Justice pour nos langues !

Proclamation d’un message de responsabilité
relatif aux langues autochtones

Extraits d’une intervention de Christian Troadec,
vice-président à la Région Bretagne, Langues de Bretagne et Bretons du monde,
session du Conseil régional de Bretagne du 13 au 15 décembre 2023, journée du 14 décembre 2023

Monsieur le président, mesdames et messieurs, mes chers collègues,

Ur gemenadenn a atebegezh. Un message de responsabilité.

Bez’ e tle ar pobloù orin sammañ an atebegezh da adreiñ buhez d’o yezhoù ha d’o sevenadurioù. Les peuples doivent prendre la responsabilité de redonner vie à leurs langues et à leurs cultures.

La responsabilité en revient au peuple concerné et à ses organisations. Il ne suffit pas de revendiquer des droits et de parler d’identité. Seuls les peuples qui s’engagent à créer des structures et des stratégies pour revitaliser leurs langues et leurs cultures peuvent avoir des possibilités de survie dans ce siècle de technologies mondialisées.

Pour saisir ce message, il est nécessaire de comprendre un principe fondamental : les langues sont le cœur des cultures, elles sont leur véhicule. Si la langue disparait, l’axe identitaire du peuple disparait également. Il n’en restera alors que des idées, des autocollants de Bigoudènes à l’arrière des voitures, tout aussi sympathiques soient elles, des fragments de cosmovision, du folklore, des coutumes, sans doute intéressants pour les anthropologues, exotiques pour les touristes, juteux pour les éditeurs ayant l’intention des publier des livres sur le sujet et intéressants également pour des organisations « indigènes » souhaitant continuer à obtenir des aides pour leurs projets. Mais la culture, au sens véritable du terme, aura disparu, puisque c’est la langue qui articule, comprend, vivifie et exprime la véritable richesse de sa culture.

François Mitterrand, alors candidat à la présidence de la République, affirmait à Lorient, le 14 mars 1981 : « C’est blesser un peuple au plus profond de lui-même que de l’atteindre dans sa langue et sa culture. Nous proclamons le droit à la différence ». Bien au fait de l’attitude de l’État et des gouvernements successifs à l’égard des langues régionales, il aurait même parlé de « réparation historique ». Les défenseurs de la langue bretonne attendent toujours.

Les citations de ce type en faveur des langues sont nombreuses chez les hommes politiques français, et aussi différents que Jacques Chirac, l’esthète et ami des arts premiers, Lionel Jospin, qui a été signataire de la Charte des langues minoritaires, mais hélas jamais ratifiée, Michel Rocard, le décolonisateur, ou encore François Bayrou, le Béarnais amoureux des belles lettres qui a favorisé Diwan en son temps. Pourtant, l’attitude globale de l’État ne change pas.

Comme le disait un élu corse bien connu : « De droite ou de gauche, un sujet accorde tous les gouvernements français dans une forme d’hypersensibilité chronique suscitant chez eux les mêmes réactions épidermiques : la langue. Oser mettre en avant les vertus, voire faire la promotion d’une autre langue que le français reviendrait à attaquer celle-ci. Un crime, donc, de lèse-majesté. Pour Paris, la question de la langue ne répond pas au domaine politique, mais relève quasiment de la théologie », voire du dogme.

Pourtant, les vertus de la langue et de la culture bretonnes ne manquent pas. Faut-il rappeler ce que disait le prix Nobel de littérature, le Breton Jean-Marie Le Clézio à ce sujet en réponse aux propos d’un autre écrivain connu qui mettait en doute l’existence en Bretagne d’une littérature bretonne : « Comment pouvez-vous dire ça ? disait Jean-Marie Le Clézio. C’est tout le contraire, la Bretagne a une force littéraire très grande, très importante. Il y a tout ce qui est écrit, tout ce qui est conté, il y a tout ce qui est relaté. Si on additionne tout ça, c’est une littérature importante et forte. »

On le voit, les déclarations sont importantes. Mais les actes positifs, hélas, sont rarement à la hauteur des besoins et des attentes. Nous pouvons apporter notre pierre à la fameuse « réparation historique », redonner de l’espoir à ceux et celles qui, chaque jour, souvent bénévolement, œuvrent pour tenter d’assurer un avenir à la langue bretonne et refusent qu’on puisse rayer de la carte une langue, comme on supprime une mauvaise herbe dans son jardin, fusse-il, d’ailleurs, qu’elle soit mauvaise.

La blessure causée en Bretagne par l’attitude méprisante de l’État à l’égard des langues régionales n’est hélas pas refermée. C’est le devoir, notre devoir, du Conseil régional de Bretagne d’apporter toute son attention à cette situation historiquement inadmissible et toujours très délicate aujourd’hui. J’en veux pour preuve le non-respect par l’État de ses engagements au sujet de la convention spécifique. Nous devons réclamer la délégation de compétence de programmation de l’enseignement bilingue.

[…]

En effet, les brittophones vieillissent – 79 % d’entre eux ont plus de 70 ans –, et ce sont 90 % des 15-24 ans brittophones qui acquièrent le breton dans le système scolaire.

[…]

Il ne s’agit pas seulement de répondre à l’attachement des Bretonnes et des Bretons à leur langue et à leur volonté de la voir développée dans les médias, l’enseignement, sur les routes ou dans les services publics, mais bien de contribuer à créer des espaces, physiques ou virtuels, où le breton pourra être utilisé naturellement comme langue de communication courante.

[…]

La langue bretonne, mesdames et messieurs, n’est réservée ni à une génération, ni une classe sociale, ni à un territoire particulier. Elle appartient à toutes et tous. Elle est un bien commun unique, qui est au cœur de notre histoire et de notre identité collective. Elle nous a été léguée par les générations passées et nous en avons désormais la responsabilité. Mais nous nous devons de mettre tout en œuvre, par tous les moyens dont nous disposons, des politiques volontaristes qui permettront son épanouissement et aideront les générations futures à la faire prospérer, évoluer et grandir.

Gant ar yezh e c’hellomp bezañ ar pezh ez omp. Stourm evit ar yezh a zo stourm evit an-unan, stourm evit ar sevenadur douget gant pep hini. Difenn ur yezh a zo kement ha karout holl yezhoù ar bed, kement ha labourat evit ingalded holl bobloù ar blanedenn, sevel darempredoù diazezet war ar benndoujañs-se, kement ha bevañ, diwar danvez an-unan, primveizad don ar pobloù orin, da lavaret eo, diwall diseurtelezh an dud diwar identelezh an-unan digor d’ar re all.

Je traduis. Car la langue est ce qui nous permet d’être ce que nous sommes. Lutter pour la langue, c’est lutter pour soi-même, lutter pour la culture que chacun porte en lui. Défendre une langue, c’est aimer toutes les langues du monde. C’est travailler à l’égalité de tous les peuples de la planète, établir des relations basées sur ce respect fondamental. Défendre une langue, c’est vivre, à partir de soi-même, la profonde intuition des peuples, à savoir, préserver la diversité humaine à travers une identité propre ouverte aux autres.

Prenons nos responsabilités.

Merci de votre attention. Trugarez vras !

Source : « Session du 13 au 15 décembre 2023 – Journée du 14 décembre 2023 », Synople TV. De 01:30:47 à 01:45:03.