Justice pour nos langues !

Le mépris du gouvernement
pour les identités et les langues autochtones

La teneur des propos tenus par les membres du gouvernement n’ont rien d’anodins. En effet, si ces derniers n’hésitent pas à se montrer avilissants lorsqu’il s’agit de l’identité des territoires ou des langues autochtones, ils suivent en cela deux objectifs. Ils visent, d’une part, à dissuader les revendications liées à ces sujets, et, d’autre part, à écarter tout débat démocratique lorsqu’une question touchant à un de ces sujets leur est soumise. Et leur absence de réponse dans les même circonstances trahit tout autant leur déconsidération que les propos qu’ils peuvent tenir.

Si, pour des raisons idéologiques, le gouvernement s’oppose aux identités autochtones et à leurs langues, l’intolérance à l’origine de cette opposition se traduit notamment par des marques de mépris récurrentes, dont quelques exemples suivent.

Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, lors des questions au gouvernement, le 9 juin 2021

Interrogée par le sénteur Ronan Dantec sur le possible redécoupage régional à l’occasion de l’examen de la loi 4D (déconcentration, décentralisation, différenciation, décomplexification), la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, Jacqueline Gourault, a raillé la question en citant un extrait du refrain d’une chanson paillarde : « Je ne reviens pas sur Vive la Bretagne et vivre les Bretons (sic). »1

Puis, elle a enchainé sur un ton familier, toujours inapproprié, en prenant soin de préciser l’origine, qu’elle venait de moquer, du député Paul Molac : « Il y a encore eu une question, hier, d’actualité au Sénat posée par ton copain… breton, Molac. » S’en est alors suivi un curieux dialogue, où la ministre feignait de ne pas comprendre la question et tentait d’y couper court :
— L’initiative appartient aux collectivités territoriales.
— Ah non.
— Bah si.
— C’est l’inverse de ta réponse de la dernière fois.
— Comment ça c’est l’inverse…
— Tu nous as dit dans l’hémicycle la dernière fois que pour arriver à débloquer le dossier, il fallait changer la loi. Donc ma question, c’est : est-ce que l’État est prêt à changer la loi ?
— L’État ne peut pas… L’État, aujourd’hui, n’a pas les moyens de faire une consultation…
— On est d’accord.
— On est d’accord.
— Donc est-ce que l’État est prêt à ce qu’on change la loi ?
— Voilà. Ah, bah ça c’est un autre sujet…
— C’est ma question.
— … mais qui n’est pas tellement à l’ordre du jour.
— C’est la question de la loi 4D, quand même. C’est quand même la question de la loi 4D.
— …
— Eh oui !
— …
— Elle est précise la question.
— …
— Donc la réponse est non…
— Mais, je ne suis pas sûre que la Loire-Atlantique soit tout à fait d’accord, c’est le sujet.
— Mais ça, c’est la consultation qui le dira. Mais l’État est-il prêt à changer la loi ?
— Ouais, ouais… mais je sais le sujet. Je vais être obligée d’y aller !

Ronan Le Dantec ayant tenu bon, la ministre n’a pas trouvé mieux que de refuser de répondre au sénateur. C’est ce qui s’appelle un déni de démocratie. Ainsi, dès lors qu’il s’agit de question d’identités ou de langues autochtones, les règles démocratiques, pas plus que le droit, n’ont plus grande valeur en France.

Éric Dupond-Moretti, ministre de la justice, à l’Assemblée nationale, le 11 mars 2021

Alors que le député Marc Le Fur défendait un amendement visant à permettre la ratification de Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, le garde des sceaux, Éric Dupond-Moretti, lui a répondu : « On dit parfois que la loi ne peut pas être bavarde, qu’elle ne bavarde pas. Tiens, monsieur le député Le Fur, vous savez, vous, d’où vient le mot “baragouiner” ? Bien sûr ! “Bara”, le pain, et “gouiner” (sic), le vin, en breton. Voilà ! Alors, moi, je n’ai pas le goût de l’effort inutile… »2

Outre le fait que le garde des sceaux ne s’est pas particulièrement grandi en affichant ses connaissances approximatives, puisque « vin » se dit en breton « gwin », et non « *gouiner », pour lui, les mesures de protection des langues autochtones ne sont qu’un bavardage inutile, et parler ces langues, c’est « baragouiner ». Au passage, c’est évidemment à dessein qu’il utilise un terme péjoratif.

