Demande au Sénat d’une Commission vérité et réconciliation
par d’anciens pensionnaires autochtones des “Homes indiens”
Plusieurs anciens pensionnaires des “Homes indiens” se sont rendus au Sénat le 10 avril 2025. Les questions d’assimilation linguistique et culturelle et d’acculturation y ont été largement soulevées. Les séquelles qu’ils portent les amènent à plaider pour la mise en place d’une Commission vérité et réconciliation.
L’Institut francophone pour la justice et la démocratie a présenté au Sénat le rapport préliminaire pour « l’ouverture d’une commission vérité et réconciliation », qui met en lumière l’acculturation forcée de milliers de jeunes des différents peuples autochtones de Guyane perpétrée par les pensionnats catholiques amérindiens de Guyane, aussi appelés “Homes indiens”1. Le film Pensionnats catholiques de Guyane : la Blessure d’Hélène Ferrarini et François Reinhardt y a été projeté en avant-première. Et la sénatrice Raymonde Poncet-Monge a invité d’anciens pensionnaires des “Homes indiens” à témoigner.
L’institution des “Homes indiens”, selon les termes d’Hélène Ferrarini, aussi autrice de l’ouvrage Allons enfants de la Guyane paru en 2022, montre « une persistance coloniale dans l’administration qui est faite par Paris » des Outre-mers2. Les enfants autochtones y étaient envoyés en internat de force très jeunes, et ils y recevaient un prénom chrétien à leur arrivée. Tawayakale “Guillaume” Kouyouri met l’accent sur leur état de vulnérabilité : « Quand vous êtes arraché de votre famille à l’âge de 4 ans, vous n’avez pas votre mot à dire pour apprendre une autre langue, une autre histoire, une autre culture, une autre civilisation ». Kadi “Éléonore” Johannes laisse entrevoir les effets dévastateurs que cela a pu avoir sur les relations affectives et la cohésion sociale : « Mon désespoir, c’est de ne pas parler couramment ma langue parce que je n’étais pas avec ma famille. Quand on arrive chez soi, on se sent presque étrangère dans sa famille car on n’arrive pas à communiquer. »
La sénatrice Raymonde Poncet-Monge souligne l’intensité des sévices : « Ces personnes-là ont connu un traumatisme d’effacement de leur histoire, d’effacement de leur identité ». Et les précisions qu’elle livre peuvent donner une idée de l’ampleur du phénomène : « Il y a 10 fois plus de suicide dans cette population ». Pour certains, il n’est toujours pas possible d’en parler.
Dans les “Homes indiens” a sévi, ainsi qu’il a été exprimé sur des images diffusées par Public Sénat, « une politique d’assimilation systémique financée et encouragée par l’État français. »3 Parmi ceux qui l’ont vécue, certains font à présent entendre leurs voix et demandent la mise en place d’une Commission vérité et réconciliation, qui pourrait aider à apaiser les douleurs. Un témoin fait état de « la langue française, ou cette culture, ou cette civilisation, qu’on nous a forcé à accepter. » Le propos va dans le même sens que ce que rapporte Kadi “Éléonore” Johannes : « On nous a arraché notre culture pour nous imposer une autre. »
Ces établissements ont sévi de 1935 à 2023, et les blessures sont très présentes. « Interdits de parler leur langue, de vivre leurs coutumes, de manger leur nourriture », comme expliqué sur les images diffusées par Public Sénat, les enfants autochtones ont subi cette violence parmi d’autres, tant physiques que psychologiques, qui ont été les moyens de la francisation. Une ancienne pensionnaire relate ainsi qu’elle « a été coupée radicalement de sa langue maternelle. »
La séparation de l’Église et de l’État, instaurée dans la métropole par la loi en 1905, n’a jamais eu cours en Guyane. Et les deux institutions ont alors fait cause commune, ainsi que le rappelle la sénatrice Raymonde Poncet-Monge : « Sous couvert de scolarisation, l’État français, en collaboration avec l’Église catholique, y a conduit une politique d’assimilation forcée qui visait, selon les mots d’Alexis Tiouka à “tuer l’Amérindien pour sauver l’homme” ». Une femme décrit les effets des procédés mis en œuvre comme une atteinte à l’intégrité des peuples autochtones : « C’est comme si nous avions été contaminés, infectés par une pensée, par une manière de vivre. »
Le dossier n’avance pas vite. Dix ans auparavant, le 30 novembre 2015, un rapport parlementaire, intitulé « Suicides des jeunes Amérindiens en Guyane française : 37 propositions pour enrayer ces drames et créer les conditions d’un mieux-être » et réalisé par Aline Archimbaud, sénatrice de Seine-Saint-Denis, et Marie-Anne Chapdelaine, députée d’Ille-et-Vilaine, en mission auprès de la ministre des Outre-mer, avait été remis au Premier ministre4. Un an après, le 30 novembre 2016, plusieurs membres de peuples autochtones de Guyane avaient été entendus au Sénat, où s’était déroulé le colloque « Suicides des jeunes Amérindiens en Guyane française »5. Et le dernier “Home indien” n’a fermé qu’en 2023.
