolué avec la modernité ».

Ensuite, le gouren est, dans le paragraphe introductif, présenté comme un « corps à corps dont l’histoire est marquée par des récits avérés ou mythiques ». Une sévère mise en garde apparait ainsi dès le début de l’introduction. Le terme « récit » a, en effet, pour effet de donner un caractère subjectif à tout ce qui peut avoir été dit sur le sujet. La phrase laisse ainsi entendre que ce qui a pu en être dit est soit vrai mais emprunt de subjectivité, soit entièrement fantaisiste.

Puis, vient le premier intertitre : « Origines du gouren ? ». Le curieux point d’interrogation ne saurait évidemment exprimer un doute sur le fait que le gouren puisse avoir des origines. Son rôle est donc de faire savoir que les origines supposées du gouren sont douteuses, et, par conséquent, que le caractère celtique de ce sport n’est pas avéré. Si le but était simplement d’expliquer la ou les origines du gouren, ce point d’interrogation n’aurait, en effet, aucune raison d’être.

La phrase qui suit associe l’hypothèse d’un héritage celtique du gouren aux discours véhiculés par ceux qui pratiquent ce sport : « Le gouren […] est présenté par ses adeptes comme un héritage celtique. » Cet héritage est ainsi posé comme partisan. Et, alors même que l’article se réfère aux travaux de Gwennole Le Menn, il n’est aucunement mentionné que cette hypothèse a un fondement scientifique. Pourtant, ce chercheur la donne comme vraisemblable : « L’existence en Cornouaille britannique d’une lutte aux règles identiques à celles de la lutte bretonne permet de penser que ce sport faisait partie du patrimoine commun à ces deux pays et était déjà pratiqué lors de l’arrivée des Bretons en Armorique (au plus tard au VIe siècle). »3

Pour donner davantage de poids à l’association faite entre l’hypothèse de l’origine celtique du gouren et le milieu du gouren, elle est exprimée une deuxième fois : « Est fermement formulée, par les acteurs, l’hypothèse d’un métissage entre les apports des Bretons insulaires, fuyant l’invasion de leur territoire par les Saxons, les Angles et les Jutes, et un style armoricain du haut Moyen Âge – dont aucune trace n’a été dévoilée à ce jour –, lors des migrations, entre les IVe et VIe siècles, en Petite Bretagne, de peuplades du sud-ouest de la Grande-Bretagne (Cornwall et Devon). » Et l’absence de preuve matérielle vient renforcer le discrédit jeté sur cette hypothèse.

À ce stade de l’article, l’argument avancé par les tenants du gouren pour justifier l’origine celtique apparait bien peu convaincant : « Ces parentés celtiques sont confortées par le fait que des luttes qui se jouent uniquement debout […] et à la ceinture […] existent encore de nos jours dans d’autres régions celtiques que la Bretagne ». Afin d’éviter de rendre l’hypothèse trop plausible, l’analogie est minimisée. Les règles identiques entre la lutte de Cournouaille britannique et la lutte bretonne relevées par Gwennole Le Menn se changent ainsi en une simple ressemblance : « La lutte de Cornouailles britannique est en effet une forme ressemblante. »

La section sur les origines reste ainsi très imprécise et semble laisser la question des origines de ce sport ouverte. Il est simplement indiqué que « les origines sont attestées dès le Moyen Âge ». Et dans la section suivante, qui précède la période du XXe siècle, les repères chronologiques ne permettent pas d’en savoir davantage. Il y est également question du Moyen Âge : « L’engouement pour les luttes martiales a régné dans toute la vieille Europe du Moyen Âge. » La seule période du Moyen Âge mentionnée assez précisément est le XVIe siècle : « Au XVIe siècle, c’est l’une des principales activités physiques dans les cours royales ou seigneuriales. » Et, de manière plus large, la Renaissance est encore évoquée : « À la Renaissance, l’apparition des armes à feu et la modernisation des moyens de faire la guerre ont fait partiellement tomber ces exercices en désuétude dans les milieux privilégiés. »

