Justice pour nos langues !

La marche du catalan, du basque et du galicien
vers le statut de langues officielles de l’Union européenne

Le 17 aout 2023, l’Espagne a demandé à l’Union européenne l’ajout du catalan, du basque et du galicien comme langues officielles de l’Union européenne. La question a été examinée le 27 mai 2025, mais aucune réponse définitive n’a encore été apportée. Quelques points font encore débat.

Actuellement l’Union européenne dispose de 24 langues officielles : l’allemand, l’anglais, le bulgare, le croate, le danois, l’espagnol, l’estonien, le finnois, le français, le grec, le hongrois, l’irlandais, l’italien, le letton, le lituanien, le maltais, le néerlandais, le polonais, le portugais, le roumain, le slovaque, le slovène, le suédois et le tchèque1. Près de deux ans après que l’Espagne en ait formulé la demande2 et que, le 19 septembre 2023, l’examen ait tout d’abord été repoussé3, les 27 États membres ont débattu de l’intégration du catalan du basque et du galicien parmi ces 24 langues officielles. Cependant, en l’absence d’unanimité, ils ont finalement reporté le vote.

Plusieurs difficultés ont été avancées, mais aucune ne semble insurmontable. Les médias Ici4 et Le Figaro5 en ont relevé quelques unes, et les cinq arguments qui en ressortent résument assez bien les enjeux.

1. Les traités ne le permettent pas

La question consistant à savoir s’il est possible ou non de donner suite à la demande en l’état actuel des traités peine à trouver une réponse claire et définitive. Le service juridique du Conseil de l’Union européenne indique qu’il y a une incompatibilité, alors que certains pays soutiennent qu’il n’y a, en l’occurrence, pas d’obstacle, s’agissant de langues autochtones reconnues comme langues officielles dans la constitution espagnole. Quoi qu’il en soit, il est toujours possible de modifier les traités, afin qu’ils apportent une réponse claire et raisonnée en matière de recevabilité des demandes.

2. Ce serait « européaniser un sujet national », selon un diplomate européen

La diversité des langues est un sujet qui a dépassé le cadre national depuis longtemps. Le temps où les États avaient droit de vie et de mort sur les langues est aujourd’hui révolu. Des instances internationales, parmi lesquelles figurent, par exemple, les Nations unies ou l’OSCE, se sont depuis longtemps emparé de la question des langues, et les langues sont dorénavant reconnues comme appartenant au patrimoine immatériel de l’humanité par l’Unesco. Le respect de la diversité linguistique est donc un sujet qui concerne l’ensemble de l’humanité, et il revient à toutes les institutions d’agir en conformité avec ce principe.

Dans sa version consolidée, le traité de l’Union européenne, au point 3 de son article 3, stipule d’ailleurs que l’Union « respecte la richesse de sa diversité culturelle et linguistique, et veille à la sauvegarde et au développement du patrimoine culturel européen. »6 La diversité des langues entre donc bien dans le champ de compétences de l’Union européenne. En conséquence, l’Union européenne ne saurait légitimement faire l’impasse de la question de son traitement.

En réalité, l’enjeu de l’accès aux informations dans sa langue existe à tous les échelons territoriaux. Si certains États reconnaissent un tel droit pour les locuteurs de certaines langues autochtones au niveau du pays, la France, pour sa part, en reste inflexiblement à un nationalisme linguistique d’un autre âge, et persiste à cantonner ces langues à l’échelon régional, en les excluant même de la vie publique, y compris à cet échelon. Plus progressiste en la matière, Espagne entend, à l’inverse, aller plus loin, et étendre cette possibilité au niveau de l’Union européenne.

3. Le cout serait important

Le financement à prévoir pourrait s’élever jusqu’à 44 millions d’euros par an. Mais cela, en réalité, ne représenterait de frais supplémentaires ni pour l’Union européenne, ni pour les États membres à qui l’accord est demandé. L’Espagne s’engage, en effet, à assumer elle-même les dépenses nécessaires.

4. L’acceptation d’autres langues serait alors contrainte, ce qui signifie, par exemple, que « le russe pourrait devenir une langue officielle », selon le secrétaire d’État slovène aux Affaires européennes, Marko Stucin, du fait de la forte proportion de russophones dans les pays baltes

La crainte est infondée, car il s’agit ici seulement de statuer sur une demande particulière, et non de créer un droit à une langue de devenir langue officielle de l’Europe. La situation du russe, langue minoritaire, est, comme celle de la grande majorité des autres langues, très différente de celle du catalan, du basque et du galicien, langues autochtones présentes dans la Constitution espagnole et ayant chacune un statut de langue officielle dans un territoire autonome. Mais surtout, rien n’obligerait aucun pays à porter ou à soutenir une demande en faveur du russe comme langue officielle de l’Union européenne. Une telle demande est très improbable, et, même si elle était formulée par un pays, les autres, en l’état actuel du fonctionnement de l’Union européenne, auraient alors parfaitement les moyens de faire blocage. Le fait de brandir la menace russe ressemble fort à l’agitation d’un épouvantail pour jouer sur des peurs irrationnelles.

