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Les droits relatifs à l’enseignement en langue autochtone
dans le cadre de l’instruction dans la famille

[Cet article est une version revue et augmentée de « Droit de l’enseignement en langue autochtone dans le cadre de l’instruction dans la famille », du même auteur, mis initialement en ligne le 30 mai 2019 sur le site Kevredadyezhoniezh.brezhoneg.world.]

La législation française permet l’enseignement complètement immersif en langue autochtone. Mais, depuis 2017, les services de l’Éducation nationale mettent parfois à mal cette possibilité par le biais des évaluations obligatoires. Et, en 2022, les personnes souhaitant bénéficier d’une autorisation d’instruction dans la famille motivée par une situation propre à l’enfant sont tenus de déclarer assurer un enseignement qui ne soit majoritairement pas immersif. Sur ces points, certaines modifications de textes seraient nécessaires pour remettre un peu d’ordre dans le droit.

Légalité de l’enseignement immersif en langue autochtone

Tout d’abord, il n’existe aucune disposition constitutionnelle régissant l’enseignement immersif en langue autochtone dans le cadre de l’instruction dans la famille. Si le Conseil constitutionnel a censuré l’enseignement immersif en langue autochtone en mai 20211, il a aussi pris soin de préciser que « cette décision ne s’applique toutefois qu’au sein du service public de l’enseignement »2. Cela ne concerne donc pas l’instruction dans la famille, et c’est dans la législation ordinaire que se trouvent les dispositions s’y rapportant.

La langue de l’enseignement est définie par l’article 1 de la loi no 94-665 du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française3. Cette loi s’applique aussi bien pour l’instruction dispensée dans un établissement scolaire ou par le biais d’un organisme d’enseignement par correspondance, que pour l’instruction dans la famille. Cette loi énonce, en guise de préliminaire : « Langue de la République en vertu de la Constitution, la langue française est un élément fondamental de la personnalité et du patrimoine de la France. » Et elle stipule immédiatement après : « Elle est la langue de l’enseignement, du travail, des échanges et des services publics. »

Mais si l’enseignement complètement immersif en langue autochtone demeure possible quel que soit le mode d’instruction, c’est en vertu d’un autre article de cette même loi. L’article 21 énonce, en effet, une restriction au profit des langues autochtones : « Les dispositions de la présente loi ne font pas obstacle à l’usage des langues régionales et aux actions publiques et privées menées en leur faveur. » Or, l’instruction dans la famille en langue autochtone constitue bien une action privée en faveur d’une telle langue.

En outre, l’exception formulée par l’article 21 indique explicitement que les dispositions de cette loi ne s’opposent pas à l’usage des langues autochtones. En l’absence de texte, constitutionnel ou législatif, contraire, leur usage est donc permis sans limitation, et cela inclut le domaine de l’enseignement. Il apparait donc que l’enseignement complètement immersif en langue autochtone est permis par la loi dans le cadre de l’instruction dans la famille, en plus d’être conforme à la Constitution.

Prise en compte aléatoire de la méthode immersive dans les évaluations obligatoires

Si la légalité de ce type d’enseignement est établie, ce dernier peut cependant se heurter aux pratiques des services de l’Éducation nationale. L’instruction dans la famille est, en effet, encadrée, pour des raisons qui sont d’ailleurs justifiées et parfaitement compréhensibles. Elle fait ainsi l’objet d’une inspection de la mairie et d’un contrôle pédagogique. Ce dernier a notamment pour objectif d’évaluer le niveau de l’enfant.

La langue de ce contrôle a été fixée par la circulaire no 2017-056 du 14-4-2017 relative à l’instruction dans la famille4 à la section « Déroulement du contrôle ». Or, cette circulaire se base sur la loi relative à l’emploi de la langue française citée plus haut, mais en omettant la restriction de l’article 21. C’est pourquoi elle stipule que l’évaluation de l’enfant doit nécessairement être effectuée en français : « Le contrôle se déroule en langue française puisqu’en vertu de l’article 1er de la loi no 94-665 du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française, le français est la langue de l’enseignement. »

Selon le texte, l’instauration du français comme langue du contrôle est une conséquence directe du fait qu’elle est la langue de l’enseignement. Or, ce postulat est erroné et va à l’encontre de la loi mentionnée. L’article 1 de la loi relative à l’emploi de la langue française, en offrant un support à cette disposition, contrevient aux bornes fixées par l’article 21, puisqu’il s’oppose ainsi à l’usage des langues autochtones pour la globalité de l’enseignement dès la première année d’instruction obligatoire. L’enfant ne peut, en effet, être évalué dans ces langues au cours de cette même année, alors que les obligations concernant les acquis ne se situent qu’en fin de cycle.

