Justice pour nos langues !

Une réunion sans sécurisation de l’enseignement
immersif en langue autochtone à la clé

Les responsables des réseaux d’enseignement immersif en langue autochtone ont enfin été reçus le 15 sempbre 2001 par le premier ministre et le ministre de l’Éducation nationale, comme cela avait été annoncé le 25 mai 2021 par le premier ministre, Jean Castex. Mais cette réunion laisse de sérieux doutes sur la volonté du gouvernement de réellement sécuriser ce type d'enseignement.

La réunion avec le premier ministre, Jean Castex, le ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, les présidents des réseaux d’enseignement immersif en langue autochtone s'est déroulée en visioconférence1 en présence des offices publics des langues concernées2. Elle intervient après que le rapport Bernabé-Dubourg-Lavroff3, rédigé à la demande du minstre de l’Éducation nationale et proposant un plan pour mettre un terme à l’enseignement imersif an langue autochtone, ait fuité4. La position du gouvernement s’en est certainement trouvée quelque peu fragilisée.

Il s’est déroulé près de 3 heures de discussions. Au cours des échanges, Jean Castex a déclaré que « l’enseignement par immersion est nécessaire pour les langues régionales », et a annoncé, d’une part, qu’une circulaire organisera l’enseignement immersif et, d’autre part, qu’un organisme de concertation permanent sur les langues régionales sera créé, en précisant que cet organisme sera sous son égide. Le président de la Région Bretagne, Loïg Chesnais-Girard, résume ainsi ces interventions : « Le Premier ministre a annoncé se placer du côté des langues régionales et reprendre en main ce dossier. »

Ces décisions amènent deux remarques. Premièrement, le fait que l’organisme qui sera créé dépende du premier ministre vise de toute évidence à rendre les échanges plus sereins qu’ils ne le seraient avec le ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, au vu de ses positions clairement hostiles à l’enseignement immersif en langue autochtone. Deuxièmement, l’émission d’une circulaire ne règle en rien le problème de l’inconstitutionnalité de ce type d’enseignement, et elle sera, de fait, elle-même anticonstitutionnelle. Une circulaire n’a d’ailleurs pas même de valeur normative. À moins qu’elle ne contienne des lignes directrices, elle ne peut pas être invoquée devant le juge, de simples orientations générales n’étant pas suffisantes pour cela5.

Mais si aucune sécurisation de l’enseignement immersif en langue autochtone n’est prévue, quel est le réel but de la circulaire et du futur organisme ? L’absence manifeste de volonté de sécurisation, tant par le ministre de l’Éducation nationale que par le premier ministre, a de quoi faire craindre que l’objectif du gouvernement reste de mettre fin à ce type d’enseignement. Cependant, comme la sensibilité du sujet oblige à y paraitre favorable, la méthode, initiée par Jean-Michel Blanquer, consiste non à interdire cet enseignement, mais à redéfinir ce qu’il doit être.

Dans un telle perspective, les annonces de Jean Castex s’expliquent alors très bien : la circulaire viserait à imposer des règles pour réduire la place des langues autochtones dans l’enseignement immersif, et le nouvel organisme à contrôler la mise en œuvre de ces règles. Et grâce à la magie des mots, tout cela serait, dans le discours officiel, réalisé pour le bien de ces langues et de leur enseignement, alors que les effets seraient, en réalité, désastreux pour eux.

La réaction du député Yannick Kerlogot ne permet malheureusement pas d’infirmer cette analyse concernant les intentions du premier ministre : « Enfin, à court terme, il souhaite que soient sécurisées les pratiques et les contrats d'associations par le biais d'une circulaire qui permette aux pratiques actuelles d'être conformes à l'équilibre constitutionnel attendu. Cette circulaire sera soumise aux acteurs, en s’appuyant sur le rapport que nous avons remis en juillet et les discussions du jour. »6 Le changement d’interlocuteur pourrait donc bien n’être qu’une manœuvre de diversion, puisqu’il n’est pas clair qu’il s’accompagne réellement d’un changement d’objectif, ni même d’un changement de stratégie.

En conclusion, le problème de la sécurisation de l’enseignement immersif en langue autochtone demeurera entier tant qu’une révision de la Constitution n’aura pas été effectuée. Les réseaux d’enseignement en langue autochtone en sont bien conscients, et continueront à défendre leur méthode pédagogique, dont l’efficacité est reconnue, y compris par le rapport Bernabé-Dubourg-Lavroff qui préconise pourtant d’y mettre fin. Et ils resteront particulièrement vigilants jusqu’à ce que la sécurisation de celle-ci soit enfin réalisée.

Notes :

  1. « Jean Castex veut « préserver la richesse des langues régionales » », Le Télégramme, 15 septembre 2021, 17 h 53.
  2. « Diwan. Jean Castex promet une circulaire pour sécuriser l’enseignement par immersion », par Séverine Breton, France 3 Bretagne, 15 septembre 2021, 19 h 47, modifié à 20 h 04.
  3. Note no 2019-053, « L’enseignement en immersion d’une langue vivante régionale : le réseau Diwan », par Yves Bernabé et Sonia Dubourg-Lavroff, Ministère de l’Éducation nationale et de la jeunesse et Ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, juillet 2019.
  4. « Le mystérieux rapport de l’Education nationale sur Diwan », par Stéphanie Stoll, Stephaniestoll.medium.com, 20 août 2021, mis à jour le 7 septembre 2021.
  5. « A quelles conditions une circulaire est-elle invocable devant le juge administratif ? », par Christian Baillon-Passe, Baillonpasse-avocat.fr.
  6. Message du 15 septembre 2021 à 21 h 30, par Yannick Kerlogot, sur Facebook.