Justice pour nos langues !

La fresque Zoli Kér de Méo
qui confronte les droits humains fondamentaux
aux valeurs de la République

Une œuvre de Méo a récemment été menacée de censure à La Réunion. La polémique que cet incident a suscitée met en évidence le fait que l’expression, y compris artistique, est particulièrement surveillée au sein de l’Éducation nationale. Mais elle montre aussi combien la question de l’enseignement de l’histoire des différents territoires administrés par la France est importante pour les populations qui en sont issues.

Dans le cadre d’un projet du lycée de Vincendo à Saint-Joseph, intitulé « Celui qui oublie ses racines n’atteint jamais sa destination », l’artiste Méo a peint une fresque représentant un jeune garçon, Zoli Kér. Mais, un détail de son œuvre a soulevé la réprobation de quelques professeurs du lieu : un livre représenté au pied du personnage fait référence à un épisode de son histoire, lorsque, offusqué que seule l’histoire de France lui soit enseignée et que ce ne soit pas le cas aussi de l’histoire de La Réunion, il barre le titre d’un livre d’histoire de France et y écrit, en créole, « Zistwar La Rényon ». Le comité des experts nationaux des valeurs de la République a été saisi par l’établissement, afin qu’il se prononce sur la conformité de l’œuvre1.

Paradoxalement, cette tentative de censure a surtout eu pour effet de donner une importante visibilité à la fresque et de permettre à son message d’être plus largement diffusé. Il s’agit ainsi d’une nouvelle illustration de l’effet Streisand, la démarche contre-productive ayant abouti à faire connaitre la chose qu’elle avait, au contraire, vocation à faire disparaitre. L’artiste a alors reçu des messages de soutien de toute part. Et de nombreuses personnalités politiques de La Réunion ont pris position en faveur de son œuvre, contre sa censure et pour la liberté d’expression2.

Après examen, l’œuvre de Méo ne sera finalement ni détruite, ni partiellement effacée, ni retouchée. Le pôle « Valeurs de l’école de la République » du ministère de l’Éducation nationale a, en effet, accepté le compromis proposé par l’artiste réunionnais, consistant à accompagner sa fresque d’un texte explicatif, et, cet avis a été suivi par le recteur de La Réunion2. Le texte rédigé devra donc figurer aux côtés de l’œuvre, ce qui, au passage, ne retirera rien à sa force. Mieux encore, le message que livre Zoli Kér, se trouve même renforcé, puisqu’il a été officiellement jugé conforme aux valeurs de la République.

Un point négatif peut, malgré tout, être signalé, car il semblerait que, par son exemple, le corps professoral ait malencontreusement enseigné aux élèves que la censure d’une œuvre d’art pourrait être légitime pour des raisons idéologiques… Et si, comme cela pouvait être redouté, l’avis de quelques experts nationaux des valeurs de la République avait mené à la censure du message que la fresque de Méo véhicule, quel regard sur la France auraient alors porté les jeunes Réunionnais qui, ayant compris le sens profond de cette œuvre et en accord avec elle, ressentent l’enseignement du créole et de l’histoire de La Réunion comme une nécessité ?

Si tel avait été le cas, la République ne serait évidemment pas sortie grandie par la censure du message d’une œuvre qui, en substance, illustre essentiellement le besoin humain, pour toute personne quel que soit son âge, de jouir des droits de l’homme fondamentaux qui la concernent, et, en l’occurrence, de ceux inscrits à l’article 4 de la Déclaration des droits des personnes appartenant à des minorités nationales ou ethniques, religieuses et linguistiques3. Cet article énonce, d’une part : « Les États devraient prendre des mesures appropriées pour que, dans la mesure du possible, les personnes appartenant à des minorités aient la possibilité d’apprendre leur langue maternelle ou de recevoir une instruction dans leur langue maternelle. » Et d’autre part : « Les États devraient, le cas échéant, prendre des mesures dans le domaine de l’éducation afin d’encourager la connaissance de l’histoire, des traditions, de la langue et de la culture des minorités qui vivent sur leurs territoires. »

L’issue du démêlé permettra probablement d’apaiser quelque peu les tensions qui se sont cristallisées autour de cette affaire. Cependant, l’ampleur des réactions observées montre combien il demeure indispensable que l’État tire les conséquences de ce que ces dernières révèlent. Les différentes minorités territoriales ont, en effet, formulé de longue date la demande de reconnaissance du droit à l’enseignement de leur langue et de leur histoire, et entendent bien que ce droit soit mis en application. Certes, la fresque Zoli Kér de Méo restera intacte, mais les attentes que cette œuvre expriment demeurent entières elles aussi. La réponse appropriée n’est évidemment pas la censure, mais consiste, à l’inverse, en une évolution du système éducatif pour répondre aux besoins exprimés dans les différents territoires, conformément aux droits humains fondamentaux portés par les Nations unies.

Notes :

  1. « Polémique au lycée de Vincendo à Saint-Joseph : la fresque de l’artiste Méo dérange », par Annaëlle Dorressamy, Gaëlle Malet et Loïs Mussard, La 1ere, 11 avril 2024, 20 h 13, mis à jour le 12 avril 2024 à 15 h 30.
  2. « Fin de la polémique : La fresque de Méo au lycée de Vincendo restera inchangée », par Claudie Folio, Free Dom, 17 avril 2024.
  3. « Déclaration des droits des personnes appartenant à des minorités nationales ou ethniques, religieuses et linguistiques », sur le site du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme.