Justice pour nos langues !

Le tribunal administratif de Montpellier
restreint l’usage du catalan

Selon le tribunal administratif de Montpellier, les règlements des conseils municipaux des cinq communes ayant autorisé les délibérations en catalan sont anticonstitutionnels, même s’ils prévoient systématiquement une traduction en français. Mais une telle position, peu en adéquation avec la jurisprudence dans le domaine, impose une discrimination de fait. Les communes s’apprêtent à poursuivre la bataille judiciaire.

Les règlements adoptés par les communes d’Elne, de Port-Vendres, de Tarerach, d’Amélie-les-Bains et de Saint-André constituaient une importante mesure de promotion du catalan, et une nette avancée vers la normalisation de cette langue. C’était sans compter sur le préfet des Pyrénées-Orientales, qui a saisi la justice, le 20 septembre 2022, pour s’opposer à l’usage du catalan dans leurs conseils municipaux1. Autant dire que la décision du tribunal était très attendue. Il a désormais tranché2. Les jugements rendus le 9 mai 2023 ont été défavorables aux communes, et elles ont dû accuser le coup. Et avec elles toutes les personnes conscientes de l’importance de la question de l’avenir de la langue catalane dans la partie nord de la Catalogne.

La décision du tribunal administratif

Les jugements s’appuient sur deux dispositions. L’une est de nature législative, et l’autre de nature constitutionnelle.

Pour ce qui est de la législation, il s’agit de l’article 1er de la loi du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française, qui énonce : « Langue de la République en vertu de la Constitution, la langue française est un élément fondamental de la personnalité et du patrimoine de la France. Elle est la langue de l’enseignement, du travail, des échanges et des services publics »3.

Pour ce qui est de la Constitution, il s’agit de l’article 2, qui stipule : « La langue de la République est le français »4. Le tribunal a repris, à son sujet, l’interprétation qui en a été faite par le Conseil constitutionnel. Pour ce dernier, « l’usage du français s’impose aux personnes morales de droit public et aux personnes de droit privé dans l’exercice d’une mission de service public. »5

Le juge relève que le règlement voté par les communes « n’impose pas l’utilisation du catalan, qui n’est qu’une possibilité offerte aux conseillers municipaux », mais note qu’il « permet, toutefois, aux conseillers municipaux d’utiliser le catalan comme mode d’expression principal, le français n’intervenant qu’en guise de traduction dans un second temps ». Il en conclut que cela s’oppose aux dispositions citées « qui imposent le français comme langue de la République et du service public sans exclure l’usage de langue régionale en guise de traduction. » En vertu de quoi, il annule les délibérations par lesquelles les règlements des conseils municipaux ont été modifiés.

Une interprétation restrictive et très discutable du droit

Malgré son apparente évidence, la conclusion ne va pas de soi. L’obligation pour les personnes morales de droit public d’utiliser le français en tant que mode d’expression principal, ou l’impossibilité de son emploi en guise de traduction, n’a, en effet, jamais été édictée par le Conseil constitutionnel. Aussi, pour rendre sa décision, le juge a interprété le droit de manière restrictive.

Les décisions successives du Conseil constitutionnel laissent, en effet, la porte ouverte quant à l’utilisation du français de l’une ou l’autre manière. Au considérant 8 sa décision du 15 juin 19996 et au considérant 5 de sa décision du 28 septembre 20065, il énonce que « l’article 2 de la Constitution n’interdit pas l’utilisation de traductions ». Le mémoire en défense de la commune de Port-Vendres cite, pour sa part, une décision du 29 juillet 1994, dans laquelle le Conseil constitutionnel met en avant que la loi relative à l’emploi de la langue française n’a pas pour objet « de prohiber l’usage de traductions lorsque l’utilisation de la langue française est assurée »7.

Concernant la législation, l’invocation de la loi de 1994 qui est faite apparait particulièrement inappropriée. Le jugement ne prend absolument pas en compte la restriction formulée dans son article 21, qui n’est même pas cité. Ce dernier s’oppose pourtant clairement à un usage de cette loi contre les langues autochtones : « Les dispositions de la présente loi ne font pas obstacle à l’usage des langues régionales et aux actions publiques et privées menées en leur faveur. »8

En outre, le Conseil d’État dispose d’une jurisprudence bien établie qui accepte l’utilisation d’une langue autre que le français au cours d’une assemblée délibérative. Le 16 octobre 20139 et, plus récemment, le 11 février 202210, constatant « qu’une langue autre que le français a été utilisée, de manière ponctuelle, au cours des débats », mais sans toutefois « entraver l’exercice du contrôle de légalité du texte ainsi adopté ou de priver toute personne, y compris les membres de l’assemblée, des garanties d’accès et de compréhension indispensables au débat démocratique », il a jugé que cela n’avait pas « entaché la procédure d’adoption » de la loi « d’une irrégularité de nature à en affecter la légalité ».

