Justice pour nos langues !

Le musée de Bretagne contraint de revoir
le contenu de l’exposition « Celtique ? »

Depuis son inauguration, le 18 mars 2022, l’exposition « Celtiques ? » du musée de Bretagne, qui se déroule aux Champs libres à Rennes, essuie de nombreuses critiques. En fin de compte, Corinne Poulain, la directrice générale des Champs libres a annoncé que les textes de l’exposition seraient réexaminés.

Suite à la polémique qui s’est mise à enfler au cours de ces derniers jours, jusqu’à alerter la Direction de l’éducation et des langues de Bretagne du Conseil régional de Bretagne1, Corinne Poulain, fait savoir que des corrections seront apportées au cours de l’été à l’exposition « Celtique ? »2, qui doit se tenir jusqu’au 4 décembre 2022. Ces modifications devraient porter sur plusieurs points.

Premièrement, le caractère tendencieux de l’exposition devrait être atténué. En effet, si elle considère qu’« il n’y a pas de jugement de valeur », Corinne Poulain admet cependant « quelques maladresses », ainsi que des « adjectifs un peu déplacés ».

Deuxièmement, les questions agrémentant la visite, qui consistent à déterminer si le sujet évoqué est « celte ou pas celte », et les réponses apportées, qui restreignent abusivement le caractère celtique à ce qui est en lien avec l’Âge de Fer, devraient être revues. Le roi Arthur pourrait donc renouer avec sa celtitude, car, comme le remarque Ronan Le Coadic, si elle est apparue au haut Moyen Âge, « il est tout à fait possible que la figure du roi Arthur ait été en partie inspirée de plusieurs personnages historiques de la fin de l’antiquité » et, par ailleurs, « les personnages Arthur et Merlin sont une allégorie christianisée des fonctions du roi et du druide dans la société celtique antique »3. Il en va de même pour le « Bro gozh ma zadoù », l’hymne national breton, puisqu’il est écrit dans une langue celtique, le breton.

Troisièmement, la conclusion devrait être nuancée. Concernant l’éventuel présupposé qui l’induisait, Corinne Poulain affirme : « On part du principe que toute culture est issue d’une fiction et d’une réalité ». Mais il semblerait que ce principe de départ ne corresponde, en réalité, pas vraiement à l’orientation donnée à cette exposition, comme Manon Six, la commissaire de l’exposition, l’indique au cours d’un entretien : « Notre parti pris est véritablement, en effet, d’insister sur le caractère de la construction de ce message et de cette identité celtique. »4 Le panneau de conclusion « Alors, adieu les mythes ? » est péremptoire sur ce point, puisqu’il considère qu’« il n’y a pas de filiation directe entre les faits culturels d’aujourd’hui et ceux des populations de l’Antiquité ». Et l’ex-parrain de l’exposition, le musicien Alan Stivell, a, de plus, dénoncé que la conclusion, selon laquelle l’identité celtique était un mythe, était véhiculée de vive voix : « Je l’ai bien entendu de la bouche même d’une des responsables s’adressant aux visiteuses-visiteurs. »5 Cette conclusion a d’ailleurs été confirmée par les propos de Cécile Chanas, puisqu’elle s’est défendue en avançant que « qualifier une identité de mythe n’est pas dépréciateur »6. En réponse, Corinne Poulain explique sobrement que la conclusion, actuellement « trop fermée », devrait se trouver « étoffée » et « mise en perspective ».

Face aux interrogations soulevées par le contenu de l’exposition, Corinne Poulain déclare : « Notre but n’est pas de nourrir la polémique. On en est désolé car ça nuit à l’objet de l’exposition qui est de transmettre des connaissances ».2 Les propos des membres du comité scientifique, dont l’anonymat sera préservé, sont pourtant plutôt inquétants.

Une de ces personnes, sans répondre à la question qui lui était posée concernant le regard qu’elle porte sur l’exposition après les critiques de Ronan Le Coadic3 et celles de l’auteur du présent article7, a répondu n’avoir « pas écrit » les panneaux correspondants à ses domaines de spécialité, en précisant, pour une part d’entre eux, « ni même relu », et être « contre tout nationalisme, qu’il soit breton ou français, ou n’importe quel autre ». Ce dernier point laisse clairement planer un doute sur les réelles intentions poursuivies par les personnes ayant pris part à la réalisation de cette exposition. Les motivations politiques tendent ainsi à être confirmées, ces explications semblant trahir la dimension idéologique de l’exposition.

Un autre membre déplore la vision que livre l’exposition : « C’est un peu la thèse que la Bretagne a été créée au XIXe siècle ». Il s’avoue « un peu gêné » par le contenu de certains textes révélés au moment de l’inauguration de l’exposition.2

Ces propos en disent long sur la rigueur des scientifiques qui acceptent de servir de caution à une exposition dont il ignorent le contenu réel. En effet, ils révèlent non seulement que les textes définitifs de l’exposition n’ont pas reçu l’aval de l’ensemble du comité scientifique, mais, en plus, que certains de ses membres n’ont même pas eu connaissance de ces textes avant l’ouverture de l’exposition. De tels faits, sont évidemment de nature à mettre particulièrement en cause le sérieux du musée de Bretagne, et à poser de graves interrogations sur ses méthodes de travail. Car ces pratiques ont bel et bien permis de donner un caractère manipulatoire à l’exposition, en faisant passer ce qui était un « parti pris », selon les termes de Manon Six, pour une conclusion.

Notes :

  1. « La Région Bretagne résolue à se renseigner sur les pratiques du musée de Bretagne », par Yann-Vadezour ar Rouz, Justice pour nos langues !, 2 août 2022.
  2. « La Bretagne, pas celtique ? Polémique autour d’une expo », Le Quotidien, 3 août 2022, 5 h 00, mis à jour le 2 août 2022 à 18 h 52.
  3. « Une manipulation idéologique au musée de Bretagne à Rennes », par Ronan Le Coadic, Blogs.mediapart.fr, 29 juin 2022.
  4. Podcast – C comme celtique avec Manon Six, Bretagne Culture Diversité, Becedia.
  5. « Musée de Bretagne à Rennes, exposition « Celtique ? ». Je retire mon parrainage », par Alan Stivell, Facebook, 20 mai 2022, 11 h 35.
  6. « Bretagne. Alan Stivell retire son parrainage de l’exposition « Celtique ? » qui se tient à Rennes », par Fabienne Richard, Ouest-France, 24 mai 2022, 12 h 17.
  7. « La stigmatisation de l’identité bretonne via l’exposition « Celtique ? » », par Yann-Vadezour ar Rouz, Justice pour nos langues !, 21 juillet 2022, modifié le 1er août 2022.