Des parents convoqués devant le juge à Angers
pour avoir prénommé leur fils Fañch
Les parents d’un petit Fañch se trouvent assignés à comparaitre devant le juge aux affaires familiales du tribunal judiciaire d’Angers. La raison invoquée réside dans le prénom qu’ils ont choisi de donner à leur fils, qui serait « contraire à l’intérêt de l’enfant » du fait du « ñ » qu’il contient. Si un véritable parcours du combattant est parfois imposé aux parents pour faire reconnaitre le prénom de leur enfant lorsqu’il comporte un tilde, ce nouveau motif a de quoi interroger.
Les textes de référence relatifs aux diacritiques dans les mentions des actes de l’état civil ne sont pas nombreux. Aussi, il est rapide d’en faire le tour. D’une part, une jurisprudence constitutionnelle de 2021 y rejette les signes diacritiques autres que ceux employés pour l’écriture de la langue française1. Et, d’autre part, une circulaire de 2014 va dans le même sens2, tout en étant plus explicite, car elle mentionne la liste des signes avec diacritique autorisés. Les « í », « ñ » et « ú », par exemple, en sont notamment absents.
Ces préceptes ont évidemment l’important défaut d’exclure nombre de noms et prénoms, y compris autochtones, et d’apparaitre ainsi discriminatoires à l’égard des personnes issues des territoires concernés. Mais, malgré cela, il peut leur être reconnu un avantage, même s’il ne permet évidemment pas de compenser, loin s’en faut : ils peuvent sembler clairs, à défaut d’être cohérents.
Cependant, l’absence de reconnaissance du « ñ » dans la circulaire de 2014 vient briser l’apparente harmonie. En effet, il existe une jurisprudence de 2018 reconnaissant sa présence dans la langue française3. Et cela permet aux noms comportant un « ñ », à la fois d’échapper à la jurisprudence constitutionnelle et de passer par-dessus la circulaire. Il en ressort que la présence du « ñ » dans les prénoms et les noms de famille est parfaitement légale.
Toutefois, des complications peuvent apparaitre pour qui veut faire valoir un tel prénom ou nom de famille, car la circulaire de 2014 amène parfois les mairies et les procureurs de la République à les engendrer. En effet, bien qu’elle soit sans valeur juridique et qu’elle soit contredite par la jurisprudence, cette circulaire est parfois invoquée pour faire obstruction au tilde. Mais, alors que certaines mairies ne font aucune difficulté pour enregistrer les noms et prénoms comportant un « ñ », que certains maires acceptent de le faire lorsque les arguments juridiques leur sont apportés et vont même parfois jusqu’à soutenir positivement les familles dans leur démarche4, d’autres s’y opposent fermement ou alertent le procureur de la République, ce qui permet à ce dernier d’assigner les demandeurs en justice.
C’est précisément ce qui est arrivé aux parents d’un petit Fañch ayant fait enregistrer leur enfant le 26 juillet 2023 à Angers. La mairie a alors envoyé au procureur de la République un courrier, daté du 2 août 2023 et réceptionné le 8 du même mois, dans lequel elle a signalé au procureur que le prénom Fañch avait été enregistré, qu’elle avait déclaré aux parents que le tilde « n’était pas un signe diacritique retenu par la langue française comme le rappelle la circulaire CIV/05/14 du 23 juillet 2014 », et que les parents avaient été avertis du risque de modification du prénom qu’ils avaient choisi pour leur enfant.
Il est à noter que la mairie n’ignorait pas l’existence de la jurisprudence contraire à la circulaire de 2014, puisque qu’elle a précisé dans sa lettre que « le 17 octobre 2019 la Cour de cassation avait validé le ñ sur ce même prénom ». Et elle a ajouté : « Cette décision n’a entrainé aucune modification de la réglementation », en référence à la circulaire du 23 juillet 2014. Ainsi, quelques soient les raisons pour lesquelles le maire n’a pas entendu en tirer lui-même les conclusions qui s’imposaient, il a renvoyé au procureur le soin de traiter la contradiction.
