Justice pour nos langues !

Une réelle sécurisation de l’enseignement immersif
en langue autochtone est réalisable

Alors que les propositions avancées par le rapport rendu le 21 juillet 2021 au premier ministre, Jean Castex, présentent des risques pour l’enseignement immersif, les solutions pour sécuriser véritablement l’enseignement immersif existent. Mais elles ne sont considérées favorablement ni par ce rapport, ni par le gouvernement.

L’enseignement immersif est mis en péril par le droit constitutionnel dont dispose tout usager d’un service public de s’exprimer en français et d’imposer l’usage du français à toute personne agissant dans le cadre d’une mission de service public. Ce droit provient de la jurisprudence constitutionnelle1, et c’est l’argument qu’a employé le Conseil constitutionnel pour censurer l’enseignement immersif en langue autochtone2. Pour cette raison, il ne saurait y avoir de sécurisation de l’enseignement immersif faire tomber la censure du Conseil constitutionnel3. Les seules solutions efficaces consistent donc soit en une modification de la constitution soit en la reconnaissance de normes supra-constitutionnelles permettant ce type d’enseignement.

La révision constitutionnelle, quoi qu’en dise Yannick Kerlogot4, est clairement rejetée par le rapport sur lequel il a travaillé, puisqu’il indique : « La révision de la Constitution n’apparaît ni réaliste à court terme, ni fondalementalement souhaitable : elle ne saurait faire figurer une simple méthode pédagogique dans la norme fondamentale et ne règlerait en rien l’arbitrage toujours nécessaire avec l’article 2. En toute hypothèse, elle serait déconnectée avec la temporalité requise pour une sécurisation des pratiques »5. Plusieurs remarques peuvent être formulées.

  1. La révision constitutionnelle est, en réalité, tout à fait possible. Et elle a notamment été demandée par 143 parlementaires, signataires d’une lettre au président de la République, Emmanuel Macron6. Elle est également soutenue par le groupe Mouvement démocrate et démocrates apparentés, comme le montre la contribution du groupe Modem à la mission Kerlogot-Euzet7. Elle est ainsi ardemment souhaitée, à la fois par les acteurs de l’enseignement immersif en langue autochtone, par ses bénéficiaires, par ses soutiens au niveau des ONG, comme le Réseau européen pour l’égalité des langues (ELEN), des associations, des populations sur le terrain, et au niveau politique. L’obstruction semble, en réalité, provenir essentiellement du gouvernement8.
  2. L’enseignement en langue autochtone fait l’objet de dispositions présentes dans des traités internationaux, mais non adoptées par la France, et rien ne s’oppose à ce qu’il figure dans la Constitution. Cependant, la révision constitutionnelle n’implique pas nécessairement de mentionner explicitement ce type d’enseignement, même s’il serait d’autant mieux sécurisé ainsi. Il serait, en effet, possible de se borner à indiquer, à l’article 75-1, une phrase du type : « La protection des langues régionales est assurée par les dispositions prévues par les lois relevant du présent article », mais pour éviter un conflit avec l’article 2, que le Conseil constitutionnel fera toujours prévaloir sur l’article 75-1, l’article 2 devrait également être modifié.
  3. L’article 2 pourrait être modifié soit en supprimant la portion de texte ajoutée en 1992, et qui a eu pour principal effet de porter préjudice aux langues autochtones, soit en complétant l’article par une mention finale du type : « Le pemier alinéa du présent article s’applique sans préjudice aux dispositions, mesures, lois et règlements relevant de l’article 75-1. » Cette modification est d’autant plus nécessaire qu’elle serait un pas vers le retour à l’État de droit par la mise en conformité du texte constitutionnel avec l’intention du législateur, puisque l’ajout de 1992 visait uniquement à défendre le français face à l’anglais. Elle permettrait également d’honorer enfin la promesse du garde des sceaux de l’époque qui avait précédé le vote. Ce dernier, en réponse aux craintes concernant les langues autochtones avait, en effet, assuré que les libertés valant pour l’Europe valaient également la France, et qu’il n’y aurait pas d’atteinte à la politique de respect de la diversité culturelle9.
  4. Une telle révision peut aboutir avant les prochaines présidentielles. La conjoncture y est même plutôt favorable.

L’autre moyen consiste à souscrire à des traités internationaux, et les deux solutions peuvent d’ailleurs s’avérer complémentaires l’une de l’autre. Les engagements internationaux constituent la voie la plus simple et la plus rapide d’assurer le maintien de l’enseignement immersif en langue autochtone. Dans cette optique, les dispositions suivantes pourraient être adoptées :

Il existe donc plusieurs moyens de protéger l'enseignement immersif en langue autochtone, sans que soit mis en danger permanent ce type d'enseignement. Mais les deux députés, dans leur rapport, rejettent le premier, sans même évoquer la contribution du Modem, et ne prennent pas la peine d’envisager le second, qui leur avait pourtant été communiqué14. Il est clair que la sécurisation de ce type d’enseignement n’est qu’une question de volonté politique et, en particulier, de volonté gouvernementale. Malheureusement, cette volonté semble faire cruellement défaut au gouvernement, et, par ricochet, aux députés de la majorité.

Notes :

  1. Décision no 96-373 DC du 9 avril 1996, par le Conseil constitutionnel. Considérants 90 et 91.
  2. Décision no 2021-818 DC du 21 mai 2021, par le Conseil constitutionnel. Alinéas 15 à 20.
  3. « L’inquiétant rapport de Yannick Kerlogot et Christophe Euzet », par Yann-Vadezour ar Rouz, Justice pour nos langues !, 22 juillet 2021.
  4. « L’avis de Yannick Kerlogot sur une révision constitutionnelle, par Yann-Vadezour ar Rouz, Justice pour nos langues !, 23 juillet 2021, modifié le 27 juillet 2021.
  5. Rapport au premier ministre : L’enseignement des langues régionales – État des lieux et perspectives après la décision du Conseil constitutionnel du 21 mai 2001, par Christophe Euzet, député de l’Hérault, et Yannick Kerlogot, député des Côtes d’Armor, juillet 2021.
  6. Lettre de Paul Molac, député du Morbihan et auteur de la proposition de loi, et Monique de Marco, sénatrice de la Gironde et rapporteure de la proposition de loi au Sénat, cosignée par 141 autres palementaires, dont 85 députés et 56 sénateurs.
  7. Contribution du groupe Modem à la mission Kerlogot-Euzet, par Mouvement démocrate et démocrates apparentés, juin 2021.
  8. « Le double jeu du gouvernement », par Yann-Vadezour ar Rouz, Justice pour nos langues !, 21 juillet 2021, modifié le 22 juillet 2021.
  9. Assemblée nationale, 9e législature. Seconde session ordinaire de 1991—1992 (27e séance). Compte rendu intégral de la 1re séance du mardi 12 mai 1992. Journal officiel de la République française, no 26 [1] du mercredi 13 mai 1992. P. 1019 à 1021.
  10. Convention-cadre pour la protection des minorités nationales, par le Conseil de l’Europe.
  11. À propos de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales, par le Conseil de l’Europe.
  12. Convention internationale des droits de l’enfant, par l’Unicef.
  13. « Pacte international relatif aux droits civils et politiques », par les Nations unies.
  14. Lettre ouverte à Christophe Euzet et Yannick Kerlogot, par Yann-Vadezour ar Rouz, Justice pour nos langues !, 19 juillet 2021.