Justice pour nos langues !

Une simple loi permettrait de sauver
l’enseignement immersif en langue autochtone

La sécurisation de l’enseignement immersif en langue autochtone pratiqué dans les établissements privés sous contrat est possible sans modification de la Constitution. La censure du Conseil constitutionnel laisse, en effet, un espace pour légiférer, aussi étroit qu’il puisse être.

La situation de l’enseignement immersif en breton, que le rapport Bernabé-Dubourg-Lavroff et les propos du ministre de l'éducation ont pris pour cible, est particulièrement inquiétante depuis le blocage du contrat État-Région par le pouvoir central, auquel est venue s’ajouter, depuis, la décision du Conseil constitutionnel rendant inconstitutionnel cette méthode d’enseignement pour les langues dites « régionales », suite aux manœuvres de l'exécutif1.

Le gouvernement, fidèle à sa ligne de conduite, semble vouloir gagner du temps et s’attache à la curieuse option d’une circulaire, qui se heurte pourtant à l’inconstitutionnalité qui ressort de la décision no 2021-818 DC du Conseil constitutionnel2. Face à une telle situation, les parlementaires peuvent-ils agir ? En l’absence de volonté du président de la République de modifier la Constitution, seule la voie législative pourrait, en effet, être à même de sécuriser l’enseignement immersif en langue autochtone tel qu’il est pratiqué dans le privé sous contrat.

Étant donné, d’une part, qu’entre le privé et le public, il existe un statut mixte, par le biais des contrats avec l’État, qui permet d’étendre le service public au privé, et, d’autre part, que l’enseignement immersif au sein de ce service public est inconstitutionnel, le législateur pourrait faire preuve d’audace et se montrer innovant en créant un nouveau statut mixte. Il pourrait concevoir une loi instituant un « service d'intérêt majeur » pour une catégorie du privé, qui sans relever du service public, bénéficierait des mêmes avantages.

La clause d’intérêt majeur pourrait consister dans le caractère essentiel d’une pratique dans une société démocratique, comme l’est la protection de la diversité linguistique, notamment par le biais de l’enseignement immersif. L’enseignement immersif en langue régionale relèverait ainsi du « service d’intérêt majeur », la loi prévoyant, par exemple, la disposition suivante : « Les établissements laïques sous contrat dispensant un enseignement immersif en langue régionale relèvent non du service public, mais du service d’intérêt majeur, et bénéficient, à ce titre, des mêmes financements publics. »

Cette solution ne serait cependant que partiellement satisfaisante, car, si elle permettrait de sécuriser le privé sous contrat, elle laisserait toutefois en suspens la question de l’enseignement immersif dans le public. Les seules issues pleinement satisfaisantes restent donc la modification de la Constitution et la ratification de traités internationaux3.

Pour ce qui est de la faisabilité, le député Paul Molac indique que « cela dépend de la volonté politique et du rapport de force », et qu’il considère l’idée comme « très difficile », car il faudrait « agréger suffisamment de sénateurs et députés pour faire une entorse aux lois Goblet et Falloux ». Il souligne que « l’article permettant aux écoles sous contrat de pouvoir bénéficier du forfait scolaire a été obtenu à l’assemblée avec une majorité de seulement 10 voix », et avec un travail de pression pour un vote se tenant, de plus, à l’approche des régionales. Il ajoute : « Pour beaucoup de députés, l’enseignement sous statut privé représente un repoussoir. » Et conclut : « Évidemment en Bretagne, nous n’avons pas la même appréciation. »

Il n’en reste pas moins qu’il subsiste, malgré tout, une solution, même en tenant compte de l’inflexibilité du gouvernement sur la question de la révision de la Constitution. Et elle permettrait de sortir les enseignants des établissments pratiquant l’immersion en langue autochtone de l’insécurité dans laquelle ils se trouvent. Or, cela est d’autant plus urgent que l’angoisse et le stress ainsi générés, tant chez les enseignants que chez les élèves, ont nécessairement des répercussions sur la qualité de l’apprentissage, ainsi que sur le bien-être et l’équilibre des jeunes qui en sont les bénéficiaires. Mais le hic, c’est que le gouvernement cherche, de toute évidence, à éviter le règlement du problème dont il est lui-même à l'origine.

Notes :

  1. « Le double jeu du gouvernement », Yann-Vadezour ar Rouz, Justice pour nos langues !, 21 juillet 2021, modifié le 30 juillet 2021.
  2. Commentaire de la décision no 2021-818 DC du 21 mai 2021, par le Conseil constitutionnel.
  3. « Une réelle sécurisation de l’enseignement immersif en langue autochtone est réalisable », Yann-Vadezour ar Rouz, Justice pour nos langues !, 24 juillet 2021, modifié le 14 septembre 2021.