Lettre ouverte à Pap Ndiaye
À Monsieur Pap Ndiaye,
ministre de l’Éducation nationale.
Le 24 mai 2022.
Objet : Lettre ouverte sur les dispositions contrevenant à l'enseignement immersif.
Monsieur le ministre,
Avant tout, permettez-moi de saluer non seulement votre entrée au gouvernement, mais aussi votre parcours et vos travaux de recherche sur les minorités, sujet qui s’avère être particulièrement sensible en France.
Comme vous le savez certainement, l’enseignement en langue autochtone ou minoritaire est indispensable à la pérennité des langues des communautés linguistiques concernées, et bénéfique aux élèves, car il a pour effet :
- d’augmenter leur confiance en eux,
- de stimuler leurs fonctions cognitives,
- de développer leurs capacités d’apprentissage quelque soit le domaine de connaissance concerné,
- de favoriser leur réussite scolaire,
- de permettre une meilleure maitrise de la langue majoritaire.
Ces phénomènes, étudiés dans le monde scientifique depuis des années et mis en avant par les Nations unies, ne sont, pourtant, toujours pas une évidence en France, où les minorités demeurent exclues du droit, ce qui ouvre malheureusement la voie à une assimilation forcée, elle-même contraire au principe d’intégration.
Cette politique, dont les langues autochtones et minoritaires sont victimes, est grandement néfaste, car :
- ses effets psychologiques sont dévastateurs,
- elle creuse le fossé entre les générations,
- elle accentue la solitude et est préjudiciable à la santé des personnes en fin de vie qui ne sont parfois plus à même de s’exprimer que dans leur langue maternelle,
- elle est génératrice non seulement de tensions entre les communautés linguistiques majoritaires et minoritaires mais aussi de tensions intra-communautaires,
- elle amène certains membres de communautés autochtones à adopter des postures radicales,
- elle a un impact négatif sur l’économie à long terme.
Il me semble donc opportun d’attirer votre attention sur le caractère essentiel de l’enseignement en langue autochtone ou minoritaire, cet enseignement revêtant, en outre, une importance majeure pour les personnes concernées. Un premier pas a récemment été franchi, sous le précédent quinquennat d’Emmanuel Macron, avec la circulaire du 14 décembre 2021, qui offre à présent une base légale à ce type d’enseignement. Cependant, l’enseignement immersif reste mis à mal, notamment :
- par la loi no 94-665 du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française faisant du français la langue de l’éducation (article 1) et dont la restriction concernant les langues dites régionales (article 21) n’est pas toujours prise en compte (1),
- par la circulaire no 2017-056 du 14-4-2017 (2) stipulant que le contrôle pédagogique par lequel est évalué le niveau des enfants instruits dans la famille doit être effectué en français,
- par le décret no 2022-182 du 15 février 2022 (3), à l’origine du règlement R. 131-11-5 du Code de l’éducation (4), imposant, pour une demande d’autorisation d’instruction dans la famille motivée par l’existence d’une situation propre à l’enfant, que soit fournie une attestation sur l’honneur d’assurer l’instruction majoritairement en français,
- par l’absence des langues dites régionales aux côtés des langues vivantes étrangères dans les textes de référence sur l’école maternelle (5),
- par de nombreux documents faisant explicitement référence au français, et non simplement au langage ou à la langue de l’enseignement, en particulier les textes et guides de référence et le programme de la maternelle (note de services no 2019-084 et 2019-086 du 28-5-2019, guides « Pour enseigner le vocabulaire à l'école maternelle » et « Pour préparer l'apprentissage de la lecture et de l'écriture à l'école maternelle », programme d’enseignement de l’école maternelle) (6),
- par le bloc constitutionnel, à savoir l’article 2 de la Constitution et les décisions du Conseil constitutionnel no 2001-456 DC du 27 décembre 2001 (considérants 48 et 49), no 2011-130 QPC du 20 mai 2011 (considérant 3) et no 2021-818 DC du 21 mai 2021 (paragraphes 19 et 20).
Convaincu que vous prendrez, dans la mesure de vos possibilités, les dispositions les mieux adaptées pour améliorer le cadre régissant les diverses modalités de l’enseignement immersif en langue autochtone ou minoritaire en France, veuillez recevoir, monsieur le ministre, l’expression de ma plus haute considération.
Yann-Vadezour ar Rouz
Notes :
- Loi no 94-665 du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française. En ligne : https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000349929/
- Circulaire no 2017-056 du 14-4-2017 relative à l’instruction dans la famille. En ligne : https://www.legifrance.gouv.fr/download/file/pdf/cir_42075/CIRC
- Décret no 2022-182 du 15 février 2022 relatif aux modalités de délivrance de l’autorisation d’instruction dans la famille. En ligne : https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000045174568
- Code de l’éducation : Modalités de délivrance de l'autorisation d'instruction dans la famille (Articles R131-11 à D131-11-13). En ligne : https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000006071191/LEGISCTA000045175564
- Textes figurant sur la page « Présentation de l'école maternelle : une école de l'épanouissement et du langage ». En ligne : https://eduscol.education.fr/610/presentation-de-l-ecole-maternelle
- Liens présents sur la page mentionnée à la note précédente.