Justice pour nos langues !

Affaire Artús : lettre ouverte au président de la République
Communiqué du 31.12.2024, par Me Pagès

Paris, le 31 décembre 2024

L’avocat d’Artús Varenne et de ses parents a adressé une lettre ouverte au Président de la République.

Les autorités locales ont rejeté le prénom Artús – né le 15 décembre 2022, à Mende (Lozère) – au motif que son orthographe est issu de l’occitan, langue régionale, autochtone et minoritaire.

Il est reproché aux pouvoirs publics, qui refusent de rectifier cet acte d’état civil, de violer le droit international, notamment quant au respect de l’intimité de la vie privée et à l’interdiction de toute discrimination linguistique.

L’affaire, qui a d’ores et déjà défrayé la chronique en France et à l’étranger, suscite un soutien populaire, politique et associatif.


Monsieur le Président de la République
Palais de l’Élysée
55, rue du Faubourg-Saint-Honoré
75008 Paris

Paris le 31 décembre 2024

Par LRAR (par prudence) et par courriel

Aff. d’Artús Varenne / France

Objet : lettre ouverte – demande de rectification d’acte d’état civil et violation des engagements internationaux de la France

Monsieur le Président de la République,

Dans le cadre de l’affaire visée en référence, j’interviens dans l’intérêt des parents d’Artús Varenne, agissant tant en leur nom personnel qu’ès qualités de représentants légaux de leur fils. Artús est né le 15 décembre 2022, à Mende (Lozère) et son prénom a été rejeté par les autorités locales pour celui d’Artus, au motif qu’il porte un accent diacritique d’une langue régionale (l’accent aigu sur le u). Artús est un prénom occitan, langue autochtone et minoritaire. Ses locuteurs font historiquement l’objet, dans notre pays, d’atteintes significatives à leurs droits fondamentaux, résultante d’une politique assimilationniste et linguicide, raison pour laquelle ce dossier a d’ores et déjà suscité un certain écho médiatique, en France et à l’étranger.

Cette affaire s’inscrit dans le contexte que vous savez, à savoir celui de la décision no 2021-818 DC du Conseil constitutionnel du 21 mai 2021, concernant la loi relative à la protection patrimoniale des langues régionales et à leur promotion, plus connue sous le nom de loi Molac. Aux termes de cette décision, qui se fonde sur l’article 2, alinéa 1er, de la Constitution, selon lequel « la langue de la République est le français », plusieurs dispositions de la loi Molac, qui avait pourtant été votée à une très large majorité, ont été déclarées non conformes à la Constitution. Il en fut notamment ainsi de celle qui prévoyait, à son article 9, que « les signes diacritiques des langues régionales sont autorisés dans les actes d’état civil » afin de permettre la prononciation correcte des prénoms et patronymes dans ces langues. Vous vous êtes exprimé sur ce sujet, dans les jours qui s’ensuivirent, en publiant, sur le réseau social Facebook, un communiqué au soutien des langues régionales, mettant en exergue le fait que « le droit doit libérer, jamais étouffer. Ouvrir, jamais réduire. La même couleur, les mêmes accents, les mêmes mots : ce n’est pas cela notre nation. Braudel l’écrit : la France se nomme diversité ». Vous avez encore souligné, à Villers-Cotterêts, le 30 octobre 2023, que la langue française « doit cohabiter harmonieusement avec nos 72 langues régionales, dont (…) tous les occitans », lors de votre allocution prononcée à l’occasion de l’inauguration de la Cité internationale de la langue française. Cependant, nonobstant de multiples appels à une révision constitutionnelle, notamment de la part de 140 parlementaires, nous prenons acte du fait qu’une telle procédure de révision, qu’il s’agisse de l’article 2 de la Constitution ou même, de manière moins ambitieuse, mais plus consensuelle, de son article 75-1, ne semble a priori pas à l’ordre du jour.

À cet égard, trois Rapporteurs spéciaux mandatés par le Conseil des droits de l’homme des Nations unies ont adressé à la France, le 31 mai 2022, une critique de la décision du Conseil constitutionnel précitée, motivée comme suit :

« Nous craignons que l’adoption et l’application de cette décision puissent entraîner des atteintes importantes aux droits humains des minorités linguistiques en France. (…)

La décision (no 2021-818 DC) du Conseil constitutionnel établit l’inconstitutionnalité de l’enseignement immersif dans une autre langue que le français et de l’utilisation de signes diacritiques des langues régionales dans les actes d’état civil. Cette décision peut porter atteinte à la dignité, à la liberté, à l’égalité et à la non-discrimination, ainsi qu’à l’identité des personnes de langues et de cultures historiques minoritaires de France. (…)

Dans ce contexte, nous aimerions attirer l’attention du Gouvernement et de votre Excellence sur le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (auquel) la France a adhéré le 4 novembre 1980 » (OL FRA 3/2022).

Aussi lesdits Rapporteurs spéciaux ont-ils sollicité, sur ce point, les observations du Gouvernement français. Cette demande est toutefois restée lettre morte, contrairement à de nombreuses autres affaires impliquant notre pays. Nous entendons que, dans le contexte de crise protéiforme actuel, la lutte contre les discriminations linguistiques puisse ne pas constituer une priorité nationale. Cependant, sur le plan des principes, nous observons une certaine dichotomie – pour ne pas dire antinomie – dans la position adoptée par la patrie des droits humains, qui, d’un côté, s’érige contre les violations, par d’autres États, du droit international et qui, de l’autre, enfreint ses propres engagements internationaux, singulièrement au titre des dispositions de l’article 17 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et des constatations émanant, sur ce fondement, du Comité des droits de l’homme des Nations unies.

En conséquence, nous vous saurions gré de bien vouloir nous préciser quelles mesures les autorités françaises entendent mettre en œuvre in concerto, afin que soit rectifié l’acte d’état civil d’Artús Varenne et qu’il soit mis fin aux atteintes portées à ses droits fondamentaux, ainsi qu’à son identité même. À défaut, nous nous réservons le droit d’introduire, en tant que de besoin, un recours contre la France, devant le Comité des droits de l’homme des Nations unies, compte tenu de son approche favorable et progressiste en la matière.

Nous vous prions de croire, Monsieur le Président de la République, en l’assurance de notre considération la plus respectueuse.

Stéphane Pagès

Source : « Affaire Artús : notre lettre ouverte au Président de la République Emmanuel Macron », par Stéphane Pagès, Facebook, 31 décembre 2024, 20 h 05.