Justice pour nos langues !

Pap Ndiaye s’exprime enfin
sur les langues autochtones

Après sa nomination en tant que ministre de l’Éducation nationale, Pap Ndiaye, tout d’abord resté particulièrement discret, n’avait pas encore fait connaitre sa position au sujet des langues autochtones en France. Ses premiers propos sur le sujet apparaissent d’une extrême prudence, et tendent à montrer que, si des avancées s’avèrent envisageables, elles risquent fort de demeurer insuffisantes.

Lors de la réunion de la Commission des affaires culturelles et de l’éducation du 2 août 2022, Iñaki Echaniz, député de la 4e circonscription des Pyrénées Atlantiques (région intérieure à cheval sur Béarn et Pays Basque), a posé une question au ministre de l’Éducation nationale sur les langues autochtones, mettant en avant la nécessité et l’urgence d’une politique volontariste d’aide, de soutien, de mise en valeur et de développement pour faire face aux différents problèmes que rencontrent les langues autochtones en France1.

Le député a ainsi évoqué de nombreux points : censure partielle de la loi Molac par le Conseil constitutionnel, baisse des effectifs dûe à la réorganisation de l’enseignement secondaire et du baccalauréat, refus de correction des épreuves en langue autochtone pénalisant les élèves des filières bilingues et immersives, absence de ratification de la Charte européenne des langues régionale ou minoritaires, absence de texte législatif sur l’enseignement immersif en langue autochtone précisant les modalités d’examens, absence d’encouragement à la mise en place d’une offre pourvue d’une dotation spécifique dans les parcours scolaires.

Dès les premiers mots de la réponse du ministre de l’Éducation nationale, Iñaki Echaniz a précisé que la question concernait l’ensemble des langues autochtones. Malgré cela, le ministre a restreint la première partie de sa réponse au cas du basque, en élargissant toutefois rapidement sur les langues autochtones.

Mais, alors que la situation se fait sans cesse plus urgente, que les rapports sur les langues autochtones sont légion, et que, par conséquent, les recommandations sur le sujet ne manquent pas, que ce soit par le biais de rapports ministériels aussi bien que par le biais de rapports de l’Onu ou de l’OSCE, le ministre de l’Éducation nationale déclare simplement : « J’ai indiqué […] que nous allions engager une réflexion avec les élus basques en particulier sur le sujet et d’une manière générale sur les langues régionales ». Ce n’est pourtant pas un projet de réflexion qui était souhaité, mais un engagement politique fort, se traduisant par des annonces de mesures concrètes. Le ministre est ainsi resté en dessous des attentes.

Par ailleurs, Pap Ndiaye a précisé sa « position personnelle » et « philosophique », en affirmant avoir « une position d’intérêt bienveillant pour les langues régionales », et en précisant : « Le bilinguisme, le développement des langues régionales […] ne me semblent pas être, en tant que tels, une menace de nature à fragiliser l’apprentissage de la langue française. On a plutôt des études qui vont, d’ailleurs, dans l’autre sens. » Il entend affirmer ainsi une « position de principe ». Cette dernière contraste avec la vision de son prédecesseur, et constitue, en ce sens, un progrès. Mais l’avancée reste symbolique, puisque Pap Ndiaye s’est alors exprimé à titre personnel, et non en tant que ministre. En outre, ce dont les langues autochtones ont besoin, ce n’est ni d’intérêt personnel, ni de bienveillance, et encore moins de paternalisme, mais bien d’une politique linguistique de normalisation, afin de permettre, et de valoriser, leur usage dans tous les domaines de la société.

Les précédents propos sont d’ailleurs atténués par la sacralisation de la langue française, et de cette seule langue, dont Pap Ndiaye ne semble pas prêt à se défaire, puisque, selon lui : « La langue française, c’est la prunelle de nos yeux ». Cela s’avère problématique, car la question linguistique ne saurait être traitée objectivement en la considérant exclusivement au travers du prisme de la langue française, car cela revient, en définitive, à effectuer une hiérarchisation des langues de France qui n’a pas lieu d’être.

Enfin, le ministre de l’Éducation précise : « Nous avons indiqué du côté du rectorat d’Aquitaine que nous engagions des échanges sur ce sujet pour aboutir à une solution d’équilibre en veillant à ce que tout de même la langue française qui est la langue officielle de la République conserve sa place et toute sa centralité ». Cette affirmation contradictoire permet à chacun d’entendre ce qu’il veut, puisqu’il est question, dans la même phrase, d’un côté, « d’aboutir à une solution d’équilibre », et, de l’autre, de faire en sorte que le français « conserve sa place et toute sa centralité », ce qui est l’exact contraire de l’équilibre. Il s’agit là, en quelque sorte, d’une pensée magique : l’existence d’une situation de déséquilibre est implicitement reconnue, il est donc admis, en clair, que la présence quasi-exclusive du français ne laisse pas suffisamment de place au basque, mais le problème sera réglé en laissant sa place au français, et en conservant à la langue basque le caractère accessoire qui lui a été conféré.