Le député, soulignant que le terme était « dégradant », a alors demandé au ministre de « sortir de la logique du mépris », et l’a invité à présenter des excuses, pendant que son interlocuteur enchainait les gestes agacés et condescendants. Éric Dupond-Moretti, doutant de la réalité du texto indigné qui avait été envoyé à Marc Le Fur, a, malgré tout, présenté toutes ses excuses à son auteur, le reste de la population concernée devant se contenter du dénigrement dont il a été l’objet.

Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Éducation nationale, de la jeunesse et des sports, au Sénat, le 21 mai 2019

Selon le ministre de l’Éducation nationale, il existerait une hiérachie des langues, qui pourraient être classées en fonction de leurs avantages cognitifs. Car, pour lui, non seulement les langues autochtones se situent nécessairement en-dessous français de ce point de vue, mais l’éducation dans une telle langue nuirait même au développement cognitif.

Il a, en effet, déclaré : « L’immersif est unilinguisme puisque ce qu’on met derrière la notion de maternelle immersive, c’est le fait que les enfants ne parlent que la langue régionale. Déjà d’un point de vue pédagogique il y aurait beaucoup à discuter autour de ça, on pourrait arriver à dire que cognitivement ce n’est pas si bon que ça, précisément si l’enfant est mis dans la situation d’ignorer la langue française. »3

Le ministre a alors fait abstraction à la fois de l’omniprésence du français dans la société qui fait qu’il est difficilement concevable que les élèves ne soient pas bilingues, de la rareté des élèves de langue maternelle autochtone, y compris dans les établissements où est pratiqué l’enseignement immersif, de la quantité d’études montrant les bienfaits de l’enseignement en langue autochtone ou les avantages du bilinguisme précoce, et, surtout, des obligations, qu’il ne peut méconnaitre, concernant la maitrise du français des élèves à laquelle sont soumis l’ensemble des établissements scolaires, y compris ceux pratiquant l’enseignement immersif, et encore des résultats de l’enseignement immersif supérieurs à la moyenne nationale, y compris pour ce qui est de l’enseignement de la langue française.

Emmanuel Macron, président de la République, à l’Institut de France pour la stratégie sur la langue française, le 20 mars 2018

Lors de son discours, pourtant intitulé « Une ambition pour la langue française et le plurilinguisme »4, le président de la République a fait plusieurs déclarations montrant son absence de considération pour les langues autochtones de France. Si de nombreux commentaires ont été effectués sur l’intervention du président de la République5, quatre citations sont particlièrement révélatrices du sort qui, pour lui, est dévolu aux langues autochtones.

« Mais toujours au creux du français, il y a eu, je crois, cette volonté de liberté, sans doute toujours inaccomplie, ce destin dont parlait l’abbé Grégoire dès 1794 […]. » En effet, le 4 juin 1974, l’abbé Grégoire présentait à la Convention nationale son « Rapport sur la nécessité et les moyens d’anéantir les patois, et d’universaliser l’usage de la langue française »6, qui annonçait la mise en œuvre d’une véritable croisade contre les langues, dialectes et parlers de France…

« Au fond, nous sommes le seul pays de la Francophonie qui ne vit qu’en français. La Francophonie, si elle nous dit quelque chose – et je ne me suis pas essayé ici, sous le contrôle de plus experts que moi, à essayer de dire qui était francophone ou pas –, mais celles et ceux qui parlent en langue française ont une richesse, ils ont plusieurs langues. Il n’y a que les Français qui n’ont que le français. » Pour Emmanuel Macron, donc, les langues autochtones de France n’existent pas.

« La langue française est d’une abondance et d’une richesse de sens incomparable aussi parce qu’elle est constamment dans cette intranquillité avec les autres langues, dans cette cohabitation avec les autres langues, parce qu’elle a elle-même vécu dans notre propre pays dans cette intranquillité. » Cette citation précise la précédente. Les langues autochtones de France sont ainsi reléguées au passé, aussi bien dans la métropole que dans les outre-mers.

« En renonçant au latin des clercs, François 1er ouvrait la porte à une langue authentiquement nationale, partagée, comprise de tous, il donnait corps à cette ambition propre à la langue française de jeter des ponts entre les classes et les conditions. » Les langues autochtones semblent alors déjà inexistantes au 16e siècle, alors qu’elles étaient très majoritaires, et que seule une petite minorité de la population était, en réalité, capable de comprendre le français à cette époque.

Emmanuel Macron, président de la République, en Corse, février 2018

Après un discours peu apprécié des nationalistes corses, le président de la République, s’est brièvement entretenu avec Xavier Luciani, conseiller exécutif en charge de la langue corse7.

