Justice pour nos langues !

Pas de sujet de secours pour les élèves
composant en langue autochtone au brevet des collèges

Le 1er juillet 2022 avait lieu l’épreuve d’histoire-géographie du brevet des collèges. Alors que les sujets sont censés être les mêmes pour tous les candidats, il n’en a, cette année, pas été de même pour cette épreuve. Cette anomalie soulève quelques problèmes juridiques et moraux, mais elle pourrait aussi amener à un questionnement sur la participation des programmes scolaires à une certaine uniformisation à l’échelle du territoire français.

Conséquence de l’application du principe d’égalité, les sujets des diplômes nationaux du brevet des collèges, comme ceux du baccalauréat, ont toujours été identiques pour tous les candidats. Mais cette année, des fuites ayant été constatées, ce sont les sujets de secours qui ont été distribués aux élèves. Mais, curieusement, cela n’a pas été le cas pour les élèves des filières bilingues en langue autochtone, qui ont dû plancher sur les sujets initialement prévus.

L’affaire a largement été relayée par les organes de presse nationaux et régionaux, parmi lesquels Mediabask pour le basque1, Le Télégramme pour le breton2 ou L’Alsace pour l’alsacien3. Elle a également été dénoncée par plusieurs associations, comme la Felco (association d’enseignants d’occitan dans l’enseignement public), pour l’occitan4 et l’Aplec (association pour l’enseignement du catalan) pour le catalan5. Ces dernières ont pointé le caractère discriminatoire du procédé, mettant en avant la difficulté nettement plus élevée des sujets distribués aux candidats rédigeant en langue autochtone.

Ainsi, tous les élèves ont matière à se sentir lésés, les uns à cause de cet écart quant au niveau de difficulté, les autres parce que certains parmi ces derniers auraient pu être avantagés par les fuites. Mais le malaise va plus loin : la Felco déplore le « discrédit inacceptable sur ces filières où s’investissent tout au long de l’année élèves et professeurs », tandis que l’Aplec met en avant « la question de la valeur et de la légalité d’une épreuve entâchée de différence de traitement ».

En outre, cet incident intervient à peine plus d’un mois après l’envoi d’une communication de l’Onu au gouvernement français6, qui rappelait, entre autre, que la France a adhéré, le 4 novembre 1980, au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, dont « l’article 26 interdit toute discrimination et garantit à toutes les personnes une protection égale et efficace contre toute discrimination, notamment de langue »7. Aussi, le déroulement de l’épreuve d’histoire du brevet des collèges vient alimenter la vague de mécontentement qui s’est élevée au moment de la censure partielle de la loi Molac.

Diverses version circulent sur l’origine du dysfonctionnement. Selon l’Aplec, « tel que le prévoient les textes officiels, les sujets de secours existaient également dans la version catalane ». Cependant, d’après Le Télégramme, le ministère affirme que « le protocole de secours ne prévoit pas de traduction en langue régionale ou en braille pour les sujets B en histoire-géographie ». Pour la Felco, « il suffisait […], si une telle version n’était pas disponible, de faire appel à des personnels compétents pour la fournir ». Quoi qu’il en soit, l’administration n’est dédouanée dans aucun des cas de figure. Car si les textes ou le protocole ne prévoient pas les langues autochtones pour les sujets de secours, c’est que le caractère potentiellement discriminatoire était déjà présent en amont, et cela n’ôte en rien la question de la responsabilité de la gestion de l’épreuve en cause.

Enfin, le principe d’égalité a depuis toujours été invoqué pour que soient fournis des sujets identiques à tous les candidats aux examens nationaux. Et cela a, à son tour, servi d’argument pour s’opposer à des programmes adaptés aux spécificités des territoires, notamment pour ce qui est de l’histoire. Or, il est à présent apparu que les sujets d’histoire-géographie peuvent, en réalité, être parfaitment différenciés en fonction des élèves. Cela ouvre, par conséquent, la porte à la question de l’apprentissage de la culture autochtone et de l’histoire du territoire où elle s’est développée sur chacun des territoires ayant une identité et une histoire particulière et qui est marqué culturellement. Cela serait d’ailleurs conforme à un engagement de la France rappelé par la communication de l’Onu évoquée précédemment : la France a ratifié, le 7 août 1990, la Convention internationale sur les droits de l’enfant, qui établit, à l’article 29, que l’éducation doit viser à « inculquer à l’enfant le respect […] de son identité […] et de ses valeurs culturelles ».

Notes :

  1. « La mobilisation pour le passage des examens en langue basque ne faiblit pas », par Ximun Larre, Mediabask, 1er juillet 2022.
  2. « Brevet 2022 : les collégiens bretonnants contraints de plancher sur le sujet qui a fuité », par Frédéric Jacq, Le Télégramme, 1er juillet 2022, 19 h 36.
  3. « Fuite des sujets au brevet : pas de plan B pour les bilingues », par Catherine Chenciner et Sébastien Spitaleri, L’Alsace, 1er juillet 2022, 20 h 37, mis à jour le 2 juillet 2022 à 22 h 05.
  4. « 02-07-22 – Diplôme National du Brevet : de graves dysfonctionnements pour les épreuves en langue régionale », Marie-Jeanne Verny, site de la Felco, 3 juillet 2022.
  5. « L’Aplec dénonce une inégalité de traitement pour les élèves bilingues au brevet des collèges », par l’Aplec, sur le site de l’Aplec, 4 juillet 2022.
  6. « Communication de l’Onu au gouvernement français suite à la censure partielle de la loi Molac », par Yann-Vadezour ar Rouz, Justice pour nos langues !, 3 juillet 2022, modfié le 4 juillet 2022.
  7. Communication de l’Onu du 31 mai 2022.