Question au ministre de l’Éducation nationale
sur les langues autochtones

Vidéo2

Transcription3

Question de Iñaki Echaniz

Mr le Ministre, en France les langues dites régionales ne bénéficient pas de la protection et de l’encouragement de l’État dans leur utilisation et leur parcours d’apprentissage. L’actualité récente est illustrative de cet état de fait : la loi Molac censurée en partie par le Conseil constitutionnel à la demande de la majorité, la réorganisation de l’enseignement secondaire et du bac responsable d’une baisse des effectifs, le refus de corriger des épreuves passées en langue régionale pénalisant les élèves des filières bilingues et immersives. L’expérience nous enseigne qu’il faut sécuriser ce type d’enseignement d’un point de vue légal en ratifiant la Charte européenne des langues minoritaires, en votant un texte reprenant la circulaire de décembre 2021 et précisant les modalités d’examens, et, ensuite, en encourageant dans les parcours scolaires une offre pourvue d’une dotation spécifique. L’état de faiblesse dans lequel se trouvent les langues régionales, qui sont pourtant une richesse de nos territoires et de notre pays, exige une politique urgente et volontaire d’aide, de soutien et de développement de ces langues. Alors, Mr le ministre, quelle est votre position et votre ambition politique pour le développement des langues régionales ? Quelle est votre position sur le passage des examens en langue régionale ? Et quelle est votre position sur le développement et la mise en valeur de cette richesse nationale ?

Réponse de Pap Ndiaye

— Sur les langues régionales, je crois que c’était votre question, Mr le député, alors, je ne sais pas si vous faisiez allusion à la langue basque, puisque…

— Pas seulement.

— Pas seulement ? Mais, je pensais à la langue basque, puisque nous avons été amenés à réfléchir après avoir été interpelés à propos de la place de la langue basque dans le brevet des écoles, ainsi qu’à propos d’écoles primaires situées dans cette région et de la question du bilinguisme. J’ai indiqué que nous ne voulions pas réagir sous la pression immédiate à quelques jours du brevet et que nous allions engager une réflexion avec les élus basques en particulier sur le sujet, et d’une manière générale sur les langues régionales. Ma position personnelle, ma position philosophique, c’est une position, je veux dire, d’intérêt bienveillant pour les langues régionales. Je ne considère pas que les langues régionales soient un obstacle à la langue française. La langue française, c’est la prunelle de nos yeux, bien entendu, et on ne doit rien faire qui puisse la compromettre. Néammoins, le bilinguisme, le développement des langues régionales, c’est vrai aussi du côté des outre-mers, ne me semblent pas être, en tant que tels, une menace de nature à fragiliser l’apprentissage de la langue française. On a plutôt des études qui vont, d’ailleurs, dans l’autre sens. Ça, c’est ma position de principe. Et nous avons indiqué du côté du rectorat d’Aquitaine que nous engagions des échanges sur ce sujet pour aboutir à une solution d’équilibre en veillant, tout de même, à ce que la langue française, qui est la langue officielle de la République, conserve sa place et toute sa centralité, bien entendu.

Au final, Pap Ndiaye n’a annoncé aucun engagement concret, il n’a livré qu’une opinion à titre personnel, et ne s’est donc pas impliqué en tant que ministre. Il se dit pour le développement des langues autochtones, mais à la condition de maintenir, en réalité, l’inéquité que l’idéologie jacobine, jamais remise en cause par aucun gouvernement, a instauré entre les locuteurs en fonction de leur langue maternelle, en faisant prévaloir le français sur les langues autochtones. Mais, dans l’état actuel de la situation dans laquelle se trouvent les langues autochtones, cela laisse, malgré tout, une certaine marge de progression, espace que le ministre de l’Éducation nationale semble disposé à mettre à profit dès lors que l’inégalité de fond est maintenue.

Notes :

  1. « Commissions / Mardi 2 août 2022 – Commission des affaires culturelles : M. Pap Ndiaye, ministre de l’Éducation et de la Jeunesse », Portail vidéo de l'Assemblée nationale.
  2. Message Facebook d’Iñaki Echaniz du 2 août 2022 à 21 h 15, sur Facebook.
  3. Transcription originale : Message Facebook d’Alà Baylac-Ferrer du 5 août 2022 à 16 h 37, sur Facebook.