Justice pour nos langues !

Le quartier de Biarritz appelé « Harrausta » en basque
en attente d’une nouvelle décision de justice

La ville de Biarritz s’est vue contrainte de renommer une de ses rues. Or, contrairement à ce que le nouveau nom pourrait suggérer, le conseil municipal ne l’a pas fait dans l’allégresse. Il s’est cependant conformé, non sans peine, à la décision, en officialisant un nom sans connexion avec le territoire. Le nom du quartier auquel la rue faisait référence reste inchangé, mais l’affaire n’est pas terminée.

Les tentatives de Karfa Diallo, de l’association Mémoires et Partages, de dialoguer avec la mairie de Biarritz pour modifier le nom d’un quartier de la ville et d’une rue de même nom se sont soldées par un échec. Ce dernier évoquait la possibilité de réhabiliter le nom basque d’origine du quartier, « Harausta », mais la maire Maider Arostéguy, qui, de toute évidence, y était opposée, n’a pas souhaité en discuter avec lui : « Ce monsieur n’a pas à venir nous donner des leçons d’histoire. Je trouve ça déplacé. »1

Face au blocage, une procédure judiciaire a été lancée. Après un jugement défavorable rendu par le tribunal administratif de Pau le 21 décembre 2023, l’association a obtenu gain de cause auprès de la cour administrative d’appel de Bordeaux le 6 février 2025. C’est donc par voie de justice que la municipalité de Biarritz a reçu l’obligation de changer le nom du quartier et de la rue, le caractère raciste de leur appellation ayant été établi. Le nom de ce quartier induit d’ailleurs des représentations se traduisant dans l’espace public par des images susceptibles de rappeler la période coloniale.

Cette décision est une première victoire pour Mémoires et Partages. Karfa Diallo s’est alors réjoui de la possible remise en valeur de l’ancien toponyme : « Maintenant, la ville de Biarritz a quelques semaines, quelques semaines pour prendre les délibérations qu’il faut pour abroger véritablement cette appellation, et notamment pour donner à ce quartier le nom qu’il avait auparavant. Ce quartier, vous le savez peut-être maintenant, on vous en parle depuis des années, ce quartier avait un nom basque. Le nom basque, c’était Harausta. Eh bien, ce quartier peut reprendre ce nom basque qu’il avait auparavant. Quoi de plus naturel, quoi de plus normal que dans ce Pays Basque que nous aimons tant, eh bien, que dans ce Pays Basque-là, on puisse reprendre un nom basque pour honorer un quartier ? Ça me semblerait juste et ça me semblerait normal. »2

Cependant, ni les arguments de l’association, ni l’arrêt de la cour administrative d’appel de Bordeaux n’ont apparemment convaincu la mairie. Cette dernière a, en effet, décidé de porter l’affaire devant le Conseil d’État. Mais, si l’affaire n’est pas terminée, la ville de Biarritz n’en est pas moins tenue de se conformer à l’« exécution provisoire » de la décision.

Trois noms ont été sélectionnés pour la rue, et, dès le lendemain d’un communiqué de la mairie pour l’annoncer, la population a eu 10 jours, du 18 au 28 avril 2025, pour voter en faveur du nom proposé qui lui convenait le mieux. L’association Mémoires et Partages à l’origine de la plainte n’a guère gouté le procédé de « la maire de Biarritz qui a orienté la consultation citoyenne vers l’appellation « l’Allégresse », comme un énième pied de nez à l’autorité judiciaire qu’elle n’aura cessé de malmener »3.

Le dernier jour avant la date butoir fixée par le juge, le conseil municipal du 5 mai 2025, s’est tenu pour entériner le nom, qualifié de « débile » par une élue4. Au cours de la séance, il a été reproché aux juges leur volonté d’« effacer l’histoire »5, avant d’adopter finalement un nom dénué de toute référence historique. L’épisode aura été épique : les Abertzale, qui étaient absents à toutes les réunions, n’étaient pas plus présents ce jour là ; il n’a pas fallu moins de deux votes pour sanctionner le nom, les consignes de vote données la première fois ayant été confuses, et les réponses apportées tout autant ; une élue a déclaré que le dossier avait été traité de façon « lunaire »6.

Pour finir, la rue a été officiellement renommée « rue de l’Allégresse », conformément au résultat de la consultation citoyenne. Le directeur de l’association Mémoires et Partages, Karfa Diallo, a alors commenté : « C’est un nom qu’on appelle paronymique, c’est-à-dire que c’est un nom qui a été choisi uniquement pour laisser un certain nombre d’immobilistes et passéistes s’accrocher à quelque chose qui ressemblerait effectivement au nom dont la justice a demandé l’abrogation. »7 Le choix a ainsi été fait d’adopter un nom sans ancrage territorial et d’aller à l’encontre des principes de sauvegarde, de promotion et de valorisation non seulement des toponymes ayant une réelle valeur patrimoniale, mais aussi des langues autochtones, alors qu’il aurait tout à fait été possible d’opter pour un nom basque référant au même quartier, ce qui aurait permis une continuité historique en conservant le lien entre le nom de la rue et celui du quartier.