Les lois ayant préséance sur les circulaires, la disposition de la circulaire dont il est question, en contredisant la loi et par son incompatibilité avec elle, se voit théoriquement invalidée. Par conséquent, elle devrait soit être sans valeur, soit ne s’appliquer que lorsque la condition posée comme vraie est réalisée, c’est-à-dire lorsque la langue de l’instruction est effectivement le français. En tout état de cause, le contrôle devrait toujours pouvoir être effectué dans la langue autochtone dès lors qu’elle est la langue de l’instruction, en toute légalité, et ce, en conformité avec l’orientation qui a été donnée à cette portion de texte par les rédacteurs de la circulaire.

Toutefois, la direction académique des services de l’éducation nationale départementale applique ou non, à son gré, la règle édictée par la circulaire quelle que soit la langue de l’instruction de l’enfant. Les enfants instruits dans la famille peuvent donc être évalués en français, même si leur instruction est entièrement dispensée dans une langue autochtone. Les conséquences, résultant de la lecture partielle de la loi par les auteurs de la circulaire, sont multiples.

Obligation de déclarer que l’instruction sera assurée majoritairement en français

Déclaration sur l’honneur d’instruire majoritairement en français dans le cadre d’une demande d’autorisation d’instruction dans la famille.

Cette première barrière à l’enseignement immersif pour les personne effectuant l’instruction dans la famille n’a, semble-t-il, pas été jugée suffisamment efficiente, puisqu’un obstacle supplémentaire a été mis en place plus récemment encore. Une modification législative est, en effet, survenue quelques mois à peine après l’entrée en vigueur, le 24 mai 2021, de la loi no 2021-641 du 21 mai 2021 relative à la protection patrimoniale des langues régionales et à leur promotion5, dont article 3 a pourtant renforcé l’article 21 de la loi no 94-665 du 4 août 1994.

Une autre loi, très décriée, au point même de faire l’objet, non pas d’une, mais, fait rare, de trois saisines du Conseil constitutionnel a alors été adoptée. Et l’article 49 de la loi no 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République6, une fois rendue la décision du Conseil constitutionnel, a modifié l’article L131-5 du Code de l’éducation7. La nouvelle version de cet article, entrée en vigueur le 1er septembre 2021, stipule, depuis, que, dans le cas d’une autorisation de donner l’instruction en famille au motif de l’existence d’une situation propre à l’enfant motivant le projet éducatif, la demande d’autorisation comporte, entre autres, « l’engagement d’assurer cette instruction majoritairement en langue française ».

La volonté de conforter le respect des principes de la République a ainsi été l’occasion de concevoir une nouvelle obstruction à l’enseignement immersif, qui, si elle se montre originale et inventive, n’en est pas moins malheureuse et problématique. Le procédé d’adoption de cette restriction de droit semble d’ailleurs avoir été irrégulier, car l’obstruction à l’enseignement immersif en langue autochtone est sans rapport avec l’objet de la loi qui l’a instaurée. Le Conseil constitutionnel, s’il n’a pas été saisi de cette question particulière, a néanmoins examiné l’article 49 de cette loi8, mais sans en relever l’inconstitutionnalité. Il s’est alors manifestement accommodé, une fois de plus, d’une entorse au droit, ce qui n’est guère surprenant au vu de ses positions assimilationnistes9.

Pourtant, dans le commentaire de sa décision no 2021-818 DC du 21 mai 2021, rédigé peu de temps après son examen de la loi no 2021-641 du 21 mai 2021 relative à la protection patrimoniale des langues régionales et à leur promotion, le Conseil constitutionnel a statué que l’enseignement immersif en langue autochtone dispensé en dehors du service public était conforme à la Constitution. Par conséquent, il s’avère être conforme aux principes de la République, et il ne pouvait en aucun cas être en rapport avec une loi ayant pour objet d’en conforter le respect. Considérer qu’un enseignement dispensé dans une langue autre que le français est incompatible avec le respect des principes de la République tient, en réalité, de la glottophobie, qui, même si la justice française ne le reconnait pas et ne condamne pas le fait, est une forme de racisme.