La supposition selon laquelle le gouren aurait des origines celtiques ayant été déconsidérée, cette section tend alors à assimiler le gouren aux luttes pratiquées en Europe et en France. La pratique de cour peut ainsi laisser penser à une popularisation en Bretagne d’une pratique issue de la cour du roi de France. Et cela parait conforté par le sort commun des pratiques en France à la Révolution : « en France, à partir de la Révolution et suite au rejet des pratiques de l’Ancien Régime, ce sont plutôt des hommes de basse condition sociale qui s’adonnent aux luttes, pour le prestige mais aussi pour gagner de l’argent ou des prix en nature. »

Mais cette origine française suggérée par l’article se heurte à deux arguments. Le premier est de nature linguistique. Car si le gouren avait été importé de la cour de France, il aurait été logique que son nom soit également issu d’un emprunt au français ; or « gouren » est un mot breton. Le deuxième se rapporte à l’histoire. En effet, Gwennole Le Menn rapporte : « La première mention concernant la lutte bretonne est celle qui est faite, au XIVe siècle, dans la vie de Du Guesclin »3, comme en atteste la description d’un combat de ce dernier se déroulant en 13374. La Bretagne étant indépendante à cette époque, cela rend une origine française d’autant moins plausible.

Comme indiqué plus haut, le terme breton « gouren » a une parenté avec le cornique. En attestent les termes corniques gwrynya, « lutter », et gwrynyer, « lutteur », et, dans une moindre mesure, le préfixe semblant différer, le gallois gwrthryn, « gouren »5. Ces rapprochements linguistiques rendent peu probables non seulement l’idée d’une origine française du gouren, étant donné que le mot ne provient pas d’un emprunt au français, mais également celle d’une création spontanée au Moyen Âge central ou tardif, puisque la proximité du terme avec le cornique deviendrait difficilement explicable. Ils tendent, au contraire, à confirmer l’origine commune avec la lutte pratiquée en Cornouaille britannique que laisse entrevoir la similitude entre les règles de ces luttes. L’origine celtique du gouren reste donc l’hypothèse la plus crédible, et cela explique qu’aucune autre hypothèse n’ait été formulée, étant donné combien il aurait été difficile de la rendre scientifiquement acceptable.

L’article tend ainsi à persuader le lecteur de rejeter l’hypothèse de l’origine celtique, qui reste pourtant la plus convaincante scientifiquement. L’article n’affirme pas que cette hypothèse est fausse, il ne fait que l’insinuer par différents biais, tout en se gardant d’apporter tout élément permettant d’infirmer l’hypothèse de l’origine française vers laquelle le lecteur est amené. L’article est donc clairement manipulatoire.

L’histoire de la langue bretonne

L’article retraçant l’histoire de la langue bretonne, de 20182, est également très tendancieux.

Tout d’abord, alors que l’importante période de migration au cours de laquelle se sont installés les Bretons en Armorique est habituellement associée à l’invasion de peuples germaniques, aucun de ces peuples n’est cité : « L’affaiblissement progressif de la présence romaine sous le bas-empire se double de l’arrivée de troupes supplétives de Grande-Bretagne au Ve siècle, puis d’un courant migratoire plus important, sur deux siècles environ, d’une partie de la population de Grande-Bretagne fuyant entre autres les Scots d’Irlande. » Cette migration tend ainsi à être présentée comme n’étant causée que par des invasions d’autres peuples celtes.

Pourtant, les plus importantes invasions sont bien celles des peuples germaniques, notamment les Saxons et les Angles, aux cotés desquels sont parfois également cités les Jutes. Ce sont bien ces peuples là qui permettent d’expliquer qu’une langue germanique, l’anglais, soit parlée sur la majeure partie de la Grande-Bretagne, que les Anglais soient qualifiés d’Anglo-Saxons, et qu’ait eu lieu une importante migration de Bretons en Armorique au cours du haut Moyen Âge. Les invasions des Scots, quant à elles, ont eu un impact plus limité, excepté au nord de l’ile où elles sont à l’origine du fait que le gaélique soit parlé à l’Ouest de l’Écosse. L’installation des Scots sur l’ile de Bretagne est donc sans commune mesure avec celle des peuples germaniques, et l’article tend ainsi à faire passer les Celtes pour responsable d’un phénomène essentiellement dû à des peuples germaniques.

