Justice pour nos langues !

L’avis de Yannick Kerlogot
sur une révision constitutionnelle

Alors qu’une révision constitutionnelle permettrait de sécuriser l’enseignement immersif en langue autochtone, bien mieux que les propositions privilégiées par le rapport sur lequel il a travaillé, qui tendraient plutôt à le fragiliser, Yannick Kerlogot ne considère pas cette solution comme sérieuse. Son analyse reste, toutefois, très discutable.

Dans un entretien du Télégramme1, Yannick Kerlogot explique pourquoi il n’y aura pas de révision constitutionnelle d’ici les prochaines présidentielles. Ses arguments appellent quelques commentaires.

« Nous n’écartons pas la révision de la Constitution mais il serait ubuesque de penser qu’on pourrait la mener dans les dix prochains mois. » Le mot essentiel de la phrase est le « mais » qui permet à la seconde partie de la phrase de contredire habilement la première. Mais pour que cette deuxième portion de phrase soit plus juste, il conviendrait sans doute de remplacer le verbe « pouvoir » par « vouloir »…

« Et puis, elle n’a pas vocation à valoriser une forme de pédagogie qui s’appelle l’immersion. » Il ne s’agit pas de valoriser, mais d’autoriser. Or, la Constitution consiste notamment à préciser les droits et libertés.

« À ceux qui disent qu’il faut revoir l’article 2 : pourquoi pas mais cela nécessite un débat avec la population. » On apprend ici une règle inconnue tant du droit que des usages, mais qui semble provenir d’un raisonnement implaccable : si l’avis de la population n’est pas utile pour porter préjudice aux minorités, il le devient dès lors qu’il s’agit de les respecter. Pour mémoire, la population n’a pas été consultée en 1992 pour modifier ce même article 2. Les débats parlementaires rapportent même, au contraire, que, certaines personnes parmi la population avaient mis en garde le député Yves Dollo, car ils craignaient que cette portion de texte porte préjudice aux langues régionales2. Leur avis n’a eu aucune influence sur le résultat du vote, mais l’histoire leur a malheureusement donné raison.

« Notre préconisation, c’est plutôt d’aller sur l’article 75-1, adopté en 2008, qui reconnaît que les langues régionales font partie du patrimoine de la France. » Alors que le rapport sur lequel il a lui-même travaillé avec Christophe Euzet et qu’ils ont rendu le jour même indiquait qu’une telle modification « ne règlerait en rien l’arbitrage toujours nécessaire avec l’article 2 »3, plutôt que de modifier l’article invoqué pour censurer l’enseignement immersif en langue autochtone, il est, en effet, logique de se concentrer exclusivement sur le seul article de la Constitution sans valeur juridique, puisque, selon les termes du Conseil constitutionnel, « cet article n'institue pas un droit ou une liberté que la Constitution garantit »4. Et c’est d’ailleurs pour cette raison qu’il est régulièrement mis en avant par les opposants aux langues autochtones : il permet de donner l’illusion d’une protection effective. Une telle instrumentalisation de cet article s’observe, par exemple, dans la rhétorique du ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer. Dans un entretien de Ouest-France, à la question « Que pensez-vous de l’appel du député breton Paul Molac à réviser la Constitution pour que les langues régionales soient au niveau du français ? », il entammait, en effet, sa réponse par : « La Constitution reconnaît déjà les langues régionales au travers de l’article 75. »5

« La révision devrait recueillir trois cinquième des élus réunis en Congrès. Et le Sénat ne fera jamais ce cadeau à Emmanuel Macron, à quelques mois de l’élection présidentielle. » Il s’agirait, en vérité, d’un bien curieux cadeau, puisque, de toute évidence, l’exécutif ne veut pas de cette révision. Car s’il la voulait vraiment, il l’aurait initiée dès le lendemain de la décision du Conseil constitutionnel, et n’aurait pas attendu plus de deux mois pour se poser la question. D’ailleurs, on voit mal pourquoi il voudrait modifier les dispositions de la Constitution sur lesquels le gouvernement s’est appuyé dans ses observations sur la saisine6. Et pour ne pas obtenir cette révision, le plus sûr reste toujours de ne pas la demander. Le Sénat, quant à lui, aurait pourtant une bonne raison de l’accepter, car c’est lui qui a été à l'initiative de l'article sur l'enseignement par immersion, comme le rappelle Paul Molac7. On comprendrait donc mal qu’il ne défende pas son propre texte…

Enfin, on peut raisonnablement douter de la volonté du gouvernement de sécuriser efficacement l’enseignement immersif en langue autochtone, quand on sait que c’est l’exécutif qui a orchestré la manœuvre conduisant à la censure, par le Conseil constitutionnel, de l’enseignement immersif en langue autochtone8. Mais après avoir travaillé sur le rapport pour le gouvernement ayant pour objet cette sécurisation, il serait étonnant de voir Yannick Kerlogot alerter sur les risques que comportent les propositions qu’il contient ou sur les réels objectifs du gouvernement. Il risquerait de se désavouer.

Notes :

  1. « Enseignement immersif : le député breton a remis son rapport à Castex », par Le Télégramme, 21 juillet 2021 à 17 h 30.
  2. Assemblée nationale, 9e législature. Seconde session ordinaire de 1991—1992 (27e séance). Compte rendu intégral de la 1re séance du mardi 12 mai 1992. Journal officiel de la République française, no 26 [1] du mercredi 13 mai 1992. P. 1019-1020.
  3. Rapport au premier ministre : L’enseignement des langues régionales – État des lieux et perspectives après la décision du Conseil constitutionnel du 21 mai 2001, par Christophe Euzet, député de l’Hérault, et Yannick Kerlogot, député des Côtes d’Armor, juillet 2021.
  4. Décision no 2011-130 QPC du 20 mai 2011, par le Conseil constitutionnel.
  5. « Entretien. « La France encourage les langues régionales », assure Jean-Michel Blanquer », par Arnaud Belier et Stéphane Vernay, Ouest-France, 21 mai 2021, 21 h 46, modifié à 22 h 40.
  6. Observations du gouvernement sur la loi relative à la protection patrimoniale des langues régionales et à leur promotion, reçu au greffe du Conseil constitutionnel le 14 mai 2021.
  7. « Langues régionales. Les premières réactions, au lendemain du rapport Kerlogot-Euzet », par France 3 Bretagne, 22 juillet 2021, 10 h 30, modifié à 13 h 12.
  8. « Le double jeu du gouvernement », par Yann-Vadezour ar Rouz, Justice pour nos langues !, 21 juillet 2021, modifié le 22 juillet 2021.