La manœuvre est cependant passée inaperçue, puisque cette loi a été suivie d’un décret d’application sans que des voix ne s’élèvent sur ce point. L’article 5 du décret no 2022-182 du 15 février 2022 relatif aux modalités de délivrance de l’autorisation d’instruction dans la famille10 a alors ajouté une sous-section relative, elle aussi, aux modalités de délivrance de l’autorisation d’instruction dans la famille au Code de l’éducation11, dont l’article R131-11-5 fixe à présent les documents à délivrer pour une demande d’autorisation d’instruction dans la famille, en énonçant : « Lorsque la demande d’autorisation est motivée par l’existence d’une situation propre à l’enfant motivant le projet éducatif, elle comprend : […] Une déclaration sur l’honneur de la ou des personnes chargées d’instruire l’enfant d’assurer cette instruction majoritairement en langue française. »

Si les articles L131-5 et R131-11-5 du Code de l’éducation apparaissent novateurs, ils sont néanmoins particulièrement pernicieux : alors que l’enseignement immersif en langue autochtone en dehors du service public n’est interdit ni par la Constitution ni par la loi, les dispositions de ces articles imposent à une catégorie de personnes de s’engager à ne pas dispenser un tel enseignement. Ainsi, l’octroi d’une autorisation administrative peut dorénavant être soumis à la condition du renoncement à un droit ou à une liberté. Car, au final, l’administration n’impose au demandeur qui en aurait l’intention rien de moins que de déclarer renoncer à dispenser un enseignement complètement immersif, sans même que l’imposition d’une telle contrainte n’ait jamais été motivée par le législateur.

Enfin, la déclaration sur l’honneur demandée par l’administration pour obtenir l’autorisation d’instruction dans la famille est, elle aussi, discriminatoire. En effet, aucune contrainte similaire n’est exigée pour l’enseignement en établissement scolaire, ni pour toutes les raisons motivant la demande d’instruction dans la famille. Cette mesure, à la fois dissuasive et offensante, concerne ainsi des personnes assurant l’enseignement obligatoire, mais uniquement dans le cadre de l’instruction dans la famille et lorsque la demande d’autorisation est motivée par l’existence d’une situation propre à l’enfant, mais sans que cette différence de traitement ne trouve la moindre justification.

Perspectives

Pour remédier à cette situation difficilement compréhensible, le plus simple serait probablement l’adoption d’un d’une loi rendant caduque la mesure de la circulaire no 2017-056 qui fixe la langue du contrôle obligatoire et modifiant les articles L131-5 et R131-11-5 du Code de l’éducation qui oblige, dans certains cas, à fournir une déclaration sur l’honneur que l’instruction sera majoritairement assurée en langue française. Cela permettrait de mettre fin à une situation discriminatoire et de ramener un peu de cohérence et de sens dans les pièces justificatives exigées aux parents, dans les informations envoyées aux parents par la Direction des services départementaux de l’Éducation nationale, dans les sanctions éventuelles auxquelles s’exposent les parents, ainsi que dans l’enseignement dispensé aux enfants.

En conséquence, la suppression de l’obligation de fournir une déclaration d’instruire majoritairement en français lorsque la demande d’autorisation d’instruction dans la famille est motivée par l’existence d’une situation propre à l’enfant, d’une part, constituerait une avancée. Et la logique suivie par le décret-loi du 30 octobre 1935, devenu depuis article L131-2 du code monétaire et financier, par laquelle la langue dans laquelle est rédigé un chèque doit correspondre à la langue dans laquelle il a été édité, d’autre part, gagnerait à être appliquée ici. Une solution parfaitement satisfaisante serait ainsi un texte de loi stipulant : « Dans le cas d’un enseignement monolingue ou immersif, le contrôle se déroule dans la langue de l’instruction, qui peut être le français ou une langue régionale. Dans le cas d’un enseignement bilingue pour lequel l’instruction est effectuée partiellement en français et partiellement en langue régionale, le contrôle est réalisé en partie dans chacune des deux langues, conformément à l’enseignement dispensé. » Ces deux évolutions sont non seulement attendues, mais aussi positivement fondées.

Notes :

  1. Décision no 2021-818 DC du 21 mai 2021 – Loi relative à la protection patrimoniale des langues régionales et à leur promotion.
  2. Commentaire – Décision no 2021-818 DC du 21 mai 2021 – Loi relative à la protection patrimoniale des langues régionales et à leur promotion, p. 15.
  3. Loi no 94-665 du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française.
  4. Circulaire no 2017-056 du 14-4-2017 relative à l’instruction dans la famille.
  5. Loi no 2021-641 du 21 mai 2021 relative à la protection patrimoniale des langues régionales et à leur promotion (1).
  6. Loi no 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République (1) – Article 49.
  7. Code de l’éducation – Article L131-5.
  8. Décision no 2021-823 DC du 13 août 2021 – Loi confortant le respect des principes de la République.
  9. « Le droit de ne pas subir d’assimilation forcée », par Yann-Vadezour ar Rouz, Justice pour nos langues !, 2 juin 2022, modifié le 16 juin 2022.
  10. Décret no 2022-182 du 15 février 2022 relatif aux modalités de délivrance de l’autorisation d’instruction dans la famille – Article 5.
  11. Code de l’éducation – Sous-section 3 bis : Modalités de délivrance de l’autorisation d’instruction dans la famille (Articles R131-11 à D131-11-13).