Justice pour nos langues !

L’inquiétant rapport
de Yannick Kerlogot et Christophe Euzet

Le rapport des députés Yannick Kerlogot et Christophe Euzet, faisant suite à la censure de l’enseignement immersif en langue autochtone par le Conseil constitutionnel, a été remis au premier ministre, Jean Castex, le 21 juillet 2021. Sans surprise, il avance des propositions qui, en ne résolvant que partiellement les problèmes posés par cette censure, risquent de fragiliser l’enseignement immersif en langue autochtone.

Avant même que soit annoncée la mission des deux députés, le ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, avait déclaré : « La décision du Conseil constitutionnel offre un socle clair et solide pour développer l’enseignement des langues régionales. » Et ajouté : « Elle va sans doute conduire à des évolutions, mais elle ne condamne en rien Diwan, qui n’est pas menacé dans son existence. »1 La couleur était alors annoncée : le gouvernement d’Emmanuel Macron n’initierait pas de procédure de révision de la Constitution et ce sera aux écoles immersives concernées d’accepter de nouvelles règles de fonctionnement.

Puis, le premier ministre, en réponse à une question de Yannick Kerlogot à l’Assemblée nationale, avait enfoncé le clou lors même de l’annonce selon laquelle il allait confier une mission à deux députés. Ces derniers devraient « retrouver, dans le cadre […] des lois de la République, une solution permettant de respecter […] notre Constitution »2. Il n’y aurait donc ni révision constitutionnelle, ni modification législative d’aucune sorte. Dans ces conditions, les propositions devaient nécessairement aller dans le sens d’une imposition de nouvelles règles pour les écoles immersives concernées.

C’est donc dans ce champ étroit défini par le gouvernement que les propositions des deux députés devaient être faites. De là à en conclure que ces propositions avaient quasiment été annoncées par le ministre de l’Éducation nationale et étaient induites par le cahier des charges du premier ministre, il n’y a qu’un pas. Mais venons-en au fait. Que sont ces propositions ? Et sont-elles acceptables ?

Le rapport des deux députés envisage que le contrat liant les écoles privées et l’Éducation nationale soit complété par un avenant qui indiquerait, d’une part, que, concernant l’enseignement immersif, « la pédagogie est proposée de manière facultative et volontaire », et qui servirait, d’autre part, à « clarifier la langue de communication » au sein de l’établissement3. Interrogé par Le Télégramme, Yannick Kerlogot précise : « Cet avenant aux associations serait acté dans une circulaire par le ministre, qui viendrait enrichir celle du 12 avril 2007, qui porte sur les langues régionales. Elle reconnaîtrait que la langue de communication dans les établissements, dans les temps autres que les cours, est utilisée pour des raisons pédagogiques. Et cela, de manière facultative. »4

Mais aussi recherchées soient-elles, ces propositions restent bancales, car, elles risquent fort, à terme, de mettre à mal l’enseignement immersif en langue autochtone bien plus qu’elles ne le sécurisent. En effet, le Conseil constitutionnel a été très clair : « En vertu des dispositions de l'article 2 de la Constitution, l'usage du français s'impose aux personnes morales de droit public et aux personnes de droit privé dans l'exercice d'une mission de service public. Les particuliers ne peuvent […], dans leurs relations avec […] les services publics, […] être contraints à [l’usage d’une autre langue que le français]. »5 Aussi, la langue française pourra alors être imposée par l’usager quand bon lui semble, car aucune des dispositions qui seront mises en place ne sauraient le priver de ce droit constitutionnel.

Pour se montrer rassurant, le rapport indique que « de tels avenants aux contrats d’association et aux conventions État-collectivités ne devraient pas conduire à réduire la pratique de l’enseignement immersif, mais à rassurer la puissance publique sur la prise en compte des exigences qui découlent de l’article 2 de la Constitution ». Cependant, ce n’est là rien de plus qu’une déclaration. Et elle ne pourra évidemment être assortie d’aucune garantie, puisque rien dans le droit français n’est au-dessus de la jurisprudence constiutionnelle.

Le droit constitutionnel précité s’appliquera donc, même s’il a été instauré au mépris de l’intention du législateur. Or, pour mémoire, la promesse du garde des sceaux selon laquelle la mention de la langue française dans l’article 2 de la Constitution ne serait pas utilisée contre les langues autochtones6 n’a jamais pu être honorée précisément parce que, dès lors qu’une question est examinée par le Conseil constitutionnel, la jurisprudence qui en ressort s’impose, et les décisions de ce dernier ne peuvent faire l’objet d’aucun recours. Il ne saurait évidemment en être autrement dans le cas qui nous occupe.

En conclusion, les propositions du rapport, si elles étaient suivies, permettraient certes de passser le cap de la rentrée. Mais elles préfiguraient aussi le délitement de l’enseignement immersif. Car la solution qui se dessine consiste ni plus ni moins à placer une épée de Damoclès au-dessus des écoles immersives en langue autochtone. Et il y a fort à parier que le tranchant de sa lame commencera alors à se faire sentir après les prochaines présidentielles.

Notes :

  1. « Entretien. « La France encourage les langues régionales », assure Jean-Michel Blanquer », par Arnaud Belier et Stéphane Vernay, Ouest-France, 21 mai 2021, 21 h 46, modifié à 22 h 40.
  2. Questions au gouvernement du 25 Mai 2021 : Langues Régionales, Mr. Yannick Kerlogot, La République en marche, au premier ministre.
  3. « Langues régionales. Les députés ont rendu leur rapport sur l’enseignement immersif », par Tanguy Homery, Ouest-France, 21 juillet 2021, 17 h 28, modifié à 18 h 05.
  4. « Enseignement immersif : le député breton a remis son rapport à Castex », par Le Télégramme, 21 juillet 2021 à 17 h 30.
  5. Décision no 2021-818 DC du 21 mai 2021, par le Conseil constitutionnel.
  6. Assemblée nationale, 9e législature. Seconde session ordinaire de 1991—1992 (27e séance). Compte rendu intégral de la 1re séance du mardi 12 mai 1992. Journal officiel de la République française, no 26 [1] du mercredi 13 mai 1992. P. 1021.