Le 1er février 2024, le Rapport « Pour une Commission Vérité sur les homes indiens de Guyane » de l’Institut francophone pour la justice et la démocratie a été présenté à l’Assemblée nationale, à l’invitation de Jean-Victor Castor, député de la Guyane6. Nul ne peut dire si la Commission vérité et réconciliation demandée verra le jour, et, si c’est le cas, quand elle aura lieu. L’universalisme à la française est depuis longtemps instrumentalisé pour éradiquer les langues, les cultures et les identités présentes sur les territoires administrés par la France. Et des pratiques poursuivant un tel objectif ont toujours cours, alors qu’elles violent les droits humains fondamentaux et sont contraires au principe d’émancipation.
Aujourd’hui encore la Constitution est interprétée de manière restrictive, et parfois abusivement, sur ces questions, afin de faire obstacle à l’existence juridique des peuples autochtones au nom de « l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion »7, sans prise en compte de la langue et de la culture des citoyens, à la reconnaissance des droits des minorités nationales, ethniques ou linguistiques8, et de ceux des personnes appartenant à ces minorités9 ; elle fait du français la seule langue de la République10, et elle ne peut être invoquée pour demander la protection des langues autochtones11. La France fait un déni de droits concernant les minorités et concernant les langues autochtones12, car elle n’a aucunement renoncé à sa politique d’assimilation13, qui se poursuit par d’autres biais.
Notes :
- « Guyane : vers une commission vérité et réconciliation sur les pensionnats catholiques amérindiens ? », par Enzo Dubesset, La Croix, 11 avril 2025, 11 h 36.
- « “On est en train de se perdre” : des anciens pensionnaires des homes indiens au Sénat pour réclamer une commission vérité et réconciliation », par Julie Postollec et Albane Lussien, Outre-mer la 1ère, 14 avril 2025, 18 h 13.
- « « On nous a arraché notre culture pour nous imposer une autre. » – Éléonore Kadi Johannes », par Public Sénat, Facebook, 11 avril 2025, 18 h 00.
- « Suicides des jeunes Amérindiens en Guyane française : 37 propositions pour enrayer ces drames et créer les conditions d’un mieux-être », par Aline Archimbaud et Marie-Anne Chapdelaine, remis le 30 novembre 2015, Vie publique.
- « Suicides des jeunes Amérindiens en Guyane française – Comment enrayer ces drames et créer les condition d’un mieux être », actes du colloque du 30 novembre 2016 au palais du Luxembourg, par la société Ubiqus, Calameo.
- « Pour une Commission Vérité sur les homes indiens de Guyane », sur le site de l’Institut francophone pour la justice et la démocratie.
- « Constitution du 4 octobre 1958 – Article 1 », sur le site Légifrance.
- « Le droit des minorités linguistiques à la protection », par Yann-Vadezour ar Rouz, Justice pour nos langues !, 16 juin 2022, modifié le 29 novembre 2024.
- « Les droits des personnes appartenant à des minorités linguistiques », par Yann-Vadezour ar Rouz, Justice pour nos langues !, 3 juillet 2022, modifié le 30 novembre 2024.
- « Constitution du 4 octobre 1958 – Article 2 », sur le site Légifrance.
- « Le droit à la protection des langues autochtones », par Yann-Vadezour ar Rouz, Justice pour nos langues !, 29 juillet 2023, modifié le 27 décembre 2024.
- « Les droits de l’homme fondamentaux relatifs aux langues autochtones », par Yann-Vadezour ar Rouz, Justice pour nos langues !, 24 avril 2022, modifié le 16 avril 2024.
- « Le droit de ne pas subir d’assimilation forcée », par Yann-Vadezour ar Rouz, Justice pour nos langues !, 2 juin 2022, modifié le 16 juin 2022.