Ensuite, le breton est décrit comme du gaulois dont l’évolution serait due à un apport brittonique : « Alors que l’Armorique devient la Bretagne, cet apport brittonique se mélangeant au gaulois de manière plus ou moins importante selon les régions fait naître le breton. » Le breton est pourtant classé par les linguistes parmi les langues brittoniques. Cela s’explique. Premièrement, il partage les innovations morphosyntaxiques caractéristiques des langues celtiques insulaires, comme les prépositions fléchies et l’usage de particules verbales. Deuxièmement, nombre de caractéristiques du breton se retrouvent en cornique ou en gallois. Troisièmement, la proximité avec le cornique est telle qu’il serait difficilement justifiable de les placer dans des groupes linguistiques différents. Et si certaines évolutions phonétiques qu’a connu le breton sont bien dues au gaulois, cela s’explique par un effet de substrat. C’est ainsi le breton qui a subi l’influence du gaulois, et non le brittonique qui aurait influencé, à des degrés divers selon les endroits, un breton qui descendrait du gaulois.

Les données historiques à disposition permettent parfaitement d’expliquer que les arrivants bretons en Armorique aient conservé leur langue. L’Armorique connaissait, en effet, une faible densité de population, alors que les Bretons sont arrivés en grand nombre, leur émigration ayant été, de plus, continue du 4e siècle au 10e siècle6. La langue des nouveaux arrivants a donc ainsi été constamment renforcée, sur une période s’étalant sur environ 6 siècles.

Historiquement, le gaulois a été invoqué pour expliquer les divergences du dialectes vannetais par rapport aux autres dialectes bretons, plus homogènes. Mais cette hypothèse est peu crédible. En effet, la zone où est parlé le vannetais était davantage romanisée, comme en attestent le nombre de vestiges gallo-romains qui s’y trouvent, et le gaulois devait donc être moins parlé dans cette partie du territoire par rapport aux parties correspondant aux autres dialectes7. La tendance à l’accentuation sur la dernière syllabe en vannetais se retrouve d’ailleurs dans l’évolution de la langue romane voisine. Quant aux évolutions phonétiques les plus caractéristiques du vannetais, elles se retrouvent généralement en gallois, comme la conservation du r sourd initial en vannetais intérieur, ou en cornique, comme le passage du th au c'h sourd ou à h, ou la diftongaison du i final en ei, par exemple dans hi, ni, c'hwi, ti, tri ou c'hoari, en vannetais maritime8.

Plus loin, l’obligation de l’instruction en français, qui sera pourtant responsable de la coupure généralisée dans la transmission du breton, est implicitement présentée comme une avancée démocratique : « Au XIXe siècle, la connaissance du français grandit au sein des couches populaires : démocratisation de l’instruction (en français) ». La tournure « démocratisation de l’instruction (en français) » donne, en effet, une vision bien différente de celle qu’aurait donné la formulation habituelle « instruction obligatoire en français ». Et, au passage, la parenthèse tend à minimiser un élément qui a évidemment une importance majeure dans le phénomène de substitution linguistique traité par l’article.

Le même paragraphe évoque des « représentations parfois vécues comme stigmatisantes », à savoir « rural contre urbain », « paysan contre citadin », « passé contre moderne », « privé contre public », « oral contre écrit » et « local contre universel ». Le phénomène est ainsi sous-évalué à l’aide de l’adverbe « parfois », et est renvoyé à un simple sentiment de la population. Il est ainsi passé sous silence que ces représentations ont été véhiculées par l’État et les services de l’Instruction publique, que la stigmatisation a été volontaire et systématique et combien elle a été violente9. Les pratiques employées incluaient la violence physique et les humiliations, les incitations à la délation par l’usage du « symbole » visant à couvrir de honte celui qui le portait. Rien de tout cela n’est mentionné. Il s’agit pourtant d’éléments incontournables pour expliquer que la coupure dans la transmission du breton ait été aussi brutale et aussi générale.

