Justice pour nos langues !

Une timide proposition de loi visant à autoriser
les prénoms et noms de famille autochtones

Une proposition de loi ayant pour objectif d’autoriser explicitement les prénoms et noms de familles autochtones à l’état civil a été présentée par 40 députés en ce mois de février 2025. Son adoption permettrait de mettre fin aux procédures récurrentes et couteuses autour des prénoms autochtones, dont notamment le prénom Fañch. Mais, même si sa portée reste restreinte, son texte de présentation ne semble pas la prémunir entièrement contre une censure du Conseil constitutionnel.

C’est dans un climat conflictuel qu’intervient la proposition de loi no 887, déposée le 4 février 2025, « visant à autoriser les signes diacritiques des langues régionales de la France figurant dans les prénoms et les noms des personnes dénommées dans les actes d’état civil »1. Les parents, en effet, semblent de moins en moins prêts à transiger sur le choix du prénom de leur enfant, et relèvent le défi du combat juridique qui leur est imposé. La contestation des refus de prénoms autochtones prend ainsi de plus en plus d’ampleur, et la presse s’en fait régulièrement l’écho.

Dans le cas de plusieurs familles, les instances internationales risquent même d’être saisies. Des parents sont allés jusqu’à faire enregistrer le prénom de leur enfant dans un pays voisin où la graphie du prénom ne pose aucun problème, alors même que la langue dont elle est issue n’y est pas parlée, et pensent à présent porter l’affaire en justice, jusqu’à atteindre la Cour européenne des droits de l’homme2. D’autres parents envisagent d’introduire un recours contre la France devant le Comité des droits de l’homme des Nations unies3.

La proposition de loi est intervenue deux jours avant l’audience pour une affaire concernant un prénom Fañch, pour laquelle ont été mobilisés 6 policiers4. Et deux décisions concerant des affaires relatives au prénom Fañch doivent être rendues avant la fin de ce mois de février 20255. Étant donné la forte remise en question de l’obstruction aux prénoms autochtones au sein de la population et du contexte tendu résultant des raideurs de l’appareil d’État, cette proposition apparait évidemment la bienvenue.

La question reste de savoir si, en cas d’adoption, la loi pourrait passer l’épreuve du Conseil constitutionnel. L’exposé des motif fait, à ce propos, un utile rappel des dispositions de droit favorables aux langues autochtones. Mais rien de cela ne parait à même de contrevenir à la surévaluation de l’importance du premier alinéa de l’article 2 de la Constitution par le Conseil constitutionnel et du peu de cas qu’il fait de l’article 75-16.

Alors, en cas de saisine du Conseil constitutionnel, la loi serait-elle vouée à tomber ? Le Conseil constitutionnel se base sur ce qu’il estime être les règles d’écriture du français, mais il n’est pas certains qu’il les connaisse réellement. En tout cas, elles semblent bien ignorées de certains officiers de l’état civil, de certains procureurs et de certains juges, qui invoquent souvent une certaine interprétation de l’article 2 de la Constitution par le Conseil constitutionnel, dont le flou des décisions et l’hostilité envers les langues autochtones sont tous deux préjudiciables à la démocratie. Aussi, sans doute serait-il bon de rappeler à ce dernier ce qu’elles sont, ne serait-ce que pour limiter les risques d’une déconvenue.

En français, l’usage est de n’effectuer aucune modification orthographique dans les noms propres, même lorsqu’ils proviennent d’une autre langue. Les seuls à faire exception sont ceux qui sont orthographiés, à l’origine, dans un autre système d’écriture que l’alphabet latin, et la modification consiste alors en une translittération. Les rectifications orthographiques de 1990, qui n’introduisent aucune nouveauté concernant cet usage, rappellent qu’il reste la norme : « les signes étrangers (diacritiques ou non) n’appartenant pas à notre alphabet […] subsisteront dans les noms propres ».

Or, dans ce document, il ne s’agit que de linguistique, et le texte concerne différents pays. Par conséquent, il serait malvenu d’en faire une lecture nationaliste et francocentrée. Le mot « étrangers » est ainsi à comprendre comme « étrangers à la langue française » et non à un quelconque pays où le français serait parlé. Et c’est la raison pour laquelle le nom du chanteur occitan Martí, par exemple, ne connait qu’une seule orthographe, et comporte toujours un accent aigu sur le « i », même en français.

En outre, les rectifications orthographiques de 1990 jouissent d’une importante reconnaissance, y compris officielle. En effet, d’une part, son contenu a été approuvé par les principaux organismes officiels en charge de la langue française des pays francophones historiques, dont l’Académie française : « Présentées par le Conseil supérieur de la langue française, ces rectifications ont reçu un avis favorable de l’Académie française à l’unanimité, ainsi que l’accord du Conseil de la langue française du Québec et celui du Conseil de la langue de la Communauté française de Belgique »7. Et, d’autre part, il a été publié au Journal officiel de la République française, et a notamment pour vocation de servir de référence pour l’enseignement de l’orthographe et de la langue française, ainsi que le précisent plusieurs numéros du Bulletin officiel de l’Éducation nationale8.

