Justice pour nos langues !

Multiplication des inscriptions en basque
et nouvelle convocation en justice pour Gorka Torre

La condamnation d’un membre de Herribiltza en première instance n’a pas dissuadé le collectif de poursuivre ses actions de terrain. Après de nouvelles inscriptions en basque, une nouvelle procédure a récemment été ouverte à l’encontre de Gorka Torre.


Inscription à l’hôpital de Maule-
Lextarre (Mauléon-Licharre),
4 avril 2024.

Suite à des traductions et mentions « Unesco » qu’il avait tracées sur des bâtiments publics pour protester contre le manque de signalétique en basque et pour alerter contre les menaces qui pèsent sur cette langue, Gorka Torre avait été condamné en première instance pour dégradation légère de biens publics et refus de prise d’empreintes et de prélèvement d’ADN. Le juge n’ayant pas fait suite à sa demande d’interprète en basque, il avait alors quitté l’audience et renoncé à sa propre défense. Gorka Torre a ensuite fait appel de son jugement2, et cette affaire est actuellement toujours en cours.

La décision de justice n’a cependant pas semblé impressionner beaucoup le collectif dont fait partie Gorka Torre, puisque tout juste deux semaine après, le 9 avril 2024, Herribiltza annonçait « continuer les actions demandant un usage principal de la langue basque », et indiquait avoir déjà agi en ce sens : « nous avons donné à la langue basque la place qui lui revient, en réalisant des inscriptions sur les murs des hôpitaux de Donapaule et Maule » (Saint-Palais et Mauléon).

Le collectif avait donc fait savoir qu’il ne s’arrêterait pas là. Et, en effet, il a ensuite révélé, le 26 avril 2024, avoir à nouveau fait une inscription, à Larzabale (Larceveau), non sans une pointe d’ironie un tant soit peu provocatrice.


Inscription au Centre d’interprétation des
stèles discoïdales de Larzabale-Arroze-Zibitze
(Larceveau-Arros-Cibits), le 6 octobre 2023
(en haut) et le 22 avril 2024 (en bas).

Joan den urriaren 6an, tindaketa baten bidez, Nafarroa Behereako Larzabaleko Hilarri Biribilen Interpretazio Zentroaren seinaletikan lehentasuna euskarari eman genion.

Botere publikoek tindaketa hori aski fite ezabatu zuten, segurazki ez zelako aski polita. Horregatik, Euskal Herrian Euskaraz-ek antolatutako Euskaldunon Harrotze Astearen karietara, tindaketa berriz egin dugu, ederrago!!!

Hona ekintza honen arrazoia:

Euskaltzaleak euskararen alde harrotzera gomitatzen ditugu!!


Le 6 octobre dernier, nous avions donné la priorité à la langue basque dans la signalétique du Centre d’Interprétation des Stèles Discoïdales de Larzabale, en faisant une inscription sur le mur externe.

Les pouvoirs publics avaient rapidement effacé cette inscription, sans doute parce qu’elle n’était pas très jolie. C’est pour cela que dans le cadre de la semaine Euskaldunon Harrotze Astea organisée par Euskal Herrian Euskaraz, nous l’avons refaite, en plus jolie!!!

Voici les raisons de cette action:

2024.04.22
Herribiltza

Et le mois suivant, c’était au tour de la sous-préfecture de Bayonne d’être prise pour cible avec un message exigeant que cesse l’oppression de la langue basque. Cette action a, elle aussi, été revendiquée par le collectif Herribiltza, ainsi que cela apparait dans son communiqué de presse.


Inscriptions à la sous-préfecture de Bayonne, 17 mai 2024.

Les dirigeants de l’État français oppriment la langue basque.

Les lycéennes et lycéens du lycée Bernat Etxepare n’acceptent pas cette oppression, et face à celle-ci, elles et ils invitent le peuple basque à défendre sa langue.

Herribiltza a répondu à l’appel à la journée de mobilisation organisée par ces lycéens vendredi dernier. En fin d’après-midi, nous avons réalisé une action : nous nous sommes adressés aux dirigeants de l’État français en inscrivant sur le mur de la Sous-Préfecture de Baiona “Geldi euskara zapatzea”, c’est-à-dire “Arrêtez d’opprimer la langue basque”.