L’article avance bien des raisons à la coupure dans la transmission du breton dans les années situées entre 1950 et 1970. Mais cette dernière est attribuée à « l’effet cumulé de ces représentations, du développement de la scolarisation en collèges ruraux (internat), de l’aspiration aux études supérieures, de l’urbanisation des modes de vie et du rejet de la société traditionnelle, du développement très important des médias en français, etc. » Il est également précisé « la réforme liturgique de 1963 profite au français au détriment du breton. ». L’explication d’importance majeure évoquée est donc bel et bien passée sous silence.

Au début de la dernière section, l’article indique que « des revendications en faveur du breton se sont exprimées […] avec le soutien des pouvoirs publics au XXIe siècle ». Cela donne une vision très erronée du rôle des pouvoirs publics, puisque le soutien, lorsqu’il existe, reste généralement faible, et que, le plus souvent, l’hostilité est manifeste10.

Au dernier paragraphe, l’article donne curieusement une vision patrimoniale du breton : « les Bretons se disent aujourd’hui très majoritairement attachés au breton (patrimoine) ». Or, la langue constitue un élément essentiel de l’identité bretonne. De plus, la pratique quotidienne par des jeunes bretonnants, même si elle est minoritaire, n’est pas évoquée. L’article se contente, en effet, d’indiquer que « les bretonnants le pratiquant quotidiennement sont âgés (pratique populaire héritée) et de moins en moins nombreux ».

Enfin, la dernière phrase se termine par une incohérence, une imprécision, et une insinuation : « les revendications pour la défense de la langue se multiplient (pratique nouvelle, parfois idéologique, parfois symbolique). » Cela est incohérent, parce qu’il s’agit de revendications pour la langue et non pour la défense de la langue. Cela est imprécis, parce que les revendications concernent la pratique du breton d’une manière générale, que celle-ci soit nouvelle ou non. Et la parenthèse contient une lourde insinuation, parce qu’elle laisse entendre que la pratique nouvelle du breton est soit idéologique, soit symbolique, alors qu’il existe bien des raisons sortant de ce cadre étroit et restrictif, dont la conscience et l’affect ne sont pas des moindres.

La similitude de discours entre les articles précédents et l’exposition celtique.

Comme il apparait, plusieurs techniques d’écriture sont employées à travers les articles analysés :

Cela permet notamment de surévaluer l’apport du gaulois au breton, ainsi que de rejeter ou de sous-évaluer le caractère celtique des éléments se rapportant à la culture bretonne. Ces articles tendent ainsi vers la celtophobie, et ne laissent aucun doute sur l’idéologie assimilationniste sous-jacente. Cela est d’ailleurs confirmé par l’effacement ou la minimisation du rôle négatif de l’État et des pouvoirs publics dans le phénomène de substitution linguistique en Bretagne. Ces techniques de manipulation semblent, par ailleurs, avoir fait recette, puisqu’elles se retrouvent toutes dans l’exposition « Celtique ? » du Musée de Bretagne11.

La position de Bretagne Culture Diversité

Sur une même page, Bretagne Culture Diversité indique, par deux fois, que son « objectif » ou son « ambition », concernant « la matière celtique » ou « le celtisme en Bretagne », consiste à « présenter la recherche vivante et les savoirs documentés sur ces questions, y compris avec les divergences, voire les contradictions entre spécialistes », en précisant, dans un cas, « sans aucune volonté prescriptive ou normative »12. Cela semble, à première vue dédouaner l’association du contenu des deux articles analysés, puisqu’ils ont été rédigés par des scientifiques.

De ce point de vue, les seuls pouvant être mis en cause seraient les scientifiques eux-mêmes, voire également leur centre de recherche. Les deux scientifiques en question ont, à ce propos, le point commun d’être liées au Centre de recherche bretonne et celtique (CRBC) de Brest, puisqu’Aurélie Épron est chercheuse associée en son sein13, et que Nelly Blanchard y est enseignante-chercheuse14. Et cette dernière figure, de plus, parmi les membres du conseil scientifique de l’exposition « Celtique ? » du Musée de Bretagne15.

