Justice pour nos langues !

Le gouvernement de François Bayrou,
les langues autochtones, les outre-mer et la démocratie

Le nouveau gouvernement a été nommé par le nouveau premier ministre François Bayrou. Ce dernier est réputé favorable aux langues autochtones. Pour autant, la nomination de ses ministres ne constitue une bonne nouvelle ni pour les langues autochtones, ni pour les outre-mer, ni pour la démocratie.

Parmi les ministres nommés le 23 décembre 2024, plusieurs appartenaient à des gouvernements précédents, et ont été poussés dehors par le corps électoral ou par les représentants du corps citoyen. Il semble assez évident que les citoyens n’en veulent pas, mais ils ont tout de même à nouveau été nommés.

Revoilà donc Bruno Retailleau, éconduit, mais reconduit aussitôt au même poste de ministre de l’intérieur. La motion de censure ne pouvait pas être mieux méprisée qu’en laissant un ministre à son poste.

Revoilà aussi Gérald Darmanin, devenu ministre de la justice. Pour mémoire, les forces de l’ordre, police et gendarmerie, reçoivent des ordres des procureurs, et non l’inverse. Aussi, qu’un ancien ministre de l’intérieur devienne garde des sceaux n’est pas très sain et ne présage rien de bon.

Revoilà encore Élisabeth Borne, devenue ministre de l’éducation nationale. Cette dernière n’est pas connue pour avoir fait preuve d’un grand sens de l’écoute et de la concertation, utilisant massivement l’article 49 alinéa 3 de la Constitution en tant que première ministre pour faire passer ses mesures. Et elle s’était alors exprimée au Congrès des Régions de France à Saint-Malo sans esquisser aucune avancée pour les langues autochtones, ni sur aucune autre question d’ailleurs1. L’enseignement étant un domaine essentiel pour les langues autochtones, autant dire que cette nomination est de mauvais augure.

Revoilà, en outre, Aurore Berger, qui retrouve un poste de ministre déléguée chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations qu’elle a déjà eu l’occasion d’occuper auparavant. Les discriminations linguistiques sont ainsi à présent entre les mains de celle que la presse a reconnu comme ayant organisé la saisine du Conseil constitutitonnel ayant conduit à la censure partielle de la loi Molac2. Elle a donc, en particulier, une grand part de responsabilité dans l’inconstitutionnalité de l’enseignement immersif en langue autochtone, qui, instaurant une discrimination fondée sur la langue, viole le droit international.

Revoilà, enfin, Manuel Valls, devenu ministre des outre-mer. Le journal Le Monde rapportait, il y a quelques années, ses propos selon lesquels « il n’y a qu’une langue de la République, c’est le français. Il n’est pas concevable qu’il y ait sur une partie du territoire une deuxième langue officielle »3. Les Kanaks, les Martiniquais et les Polynésiens, entre autres, apprécieront, une fois de plus, le maintien qui s’annonce des atteintes aux droits linguistiques que la France a institutionnalisées.

Manuel Valls a, par ailleurs, développé l’idée que l’autonomie serait contraire aux principes républicains4. Ses déclarations, datant de quelques mois à peine, sur le projet d’autonomie de la Corse sont sans équivoque : « J’accuse le gouvernement de vouloir mettre en cause, à travers ce texte, l’universalisme républicain et l’unité de la nation et de jouer aux apprentis sorciers en proposant de reconnaître dans notre Constitution la Corse comme une communauté insulaire “méditerranéenne, historique, linguistique et culturelle, ayant un lien singulier avec sa terre” avec un pouvoir législatif au nom de ces particularités culturelles. » Et il précisait alors : « Il n’y a qu’une seule communauté : c’est la communauté française. Ce texte va à l’encontre de nos principes fondamentaux et de ce qu’est la Nation française. On est en train de défaire le pays. La France n’est pas une addition de tribus. Je m’opposerai de toutes mes forces à cette idée qui me paraît très dangereuse pour notre pays. »

C’est donc un fervent opposant au principe de l’autonomie qui se retrouve en charge de plusieurs territoires autonomes. Et ce dernier soutient, de plus, que la seule communauté qui soit en France est la communauté française, alors que les préambules, toujours actuellement en vigueur, de la Constitution de 1946 et de la Constitution de 1958, reconnaissent explicitement les peuples d’outre-mer. Une nouvelle page de la France nationaliste dans toutes ses contradictions s’ouvre ainsi avec cette nomination.

La nomination de Manuel Valls apparait ainsi peu à même d’apaiser la situation en Nouvelle-Calédonie. Le mouvement Calédonie ensemble ne semble, en tout cas, pas avoir vu là un grand signe d’espoir, puisqu’il a démissionné dès le lendemain, le 24 décembre 2024, entrainant la chute du gouvernement local5.

Le parti fondé par Emmanuel Macron, Renaissance, a perdu les récentes élections législatives, mais qu’importe. Les macronistes se trouvent, malgré tout, sur-représentés au sein du nouveau gouvernement. Un tel déni de démocratie était encore inédit.

En dépit de ce tableau, l’avenir montrera peut-être qu’il était vain de s’alarmer sur les risques que font courir de telles nominations. À la vitesse où passent les gouvernements depuis qu’Emmanuel Macron a été élu président de la République, il est tout à fait possible qu’ils n’aient pas vraiment le temps d’agir. Mais ce qui reste inquiétant, et qui présente un danger réel, c’est bien l’état de la démocratie en France.

Notes :

  1. « « Je vous donne rendez-vous dans trois mois » : Élisabeth Borne, les mains vides face aux Régions », par Christel Marteel, Ouest-France, 28 septembre 2023, 13 h 42, modifié à 14 h 21.
  2. « Langues régionales. Pourquoi des députés ont saisi le Conseil constitutionnel », par Tanguy Homery, Ouest-France, 23 avril 2021, 16 h 06.
  3. « Corse : “Il n’y a qu’une langue de la République, c’est le français”, selon Valls », Le Monde, 3 juin 2013, 14 h 19, modifié à 16 h 36.
  4. « Autonomie : Manuel Valls accuse le gouvernement de vouloir mettre en cause “l’unité de la nation” », Corse Matin, 29 février 2024, 16 h 42.
  5. « En Nouvelle-Calédonie, la démission du mouvement Calédonie ensemble provoque la chute du gouvernement local », Le Monde, 24 décembre 2024, 9 h 58, modifié à 11 h 44.