Plus tard, près de la mairie de Baiona, la police a interpellé Gorka Roca Torre qui a participé à cette action. Elle l’a amené au commissariat de Baiona. Il n’a été libéré que 24 heures plus tard.

Samedi matin, le sous-préfet s’était déplacé en personne au commissariat pour déposer plainte.

Ceci étant, Gorka sera jugé le 10 septembre à Baiona.

Nous dénonçons ces interpellation et procès injustes. De plus, nous dénonçons le fait que la police nous a volé les “spray” de peinture que nous avons utilisés pour l’action. Nous nous en procurerons d’autres pour continuer avec les lycéens à exiger aux dirigeants de l’État français d’arrêter d’opprimer la langue basque.

19 mai 2024
Herribiltza

Au passage, il peut être noté la rapidité des convocations du tribunal de Bayonne dans un contexte général où la justice manque de moyens et se trouve surchargée. Lors de sa précédente condamnation, le 26 mars 2024, Gorka Torre avait été jugé seulement 6 mois après avoir revendiqué les faits, en septembre 2023. Cette fois, c’est à peine 4 mois après la plainte déposée par le préfet, le 18 mai 2024, que Gorka devra se rendre au tribunal, le 10 septembre 2024, pour une audience collégiale. Les dégradations légères de biens publics apparaissent étonnamment haut placées dans l’échelle des priorités des affaires judiciaire du Pays basque… À moins que le tribunal correctionnel de Bayonne soit simplement parvenu, en l’espace de 8 mois, à raccourcir ses délais, déjà peu importants, de 2 mois, et on ne peut que s’en réjouir.

Quoi qu’il en soit, une chose est certaine : bien qu’il ait été condamné en première instance, la récidive ne pourra pas être retenue contre Gorka Torre. Il n’a, en effet, pas été condamné définitivement pour un même délit ou pour un délit assimilé au cours des cinq dernières années, car, comme indiqué plus haut, il a fait appel de son précédent jugement. En conséquence, sa condamnation n’est pas définitive, et elle ne figure pas sur son casier judiciaire.

Pour leur part, les autorités semblent bien décidées à poursuivre les militants linguistiques tels Gorka Torre, même si les condamnations apparaissent inefficaces et laissent entiers les problèmes de la visibilité et de la promotion de la langue basque, ainsi que ceux de la prise en compte des besoins et des attentes des bascophones. Pour les faire cesser, la justice ira-t-elle, de son côté, jusqu’à les condamner à de la prison ferme, quitte à en faire des héros ou des martyrs pour leurs sympathisants, avec le risque que cela incite, au contraire, d’autres à prendre le relai ? Mais quel est le sens de tout cela ?

À vouloir répondre à un problème politique par une solution judiciaire, on ne résout strictement rien. Alors, ne pourrait-on pas plutôt passer par le dialogue en acceptant d’examiner enfin la source du problème, et apporter une réponse politique afin de le résoudre ? Il ne saurait évidemment pas être question d’envisager les dégradations comme moyen d’interpeler les pouvoirs publics. Mais, en l’occurrence, les revendications linguistiques ont été pacifiquement exprimées de longue date, et les tensions linguistiques et les actions qui s’ensuivent ne sont, en fin de compte, que la conséquence de la surdité de l’État en la matière. Dans une optique d’apaisement, l’État et les pouvoirs publics auraient tout à gagner, dans la situation actuelle, à adopter une attitude d’ouverture. La solution ne consiste en rien d’autre qu’à écouter les aspirations de la société civile et à répondre à ses demandes légitimes. En somme, il ne s’agit que de faire preuve de bon sens.

Notes :

  1. « Un jugement sans interprète et sans réelle défense pour un militant du basque », par Yann-Vadezour ar Rouz, Justice pour nos langues !, 30 mars 2024, modifié le 5 avril 2024.
  2. « Affaire des inscriptions en basque en première instance : après la condamnation, le recours », par Yann-Vadezour ar Rouz, Justice pour nos langues !, 6 avril 2024.