Cependant, s’il est regrettable que ces rappels ne figurent pas dans l’exposé des motifs de la proposition de loi, les débats parlementaires peuvent encore y remédier, du moins dans une certaine mesure. Ils sont, par ailleurs, présents dans un courrier envoyé au sénateur Michel Canévet9, qui, au vu de son implication pour l’acceptation du tilde dans les prénoms enregistrés à l’état civil, s’en saisira peut-être.

Enfin, la proposition de loi reste peu ambitieuse, car elle ne permettra pas de conformer entièrement les pratiques relatives aux mentions des actes de l’état civil aux règles d’écriture des noms propres en français exposées plus haut. En effet, cette proposition de loi ne concerne pas l’ensemble des noms propres, mais seulement « les prénoms et les noms des personnes dénommées dans les actes d’état civil », et elle ne vise à autoriser que « les signes diacritiques des langues régionales de la France ». Elle ne traite donc pas des noms utilisés dans les adresses et les lieux de naissance, et ne permettra donc pas d’assurer le respect de la toponymie pour les Français habitant ou nés dans des villes telles que Portimão au Portugal ou Děčín en République tchèque. Et elle ne permettra pas non plus de garantir le respect du patrimoine anthroponymique familial des personnes d’origine étrangère demandant la nationalité française et de leurs descendants.

Aussi, il serait préférable de bénéficier d’une loi plus générale. Le premier alinéa de l’article 34 du code civil gagnerait plutôt à être complété par une phrase rédigée, par exemple, ainsi : « Conformément aux règles d’écriture du français, les signes étrangers ou régionaux, diacritiques ou non, appartenant à une des variantes de l’alphabet latin autre que l’alphabet français sont, le cas échéant, conservés dans les noms propres dans les actes de l’état civil. » Mais les députés ont peut-être sciemment décidé de limiter la portée de leur proposition pour maximiser ses chances d’être adoptée.

Il reste donc bien du chemin à parcourir. L’idéal serait évidemment que soit aussi signée et ratifiée la Convention no 14 relative à l’indication des noms et prénoms dans les registres de l’état civil, portée par la Commission internationale de l’état civil10. Mais la proposition de loi des députés va dans le bon sens. Son adoption cumulerait déjà de nombreux avantages : elle mettrait fin à certaines des entorses aux règles d’écriture de la langue française, elle serait respectueuse du choix des parents en matière de choix de prénoms autochtones, elle serait un pas en avant vers le respect de la diversité culturelle, elle permettrait de soulager un peu la justice, qui se trouve à la fois être surchargée et manquer cruellement de moyens, et de décharger aussi quelques procureurs zélés, qui ont certainement des dossiers plus importants à traiter.

L’adoption de la loi proposée par les députés peut être considérée comme une première avancée. Mais le risque subsiste qu’elle enterre la résolution complète du problème et que les restrictions abusives faites aux règles d’écriture de la langue française perdurent, alors qu’elles ne sont motivées que par une volonté délibérée de porter atteinte à la diversité culturelle, et qu’elles procèdent ainsi d’une logique nationaliste excluante. Et cette idéologie gangrène l’État et ses institutions au point qu’il faille une loi pour faire respecter des règles d’écriture qui n’ont pourtant rien de nouveau.

Notes :

  1. « Proposition de loi, no 887 », sur le site de l’Assemblée nationale.
  2. « Témoignage. “L’état civil français rejette le prénom occitan de ma fille, alors que la Belgique l’accepte…” », par Elsa Péault, La Dépêche, 5 avril 2022, 17 h 31.
  3. « Affaire Artús : lettre ouverte au président de la République », par Me Pagès, Justice pour nos langues !, 7 janvier 2025.
  4. « Affaire Fañch de Lorient : la justice rendra sa décision le 24 février 2025 », par Pauline Decker, Ouest-France, 6 février 2025, 12 h 57, modifié à 12 h 59.
  5. « Une décision de justice attendue le 24 février », sur le site de Mignoned Fañch, 7 février 2025.
  6. « Le droit à la protection des langues autochtones », par Yann-Vadezour ar Rouz, Justice pour nos langues !, 29 juillet 2023, modifié le 27 décembre 2024.
  7. « Les rectifications de l’orthographe », par le Conseil supérieur de la langue française, Journal officiel de la République française, édition des documents administratifs, année 1990, no 100, 6 décembre 1990. P. 8.
  8. « Rectifications orthographiques du français en 1990 », sur le site Wikipédia.
  9. « Lettre au sénateur Michel Canévet sur l’usage du tilde dans les mentions des actes de l’état civil », par Yann-Vadezour ar Rouz, Justice pour nos langues !, 7 décembre 2024.
  10. « Convention (no 14) relative à l’indication des noms et prénoms dans les registres de l’état civil », sur le site de la Commission internationale de l’état civil.