Des recommandations officielles en ce sens ont été communiquées aux élus de Biarritz8, et l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a aussi considéré « qu’il est très important pour le progrès de l’Europe et de l’idée européenne d’assurer le respect et le développement équilibré de toutes les cultures européennes, et tout spécialement des identités linguistiques », et « que le traitement scientifique, humain et culturel de chaque langue doit être envisagé à partir [de] principes » parmi lesquels figure le « droit des communautés humaines au développement de leur langue et leur culture propres ». Notamment pour ces raisons, il s’est prononcé, dans la Recommandation 928 du 7 octobre 1981, en faveur de la mesure suivante : « Au niveau scientifique, l’adoption progressive, le cas échéant conjointement avec la dénomination devenue usuelle, des formes correctes de la toponymie, à partir des langages originels de chaque territoire, si petit soit-il »9.

Les panneaux de la rue dont le changement de nom a été validé, ont jusqu’au 16 juin 2025 pour être retirés et remplacés. Pour ce qui est du nom du quartier, la mairie entend profiter du manque de rigueur de l’arrêt du juge10 et d’un vide juridique pour ne rien entreprendre.

L’article L. 2121-29 du Code général des collectivités territoriales énonce : « Le conseil municipal règle par ses délibérations les affaires de la commune. »11 Cette disposition est reprise dans la décision de la cour administrative d’appel, pour qui, « en application des dispositions de l’article L. 2121-29 du code général des collectivités territoriales, selon lesquelles le conseil municipal règle par ses délibérations les affaires de la commune, le conseil municipal est compétent, dans le cas où un intérêt public local le justifie, pour décider de modifier le nom d'un lieu-dit situé sur le territoire de la commune. » Sans le dire, le juge se base là également sur l’article L. 2121-30 du même code : « Le conseil municipal procède à la dénomination des voies et lieux-dits, y compris les voies privées ouvertes à la circulation. »12

Si l’absence de mention du numéro de cette dernière loi ne porte pas à conséquence, il apparait néanmoins que la loi ne fait référence qu’à la dénomination des voies et lieux-dits, et non à celle des quartiers. Pour autant, la conclusion du tribunal est claire : « Il est enjoint au maire de la commune de Biarritz de saisir le conseil municipal pour que ce dernier procède à l’abrogation des délibérations ayant baptisé du nom « La Négresse » un quartier et une rue de la ville, dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt. » Toutefois, la maire n’y voit rien de contraignant concernant le quartier, mettant en avant qu’il ne porte qu’un « nom d’usage, qui n’a pas de qualification administrative », et que, pour elle, « aucune décision n’oblige à enlever les mots “La Négresse” sur le reste de l’espace public »5.

L’histoire n’est pas achevée. Mais, au vu de la mauvaise volonté manifeste de la mairie, le recours devant le Conseil d’État risque assez de mener sur l’inverse de ce que souhaite Maider Arosteguy. L’occasion pourrait, en effet, être saisie par les juges pour obliger la ville à ne plus faire usage du nom en litige dans ses publications et à le faire disparaitre définitivement de l’espace public. En attendant, les habitants de Biarritz peuvent toujours prendre les devants et faire vivre le nom basque de leur quartier dans leur usage quotidien.

Notes :

  1. « Quartier “La Négresse” à Biarritz : l'association antiraciste “Mémoires et Partages” attaque la mairie », par Bixente Vrignon et Stéphane Garcia, Ici, 3 décembre 2020, 10 h 40, mis à jour à 16 h 40.
  2. « Message à Maider Arosteguy, maire de Biarritz “La Négresse” », par Mémoires Partages, Youtube, 21 avril 2025.
  3. « Communiqué du réseau », par Mémoires & Partages, Facebook, 5 mai 2025, 6 h 43.
  4. « Biarritz : la rue de La Négresse n’est plus », par Félix Thommen, Mediabask, 5 mai 2025, 21 h 35.
  5. « À Biarritz, la rue de La Négresse rebaptisée rue de l’Allégresse par décision de justice », par Le Monde avec AFP, Le Monde 6 mai 2025, 0 h 18, modifié le 6 mai 2025 à 12 h 27.
  6. « Biarritz : La rue de La Négresse devient officiellement L’Allégresse », par Julia Castaing, Sud Ouest, le 5 mai 2025, 19 h 00, mis à jour le 6 mai 2025 à 9 h 29.
  7. « “Une victoire totale” : à Biarritz, la rue de la Négresse va devenir la rue de l’Allégresse », France Inter, le 5 mai 2025.
  8. « Lettre aux élus de Biarritz sur un changement de nom de rue », par Yann-Vadezour ar Rouz, Justice pour nos lnagues !, 3 mai 2025, modifié le 6 mai 2025.
  9. « Recommandation 928 (1981) – Problèmes d’éducation et de culture posés par les langues minoritaires et les dialectes en Europe », sur le site de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe.
  10. « 24BX00144 », Jurisprudence de la Cour administrative d'appel de Bordeaux, 6 février 2025, 14 h 05.
  11. « Code général des collectivités territoriales – Article L2121-29 », sur le site Légifrance.
  12. « Code général des collectivités territoriales – Article L2121-30 », sur le site Légifrance.