Justice pour nos langues !

Le double jeu du gouvernement

Le gouvernement a fait savoir qu’il voulait sécuriser l’enseignement immersif en langue autochtone. Mais, dans le même temps, il entérine la décision du Conseil constitutionnel en prenant des dispositions contraires à cette sécurisation.

Le 23 juin 2021, Yann Uguen, le président de Diwan, le réseau des écoles immersives en langue bretonne, a été auditionné par les députés Christophe Euzet et Yannick Kerlogot, à qui a été confiée, par le premier ministre, Jean Castex, la mission de trouver des solutions pour sécuriser l’enseignement immersif en langue autochtone après la censure de ce type d’enseignement par le Conseil constitutionnel. Rapportées par Ouest-France1, les réactions de Diwan sont très contrastées.

D’un côté, Diwan déclare : « Nous avons pu constater une volonté de sécurisation à court et moyen termes des filières mais les marges de manœuvre semblent assez réduites ». Et de l’autre : « Nous attendions un peu d’apaisement mais malheureusement, les signes ne sont pas là ! » Diwan annonce, par exemple, être « très surpris que le ministre de l’Éducation nationale, dans un souci de transparence, n’ait pas fourni les informations nécessaires à une analyse objective de notre modèle. […] Ceci montre le parti pris du ministre de l’Éducation nationale qui devait être en appui de la mission organisée par le Premier ministre. »

Cette position ambigüe de Jean-Michel Blanquer n’est pas très surprenante pour qui sait comment a été instigué le recours devant le Conseil constitutionnel après le vote de la loi Molac. En effet, c’est bien dans le cabinet du ministre de l’éducation qu’a été rédigée la saisine du Conseil constitutionnel à l’origine de la censure de l’enseignement immersif en langue autochtone2, sur laquelle figure pourtant le logo de l’Assemblée nationale3. Et, Paul Molac, relayant les propos de la presse, a également dénoncé, devant le ministre de l’Éducation nationale lui-même, l’influence exercée par ce dernier auprès des parlementaires signataires, dont certains ont témoignés être trompés sur la démarche, ce que confirmait simultanément un député situé derrière lui4. Tous ces faits contreviennent évidemment à la séparation des pouvoirs.

Par ailleurs, alors que l’essentiel de la loi Molac avait été voté contre l’avis du gouvernement, Jean-Michel Blanquer, répondant à Paul Molac, prétendait avec aplomb qu’il avait soutenu cette loi. Pour finir, Paul Molac lui ayant demandé quelle serait la position défendue devant le Conseil constitutionnel étant donné la position ambivalente du gouvernement, il a tout simplement pris le parti de ne pas répondre à la question. Il apparait, par tous ces aspects, que lorsqu’il s’agit d’identités ou de langues autochtones, les règles élémentaires de la démocratie passent aisément à la trappe.

Mais, plus que Jean-Michel Blanquer seul, c’est également le sommet de l’exécutif qui s’oppose, tout en affichant une posture favorable, à l’enseignement immersif en langue autochtone. Car si le rôle prépondérant de Jean-Michel Blanquer dans la saisine du Conseil constitutionnel semble bien établi, cette dernière n’a pu être déposée le 22 avril, et en fin de journée, que parce que le président de la République, Emmanuel Macron, a repoussé la promulgation de la loi jusqu’à la fin du délai qui était le jour même5. Et ce dernier a d’ailleurs fait preuve d'une remarquable passivité pendant tout le processus de la saisine.

D’autre part, c’est le gouvernement qui, dans ses observations sur la saisine à l’attention du Conseil constitutionnel, indiquait, « aux termes de l’article 2 de la Constitution, selon lequel « la langue de la République est le français » et dont il résulte notamment, selon votre jurisprudence, que l’usage d’une langue autre que le français ne peut être imposé aux élèves des établissements de l’enseignement public ni dans la vie de l’établissement, ni dans l’enseignement des disciplines autres que celle de la langue considérée (décision n° 2001-456 DC du 27 décembre 2001, cons. 49) »6, alors que cela n’avait aucun rapport avec le contenu de la saisine. Comme cela a été souligné7, cet extrait n’avait d’autre raison d’être que d’inciter le Conseil constitutionnel à se saisir de l’article de loi sur l’enseignement immersif en langue autochtone pour le censurer.

Mais les attaques contre l’enseignement immersif en langue autochtone ne s’arrêtent pas là, car le lendemain même de l’audition de Yann Uguen paraissait le Bulletin officiel de l’Éducation nationale, de la jeunesse et des sports numéro 25 dans lequel figure le programme d’enseignement de l’école maternelle. Alors que ce programme indiquait auparavant que « Mobiliser le langage dans toutes ses dimensions », qui est un des cinq domaines d’apprentissage, « réaffirme la place primordiale du langage à l’école maternelle comme condition essentielle de la réussite de toutes et de tous », il précise alors qu’il « réaffirme la place primordiale du langage à l’école maternelle, notamment de l’acquisition de la langue française, langue de scolarisation, comme condition essentielle de la réussite de toutes et de tous »8. Il s’agit là d’une attaque directe contre l’enseignement immersif en langue autochtone, puisque le français est ainsi posé comme la langue de la scolarisation, et ce, dès la maternelle.

Cela semble montrer que la mission des deux députés n’a d’autre finalité que de gagner du temps. Et, en cela, le gouvernement porte encore préjudice à l’enseignement immersif en langue autochtone. En effet, les effets de la censure du Conseil constitutionnel ne se font pas attendre. Diwan dénonce ainsi l’absence de contractualisation de l’école de Saint-Herblain, en Loire-Atlantique, ainsi que plusieurs refus de versement des forfaits scolaires : « Après la décision du Conseil constitutionnel, des écoles ont reçu des réponses de certaines mairies qui refusent le versement en utilisant cet argument »1.

La rentrée se prépare donc dans des conditions qui sont loin d’être sereines. Et l’attitude du gouvernement ne présage rien de bon ni pour l’avenir de l’enseignement immersif en langue autochtone sous contrat ni pour celui de l’enseignement bilingue du public.

Notes :

  1. « Langues régionales. Le réseau Diwan auditionné par la mission Castex », par Ouest-France, 24 juin 2021, 12 h 41.
  2. « Loi Molac sur les langues régionales: cette saisine du Conseil constitutionnel qui embarrasse la majorité présidentielle », par Ronan Hirrien, France 3 Bretagne, 28 avril 2021, 12 h 30, mis à jour le 28 avril 2021 à 21 h 09.
  3. Saisine par 60 députés, lettre de saisine cosignée par 61 députés.
  4. Paul Molac dénonce l'initiative de Jean-Michel Blanquer sur le recours au conseil constitutionnel, vidéo Youtube.
  5. « La France veut-elle vraiment tuer ses langues régionales ? », L’Express, par Michel Feltin-Palas, 25 avril 2021, 9 h, mis à jour à 10 h 07.
  6. Observations du gouvernement sur la loi relative à la protection patrimoniale des langues régionales et à leur promotion, reçu au greffe du Conseil constitutionnel le 14 mai 2021.
  7. « Une décision politique de la part du Conseil constitutionnel ? Analyse détaillée de la censure partielle contre la loi Molac », par le Collectif Pour que vivent nos langues, 24 mai 2021.
  8. D’après le BOENJS n° 25 du 24 juin 2021, document réalisé par Éduscol.