Cela ouvre la question de l’idéologie dont pourrait être empreint le CRBC de Brest, et celle des divergences entre ce dernier et Centre d’études des langues, territoires et identités culturelles – Bretagne et langues minoritaires (Celtic-BLM) de Rennes, puisque ce sont trois professeurs de l’Université Rennes 2, Ronan Le Coadic, Erwan Chartier et Herve Le Bihan, qui ont se sont élevés contre l’exposition « Celtique ? » en publiant des analyses critiques ou en quittant le conseil scientifique de cette exposition. La volonté des chercheurs de Rennes de prendre leurs distances par rapport au CRBC de Brest pourrait d’ailleurs expliquer la création du Celtic-BLM, en remplacement de l’antenne de Rennes du CRBC, le 1er janvier 202216.

Concernant l’exposition, Bretagne Culture Diversité semble faire preuve de prudence. L’association souligne qu’elle n’a pas participé à sa réalisation. Elle indique, en effet, avoir créé le site thématique « La Bretagne, terre celtique ? », complémentaire à cette exposition, « sans avoir participé à la réalisation de l’exposition elle-même ». Et elle semble même, à présent, montrer qu’elle s’en démarque en faisant état de la controverse à son sujet12.

Prudemment toujours, Bretagne Culture Diversité appelle à l’indulgence et aux bonnes volontés concernant son site Bécédia. Toujours à la même page, l’association prévient, en effet : « Ce site n’est certainement pas parfait. N’hésitez donc pas à nous faire part de toute erreur, remarque ou idée pour l’améliorer. »12

La participation de Bretagne Culture Diversité à la manipulation du public

Plusieurs éléments permettent de douter du discours de Bretagne Culture Diversité et montrent que la position de l’association est, en réalité, ambigüe. Il peut être soulevé, par exemple, que l’association fait la promotion de l’exposition « Celtique ? » sur son site Bretania, en mettant en avant, de plus, son partenariat avec cette exposition17, et qu’elle a tardé à faire état de la controverse.

Mais, le discours de Bretagne Culture Diversité s’avère parfois bien plus problématique. Par exemple, l’association semble justifier son impossibilité de se désolidariser avec l’exposition « Celtique ? » par son partenariat avec le musée lorsqu’elle évoque la démission de Ronan Le Coadic. L’association explique, en effet, que ce dernier a quitté Bretagne Culture Diversité « qui aurait refusé, [d’après lui], de se désolidariser de l’exposition alors que nous sommes partenaires du Musée de Bretagne »12.

Cette exposition a, cependant, des visées assimilationnistes manifestes et dénigre une part de l’identité bretonne, comme l’ont montré diverses analyses de l’exposition18, ainsi qu’une réponse au discours du Musée de Bretagne19. Or, cela est rigoureusement incompatible avec une des missions de Bretagne Culture Diversité, consistant à « promouvoir la diversité culturelle »20. Aussi, le fait que l’association ne désavoue pas cette exposition, quitte à remettre en question son partenariat avec le Musée de Bretagne, est particulièrement gênant.

Un élément d’explication à la posture de Bretagne Culture Diversité serait peut-être à chercher dans liens étroits qu’entretient cette association avec le Musée de Bretagne et l’exposition « Celtique ? ». En effet, Charles Quimbert est à la fois trésorier de Bretagne Culture Diversité21 et membre du conseil scientifique de l’exposition « Celtique ? »15, Erwan Chartier est membre de conseil d’administration de Bretagne Culture Diversité21 et était encore membre du conseil scientifique de l’exposition au moment de la démission de Ronan Le Coadic15, avant de s’en retirer. Laurence Prod’homme est membre du conseil scientifique de Bretagne Culture Diversité22 et responsable de la recherche au Musée de Bretagne23.

Par ailleurs, et malgré les avertissements, au demeurant insuffisants, de l’association, les articles que Bretagne Culture Diversité met à disposition de ses partenaires et du public semblent montrer que cette association partage, en réalité, la vision de l’exposition « Celtique ? ». La diversité culturelle ne saurait, en effet, être promue en répandant une vision faussée de l’histoire, qui irait d’ailleurs à l’encontre de la mission de l’association déjà évoquée. L’histoire est liée à la culture, et aucun des faits qui en relève ne saurait être volontairement occulté sans porter atteinte à ceux qui sont porteurs de cette histoire.

