Justice pour nos langues !

Les débuts de la Décennie internationale
des langues autochtones en France

Faisant suite à l’Année internationale des langues autochtones de 20191, la Décennie internationale des langues autochtones a débuté en 20222. Mais le début de cette décennie n’est pas vraiment prometteur en France…

L’hostilité à l’encontre des langues autochtones dans les plus hautes sphères de l’État placent les langues régionales dans une situation particulièrement alarmante. Et la censure par le Conseil constitutionnel de l’enseignement dans ces langues survenue en mai 2021 met encore davantage en péril leur pérennité, d’autant plus que l’exécutif a fait clairement indiqué sa volonté de ne pas revenir sur cette censure. Face au blocage de l’appareil d’État, aussi bien sur le plan juridique que politique, il reste toujours la possibilité que la justice européenne contraigne à une évolution des droits ayant trait aux langues autochtones.

C’est un tel raisonnement qui avait motivé une plainte, adressée à la Cour européenne des droits de l’homme, pour non respect du droit à l’éducation et discrimination dans le cadre de ce droit, ainsi que pour non respect de la prééminence du droit3. Cette plainte, reçue par la Cour le 27 août 2021, a enfin été examinée. Et si elle a malheureusement été déclarée irrecevable, ce n’est pas la réalité de la violation du droit européen qui a été contestée par la Cour. Le motif du rejet de la plainte, en effet, est le suivant : « La Cour juge que la partie requérante n’a pas été suffisamment touchée par la violation alléguée de la Convention ou de ses Protocoles pour se prétendre victime d’une violation au sens de l’article 34 de la Convention. »

Les chances que la plainte aboutisse étaient relativement faibles, mais si elle avait été déposée, c’est bien parce que deux arguments avancés auraient pu permettre à la Cour de décider de juger l’affaire malgré tout :

La réponse de la Cour a été envoyée le 20 janvier 2022, soit au premier mois de la Décennie internationale des langues autochtones. Le signal envoyé n’est pas très positif : la Cour n’est pas très sensible à la question, et ses positions en matière de langues demeurent assez concervatrices.

Sans doute certaines populations des Outre-mers seraient plus à même de faire évoluer le droit français en saisissant cette même cour, étant donné les effets désastreux de l’enseignement qui y est dispensé. Car cet enseignement fait abstraction de la réalité linguistique locale dans des territoires où un important nombre d’enfants n’a aucune connaissance du français. Les conséquences sont catastrophiques : échec scolaire massif et taux d’analphabétisme nettement supérieur à celui observé en métropole.

Le cas de la Guyane française est particulièrement préoccupant. Il avait été rapporté, en 2016, que le suicide, connaissant un taux 5 à 10 fois plus élevé qu’en métropole, touchait de très jeunes Amérindiens, de 12 à 15 ans pour certains d’entre eux4. Si les causes identifiées étaient multiples, l’intervenante Tiwan Couchili avait pointé le défaut de l’usage des langues amérindiennes dans l’enseignement. Cela n’a cependant pas entrainé d’assouplissement du droit en matière linguistique pour autant. Au contraire, le droit français n’a fait que se durcir sur le sujet.

D’autres actions en justice verront sans doute le jour. Et il est possible que le droit français finisse par évoluer grâce à elles, dès lors qu’elles s’avèreront plus fructueuses. C’est du moins ce qui peut être espéré, car c’est probablement là une étape indispensable pour permettre aux langues autochtones de perdurer en France.

Notes :

  1. 2019 Année internationale des langues autochtones
  2. Décennie internationale des langues autochtones
  3. « Deux plaintes en cours auprès des instances internationales », Yann-Vadezour ar Rouz, Justice pour nos langues !, 3 septembre 2021.
  4. « Suicides des jeunes Amérindiens en Guyane française – Colloque au Sénat le 30/11/2016 », Groupe international de travail pour les peuples autochotnes, janvier 2017.