Justice pour nos langues !

L’Université de Bordeaux condamnée
pour le traitement des langues dans sa signalétique

Une récente condamnation de l’Université de Bordeaux pour sa signalétique en anglais pose la question de la gestion des langues dans l’espace publique. En la matière, la France reste encore loin d’avoir des pratiques vertueuses. Et le traitement médiatique qui est fait de la problématique est loin d’être toujours exemplaire.

Le 19 décembre 2024, l’Université de Bordeaux a été condamnée à supprimer les mentions en anglais de sa signalétique suite à une action en justice d’un de ses étudiants, les traductions en langues étrangères devant être au nombre de deux pour intégrer l’espace public. Le Figaro rapporte les propos de l’étudiant, qui se dit « attaché à la défense de la langue française car notre culture passe aussi par notre langue, a fortiori dans une université qui est censée nous former » et explique : « J’ai eu l’occasion d’étudier en Espagne : il n’y avait aucune traduction et je ne crois pas que d’autres pays s’amusent à traduire leur signalétique. »1

Sans surprise, Le Figaro ne fait alors aucun recadrage. Pour ce qui est du monolinguisme dans les universités, l’étudiant se trompe pourtant sur deux points : d’une part les affichages bilingues, et même trilingues existent bien de par le monde, et, d’autre part, il ne s’agit nullement d’un amusement. Ainsi, parmi les exemples d’affichage en plusieurs langues, qui ne manquent pas, figurent :

Le dernier cas mentionné prend d’ailleurs en compte les langues parlées localement. Cette situation est d’autant plus intéressante que la politique linguistique en place à Bozen/Bolzano est globale et ne se limite pas à l’affichage. Le respect des communautés linguistiques a même pu contribuer à y écarter les risques de conflits, et l’efficacité des pratiques de gestion des langues mises en œuvre à Bozen/Bolzano ont été données en exemple par Fernand de Varennes, ancien rapporteur spécial des Nations unies sur les questions relatives aux minorités5.

Pour ce qui est de la signalétique en Espagne, l’étudiant passe encore quelques faits sous silence. Il ne précise pas que, si, à l’Université internationale de Catalogne, l’affichage y est effectué en une seule langue, il est en catalan, et non en espagnol6. C’est donc la langue autochtone qui est privilégiée en Catalogne. Et il n’indique pas non plus que le site Internet de l’Université de Barcelone, qui est trilingue, peut être consulté en anglais, en catalan et en espagnol7.

Enfin, l’étudiant a au moins vu juste sur le fait que la culture passe notamment par la langue. Aussi, le développement d’une langue, qu’il s’agisse de l’anglais ou du français, est, dès lors qu’il se fait au détriment d’une autre langue, responsable d’un phénomène d’acculturation. Or l’Université de Bordeaux entend supprimer l’anglais sans pour autant envisager un affichage en occitan. Mais ni l’étudiant, ni Le Figaro n’abordent le sujet, alors que les langues autochtones sont les premières victimes des atteintes portées à la diversité linguistique et culturelle.

Notes :

  1. « L’université de Bordeaux condamnée à supprimer « les anglicismes » de ses affichages après l’action en justice d’un de ses étudiants », par Marie-Hélène Hérouart, Le Figaro, 19 février 2025, 17 h 47, mis à jour le 20 février 2025 à 12 h 25.
  2. « Visite de la plus française des facs chinoises, Capital.
  3. « Université Oran 1 et 2 : Portes ouvertes pour les nouveaux bacheliers pour la présentation d’un guide d’orientation », par Hadj Hamdouche, Jeunesse d’Algérie, 7 septembre 2022.
  4. « Langues en déchirure: Tyrol du Sud/Alto Adige, la leçon du compromis », Olga Yurkina, Le Temps, 29 juillet 2022, 17 h 22, modifié le 8 août 2022 à 14 h 30.
  5. « Dr Fernand de Varennes », par International Association Language Commissioners, Youtube, 26 août 2024.
  6. « Universitat Internacional de Catalunya », sur le site d’Erasmus People.
  7. Site de l’Université de Barcelone.