Et le mémoire en défense note que le règlement des communes est en adéquation avec l’article L1 du Code du patrimoine, qui pose le principe de la promotion des langues autochtones. Depuis la modification introduite par la loi du 21 mai 2021 relative à la protection patrimoniale des langues régionales et à leur promotion11, cet article contient, en effet, la disposition suivante : « L’État et les collectivités territoriales concourent à l’enseignement, à la diffusion et à la promotion de ces langues »12.

Une situation discriminatoire

La décision du tribunal administratif de Montpellier est une illustration de la différence de traitement qui existe en France entre les langues autochtones et la langue anglaise. L’interdiction faite aux personnes morales de droit public d’utiliser le catalan comme mode d’expression principal s’oppose, en effet, à la tolérance concernant la pratique de l’anglais, alors même que la législation dispose que l’État assure la promotion des langues autochtones.

À titre d’exemple, Emmanuel Macron en personne, sur le territoire national, et au siège même de la présidence de la République française, intervenait en anglais, et sans traduction aucune, comme il ressort de l’émission Face the Nation diffusée en avril 2021 sur le réseau de radio et de télévision CBS13. Et il s’exprimait bien en tant que président de la République, et non à titre personnel. Or, il s’avère que l’article 5 de la Constitution fait du président de la République le garant du respect de la Constitution, comme l’est également le Conseil constitutionnel : « Le Président de la République veille au respect de la Constitution. »14

Dans ces circonstances, l’invocation de la Constitution pour interdire l’usage d’une langue autre que le français comme mode d’expression principal a de quoi laisser perplexe. Et il apparait qu’il existe clairement une situation de discrimination dont sont victimes les langues autochtones en France, et, partant, leurs locuteurs.

Une histoire inachevée

Les 5 communes semblent prêtes à faire appel auprès du tribunal administratif de Toulouse. Après cela, elles envisagent de se pourvoir en Conseil d’État. Enfin, si nécessaire, les élus saisiront, à titre personnel, la Cour européenne des droits de l’homme à Strasbourg, l’avocat des communes, Me Pons-Serradeil, rapportant que « seules des personnes physiques sont autorisées à comparaître devant cette Cour, et non les personnes morales telles que les communes ».

Notes :

  1. « Cinq communes poursuivies par l’État pour une mesure de promotion du catalan », par Yann-Vadezour ar Rouz, Justice pour nos langues !, 28 avril 2023, modifié le 13 mai 2023.
  2. Tribunal administratif de Montpellier, jugements nos 2204866, 2204992 (non consulté), 2205204, 2205362 (non consulté) et 2205363 du 9 mai 2023.
  3. Loi no 94-665 du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française – Article 1, sur le site Légifrance.
  4. Constitution du 4 octobre 1958 – Article 2, sur le site Légifrance.
  5. Décision no 2006-541 DC du 28 septembre 2006 – Accord sur l’application de l’article 65 de la convention sur la délivrance de brevets européens (Accord de Londres), par le Conseil constitutionnel.
  6. Décision no 99-412 DC du 15 juin 1999 – Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, par le Conseil constitutionnel.
  7. Décision no 94-345 DC du 29 juillet 1994 – Loi relative à l’emploi de la langue française, par le Conseil constitutionnel.
  8. Loi no 94-665 du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française – Article 3, sur le site Légifrance.
  9. Conseil d’État, 10ème et 9ème sous-sections réunies, 16/10/2013, 365141, Inédit au recueil Lebon (alinéa 6), sur le site Légifrance.
  10. Conseil d’État, 10ème chambre, 11/02/2022, 456823, Inédit au recueil Lebon (alinéa 16), sur le site Légifrance.
  11. Loi no 2021-641 du 21 mai 2021 relative à la protection patrimoniale des langues régionales et à leur promotion (1) – Article 1, sur le site Légifrance.
  12. Code du patrimoine – Article L1, sur le site Légifrance.
  13. « Full interview: French President Emmanuel Macron on “Face the Nation” », sur le site Youtube, 18 avril 2021.
  14. Constitution du 4 octobre 1958 – Article 5, sur le site Légifrance.