La diffusion de documents sans davantage de discernement est d’autant plus difficilement justifiable que Bretagne Culture Diversité dispose parfaitement des moyens adéquats pour évaluer la qualité des articles en sa possession, puisqu’existe en son sein un important conseil scientifique22. Et le contenu du site « La Bretagne, terre celtique ? »24 tend bien à confirmer l’orientation de cette association.

Le site « La Bretagne, terre celtique ? »

Le site thématique « La Bretagne, terre celtique ? » de Bécédia24, créé en écho à cette exposition, use des mêmes techniques de manipulation que celle des articles analysés précédemment et de l’exposition « Celtique ? »18. Ce site thématique renvoie d’ailleurs aux articles sur le gouren25 et sur l’histoire de la langue bretonne26 passés en revue.

Dans ce site, quasiment tous les titres pour chacune des périodes depuis le Moyen Âge martèlent qu’il s’agit de « la construction d’un récit »27. Et le site avance qu’« à partir du Moyen Âge, des récits politiques ou imaginaires tendent à associer la Bretagne à des références celtiques. »28 Ce faisant, il assimile toute la recherche sur les origine celtique de la Bretagne à des « récits » et laisse entendre que l’identité celtique de la Bretagne est nécessairement associée à la politique ou à l’imagination.

De même que l’exposition toujours, il tend à assimiler le mouvement politique breton à l’idéologie nazie29. Les autres tendances à la période de l’entre-deux guerres ne font l’objet que d’une simple allusion, et aucun lien n’est fait entre le racisme des groupes évoqués et le nationalisme raciste français qui s’exprime sans complexe dans la presse de l’époque et a été véhiculé par l’Instruction publique.

En guise de conclusion

Le discours relayé par l’exposition « Celtique ? » n’est ni novateur ni spécifique au Musée de Bretagne. Il existe également sur le site Bécédia de l’association Bretagne Culture Diversité depuis quelque temps déjà, par le biais d’articles, et, plus récemment, sur le site thématique « La Bretagne, terre celtique ? ».

Il apparait que Bretagne Culture Diversité n’a tenu aucun compte des diverses analyses de l’exposition « Celtique ? » qui ont pu être effectuées, alors qu’un bon nombre des critiques formulées dans ces analyses valent également pour plusieurs documents de vulgarisation sur le patrimoine vivant breton que cette association a mis en ligne et pour son site thématique « La Bretagne, terre celtique ? ». Les aspects particulièrement inquiétants de ces documents sont la remise en question presque systématique des origines celtiques des éléments culturels bretons et de l’identité celtique, ainsi que le traitement du mouvement breton de la période de l’entre-deux guerres.

L’appel de Bretagne Culture Diversité à faire des remarques en vue de l’amélioration du site est donc difficilement entendable, puisque cette association a eu connaissance de ces critiques, dont certaines figurent d’ailleurs sur son site Bécédia. Aussi, il serait grand temps que l’association se penche sérieusement sur les questions du contenu des documents qu’elle met à disposition, de l’usage qui en est fait par le Musée de Bretagne et de l’impact qu’ils peuvent avoir, au final, sur le public par ces différents biais. Et elle gagnerait en crédibilité à en tirer les conclusions qui s’imposent.

En particulier, n’ayant pas vocation à devenir une plateforme pour des universitaires qui seraient plus complaisants que scrupuleux en relayant des articles idéologiquement marqués signés de leur main, elle devrait davantage tirer profit de son conseil scientifique, ou, le cas échéant, en réviser la composition. De plus, son conseil de surveillance devrait faire preuve de davantage de vigilance sur la conformité des documents qu’elle diffuse et des partenariats qu’elle met en place avec les missions qui lui ont été confiées.

Enfin, les informations que Bretagne Culture Diversité offre aux Bretons n’ont pas à se conformer au nationalisme français, mais à refléter au mieux la réalité. Elles ne devraient occulter par principe aucun apport de la connaissance scientifique. Les Bretons ne sont pas de dangereux malades à qui il faudrait masquer la vérité pour les protéger d’eux-mêmes. Ils ont le droit d’être traités comme des personnes humaines, dignes et responsables et d’avoir accès à la vérité qui les concerne, quand bien même cette vérité ne serait pas à l’avantage de l’État ou de ses institutions.

Notes :

  1. « Le gouren, une tradition moderne », par Aurélie Épron, Bécédia, novembre 2016.
  2. « Le breton, langue de Basse-Bretagne », par Nelly Blanchard, Bécédia, mars 2018.
  3. Le Menn, Gwennole : 1994. « Ar gouren (la lutte bretonne) / Les premiers témoignages (XIVe – XVIIe siècles) », Mémoires de la Société d’Histoire et d’Archéologie de Bretagne, Tome LXXI, Rennes, 1994, p. 61-85. P. 61.
  4. Luce, Siméon : 1876. Histoire de Bertrand du Guesclin et de son époque. La jeunesse de Bertrand (1320-1364). Paris : Hachette. P. 14-15 et 22-24.
  5. Le Menn, Gwennole : 1994. (Voir note 2.) P 67.
  6. Fleuriot, Léon : 1980. Les origines de la Bretagne. Paris : Payot. P. 24.
  7. Même source que précédemment, p 58.
  8. Même source que précédemment, p 67-68.
  9. « Eus an Dispac'h d’an XXIvet kantvet, politikerezhioù ha pleustroù evit bountañ ar galleg war ar C'hwec'hkogn hag an trevadennoù kozh – De la Révolution au XXIe siècle, politiques et pratiques d’imposition du français dans l'Hexagone et les anciennes colonies », par Rozenn Milin, Youtube.
  10. « Les attaques contre les langues autochtones en France », par Yann-Vadezour ar Rouz, Justice pour nos langues !, 30 juillet 2021, modifié le 20 août 2022.
  11. « La stigmatisation de l’identité bretonne via l’exposition « Celtique ? » », par Yann-Vadezour ar Rouz, Justice pour nos langues !, 21 juillet 2022, modifié le 1er août 2022.
  12. « Une exposition en débats », par Philippe Ramel, La Bretagne, terre celtique ?
  13. « Chercheurs associés », Centre de recherche bretonne et celtique.
  14. « Enseignants-chercheurs », Centre de recherche bretonne et celtique.
  15. « L’identité celtique de la Bretagne en question », Celtique ? L’expo.
  16. « Centre d’Etudes des Langues, Territoires et Identités Culturelles – Bretagne et Langues Minoritaires (CELTIC-BLM) », Université Rennes 2.
  17. « La Bretagne celtique », Bretania.
  18. « Le scandale de l’exposition « Celtique ? » du Musée de Bretagne », par Yann-Vadezour ar Rouz, Justice pour nos langues !, 6 septembre 2022, modifié le 11 septembre 2022.
  19. « Le Musée de Bretagne défend son exposition « Celtique ? » », par Yann-Vadezour ar Rouz, Justice pour nos langues !, 3 septembre 2022, modifié le 4 septembre 2022.
  20. « L’association », Bretagne Culture Diversité.
  21. « Le Conseil d’Administration – composition », Bretagne Culture Diversité.
  22. « Le conseil scientifique », Bretagne Culture Diversité.
  23. « Le Musée de Bretagne révise son exposition « Celtique ? » », par Serge Poirot, Ouest-France, 16 août 2022, 14 h 36.
  24. Site La Bretagne, terre celtique ?
  25. « Celt’attitude », La Bretagne, terre celtique ?
  26. « Aux origines : Haut Moyen Âge », La Bretagne, terre celtique ?
  27. « Celtique ? Une Histoire, des représentations », La Bretagne, terre celtique ?
  28. « La construction d’un récit : les premiers récits du Moyen Âge », La Bretagne, terre celtique ?
  29. « La construction d’un récit : régionalisme, nationalisme, interceltisme », La Bretagne, terre celtique ?