5. L’Union européenne pourrait être amenée à faire face à de nombreuses autres demandes

Une demande n’implique pas nécessairement l’octroi du statut de langue officielle souhaité. Mais si certains craignent qu’une réponse positive de l’Union européenne pour le catalan, le basque et le galicien entraine une multiplication des demandes, cela semble surtout mettre en évidence une carence dans les critères d’admission, qui ne sont pas clairement établis. Le temps semble donc être venu de les définir précisément. Le flou actuel en la matière et le traitement arbitraire au cas par cas sont d’ailleurs très contestables, et difficilement compatibles avec le fonctionnement normal d’une institution démocratique.

Le critère de l’officialité d’une langue dans un pays ou dans un territoire d’un pays s’avère d’ailleurs particulièrement insatisfaisant, car il laisse libre cours à l’arbitraire des États dans l’octroi d’un tel statut, et ne permet pas de prévenir du caractère discriminatoire qui pourrait en résulter, au regard de la situation sur le terrain des diverses langues dans les pays de l’Union européenne. Il existe, en effet, de grandes disparités, le statut des langues en fonction de leur situation réelle pouvant varier fortement d’un pays à l’autre.

Cela donne une forte légitimité à la demande de l’Espagne, et les Catalans ne manquent pas de rappeler des données qui plaident en faveur de la demande qu’ils ont réussi à mettre sur la table. Le catalan compte à présent environ 10 millions de locuteurs. Ce nombre de locuteurs est ainsi plus élevé que celui de 11 des langues officielles de l’Union européenne, à savoir le bulgare, le croate, le danois, l’estonien, le finnois, l’irlandais, le letton, le lituanien, le maltais, le slovaque et le slovène. Pour certaines de ces langues, l’ensemble des locuteurs maitrisent aussi parfaitement l’anglais, qui est la langue officielle de loin la plus utilisée dans les instances européennes. C’est, en particulier, le cas de l’irlandais.

En outre, si l’Union européenne considérait que le seul critère à prendre en compte était l’officialité de la langue au niveau national, cela aurait de fortes chances d’être compris comme la nécessité de disposer d’un État pour que la reconnaissance de l’officialité soit accordée au niveau européen. Il pourrait alors en résulter un renforcement des mouvements indépendantistes et une fragilisation des États, ce qui est pour le moins paradoxal dans la mesure où, d’une part, l’Union européenne fonctionne grâce aux États, et où, d’autre part, l’Europe a largement soutenu l’Espagne lorsqu’elle réprimait les Catalans ayant organisé ou participé au vote en faveur de l’indépendance de la Catalogne.

Enfin, depuis le début de la construction européenne, nombre d’États membres de l’Union européenne défendent l’utilisation de leur langue au niveau européen au nom du respect de la diversité linguistique. Ils peuvent donc difficilement tenir un double discours, du moins au grand jour, si bien que l’opposition de certains ne s’exprime que de manière confidentielle ou détournée, les objections avancées permettant de dissimuler une opposition de principe. Pourtant, il semblerait bien qu’il y ait, à terme, un droit à préciser en fonction de la volonté des communauté humaines et de la situation de leur langue.

Notes :

  1. « Document 01958R0001-20130701 – Texte consolidé: Règlement no 1 portant fixation du régime linguistique de la Communauté économique européenne », Eur-Lex. Article premier.
  2. « Le catalan, le basque et le galicien, futures langues officielles de l’UE ? », par Pierrick Bruyas, The Conversation, 4 septembre 2023, 20 h 31, mis à jour le 19 octobre 2023 à 13 h 32.
  3. « Le catalan, le galicien et le basque retoqués pour devenir des langues officielles de l’UE », par Fabien Cazenave, Ouest France, 19 septembre 2023, 16 h 55.
  4. « L’UE repousse encore la reconnaissance du catalan et du basque comme langues officielles », par François David, Ici, 27 mai 2025, 17 h 20.
  5. « L’Espagne réclame la reconnaissance du basque et du catalan, l’Union européenne botte en touche », par Le Figaro avec AFP, Le Figaro, 27 mai 2025.
  6. « Traité sur l’Union européenne (version consolidée) », Eur-Lex.