Emmanuel Macron, qui soit ne connait pas bien le nom de la langue maternelle de sa grand-mère – mais on peut en douter –, soit – et c’est plus probable – la déprécie au point de ne pas daigner l’appeler par son véritable nom, de peur, sans doute, de trop la valoriser, a alors montré qu’il considérait l’abandon des langues autochtones comme un progrès : « Vous savez, moi j’avais des arrière-grands-parents qui étaient bigourdans. Ils ne parlaient que le pyrénéen. Leur seul objectif dans la vie, c’était que ma grand-mère aille à l’école de la République pour apprendre le français. Pensez-y ! Parce qu’on peut faire bégayer l’histoire parfois. » À noter que les possibilités ne manquaient pas pour nommer correctement la variété linguistique que parlaient ses arrières-grands-parents : la langue correspondant approximativement au tiers sud de la France est l’occitan, le dialecte occitan situé le plus à l’ouest est le gascon, et la variété du gascon parlée en Bigorre s’appelle le gascon pyrénéen. L’effacement du terme « gascon », se rapportant à une identité bien marquée, alors qu’il constitue la partie générique du nom de la variété linguistique parlée en Bigorre, pour ne garder, curieusement, que la partie spécifique de ce nom, qui constitue une référence purement géographique, ne doit rien au hasard.

Peu après, Xavier Luciani évoquait un problème de fond de la politique linguistique française, qui prive les langues autochtones d’une réelle vie sociale : « Je pense qu’à un moment donné, le corse soit sortir de l’école et rayonner dans la société… » En réponse à ses demandes et à ses arguments, Emmanuel Macron, justifiera la position du gouvernement par l’opposition historique contre les langues autochtones : « L’histoire de la nation française est ainsi. » Avec un tel argument, la perspective est claire : l’oppression linguistique ne prendra fin qu’avec l’extinction définitive des langues autochtones. De même que précédemment, le président de la République défend ainsi une vision linéaire de l’histoire, qui justifie qu’on ne reconnaisse ni ne corrige les erreurs héritées du passé, qui ne permet ni la réflexion ni la critique, qui fait, en somme, du nationalisme linguistique d’État un invariant en s’opposant à ce que les conceptions politiques relatives aux langues autochtones puissent évoluer avec la société, s’adapter à l’avancée des connaissances et respecter les droits humains fondamentaux reconnus par les instances internationales.

À la réplique de Xavier Luciani, le président de la République a fait savoir qu’il n’y aurait pas de débat démocratique sur la question :
— C’est vous qui fermez la porte.
— Non ! Enfin, sur ce sujet-là, peut-être, oui, si vous voulez…

Xavier Luciani a alors fait une ultime tentative pour essayer d’infléchir la position d’Emmanuel Macron : « Il ne faut jamais fermer les portes, ouvrez les fenêtres. C’est important ! La langue, c’est l’avenir. » Le président de la République s’en est alors pris directement à son interlocuteur « Mais si ouvrir une fenêtre, c’est être d’accord avec vous… on finit enfermé ! Mais dans vos toilettes à vous. » Relatant le même propos, L’Express commentait très justement : « “Enfermé dans vos toilettes” ! Comment mieux dire à quel point, aux yeux du président, les langues de France sont “sales”, “répugnantes”, “nauséabondes” ? »8

Notes :

  1. La ministre Jacqueline Gourault balaie d’une chanson la réunification de la Bretagne.
  2. Le Garde des sceaux qualifie les langues régionales de baragouinage !
  3. « Il est bon que l’ignorance s’exprime », par Enbata.info, 8 juin 2019.
  4. « Une ambition pour la langue française et le plurilinguisme », discours du président de la République à l’Institut de France pour la stratégie sur la langue française, prononcé par Emmanuel Macron le 20 mars 2018.
  5. Macron : l’estocade sera donnée aux langues de France, par David Grosclaude, 29 mars 2018.
  6. Rapport sur la nécessité et les moyens d’anéantir les patois, et d’universaliser l’usage de la langue française, par l’Abbé Grégoire, 4 juin 1794, Convention nationale.
  7. Derniers échanges entre Emmanuel Macron et les élus nationalistes, reportage de Maia Graziani, Stéphane Lapera et Julien Castelli, France 3 Corse Viastella.
  8. « Emmanuel Macron, sa grand-mère et les “toilettes” », par Michel Feltin-Palas, L’Express, 5 mars 2019, 9 h 30.