Les parents du petit Fañch ont ainsi reçu une assignation devant le juge aux affaire familiales datée du 4 janvier 2024, et ils devront se rendre au tribunal judiciaire d’Angers le 15 février 2024. Dans cette assignation, le procureur attend du juge qu’il déclare « contraire à l’intérêt de l’enfant nommé le prénom Fañch », qu’il ordonne « la suppression du prénom Fañch sur l’acte de naissance », qu’il « attribue à l’enfant un autre prénom avec l’accord des parents ou à défaut sans leur accord », qu’il ordonne « la transcription du jugement à intervenir en marge de l’acte de naissance » et qu’il « condamne les défendeurs ».
Si le procureur estime que le prénom Fañch est « contraire à l’intérêt de l’enfant », c’est parce que cela découlerait, selon lui, du fait que « le tilde sur le n du prénom Fañch n’est pas un signe diacritique reconnu par la langue française comme précisé par la circulaire CIV/05/14 du 23 juillet 2014 ». C’est là un nouveau raidissement de l’appareil judiciaire, car jamais le motif de l’intérêt de l’enfant n’avait encore été invoqué dans un tel contexte.
Quoi qu’il en soit, que la présence d’un diacritique dans le prénom choisi par les parents pour leur enfant puisse être considéré comme contraire à l’intérêt de l’enfant a de quoi surprendre, quand bien même ce diacritique ne serait reconnu ni par la langue française ni par la circulaire de 2014. En réalité, les arguments montrant combien le raisonnement du procureur est fragile et contestable sont nombreux.
- L’argumentation du procureur est partiale, ce dernier ne prenant pas en compte la jurisprudence d’une précédente affaire Fañch dont il a pourtant eu connaissance, cette dernière lui ayant été communiquée par la mairie d’Angers.
- Le prénom Fañch, étant à la fois connu, commun et apprécié sur une large partie du territoire, ne saurait être considéré comme contraire à l’intérêt de l’enfant, et la jurisprudence de 2018 le confirme : « En application de l’article 57 du code civil les prénoms de l’enfant sont donnés par ses père et mère sauf si le prénom n’est pas conforme à l’intérêt de l’enfant […], ce qui n’est pas le cas en l’espèce. »
- L’invocation de l’intérêt de l’enfant constitue un dévoiement de l’article 57 du code civil5, l’objet de la disposition concernée ne consistant pas à poser des contraintes orthographiques, mais à préserver l’enfant en s’assurant qu’il ne lui soit pas attribué un prénom pouvant lui porter préjudice, notamment dans le cas où ce prénom pourrait apparaitre comme ridicule ou grossier.
- Un récent témoignage paru dans la presse tend à montrer que c’est plutôt l’absence de respect du tilde du prénom qui serait contraire à l’intérêt de l’enfant, du fait des perturbations que l’absence de respect du prénom peut provoquer : « même si Ana c’est un prénom, ce n’est pas le mien, j’ai toujours eu l’impression qu’on m’appelait avec un prénom qui n’est pas le mien. » ; « Tous mes papiers étaient au nom de Ana, c’est moi sans être tout à fait mon identité, je ne pensais pas qu’à 28 ans je pourrais récupérer mon tilde, et j’en suis très heureuse. » ; « quand on faisait l’appel, je ne me reconnaissais pas, pour passer les examens, le bac… C’était au quotidien »6.
- La jurisprudence de 2018 s’oppose à l’invocation de l’article 57 du code civil contre la présence du « ñ » dans le prénom de l’enfant dans la mesure où il en résulterait des contraintes orthographiques différentes entre le prénom et le nom de famille, puisque ce dernier, n’étant pas concerné par cet article du code civil, pourrait alors, au contraire du prénom, contenir un « ñ » : « l’emploi du tilde sur un prénom, qui désigne le nom particulier donné à la naissance, qui s’associe au patronyme pour distinguer chaque individu, ne peut être traité différemment sous peine de générer une situation discriminatoire. »
- La circulaire de 2014 n’a pas le pouvoir de contraindre la langue française, car cette dernière ne saurait être fixée par voie règlementaire, et, exemples à l’appui, la jurisprudence de 2018 montre que le « ñ » existe bien en français, contrairement à ce qu’affirme la circulaire de 2014 : « Il apparaît toutefois que l’usage du tilde n’est pas inconnu de la langue française puisque le ñ figure à plusieurs reprises dans le dictionnaire de l’Académie française, dans le Petit Robert et dans le Larousse de la langue française qui comprennent les mots : Doña, cañon, señor et señorita. »
- Plusieurs noms et prénoms comportant un « ñ » ayant été acceptés, dont quelques cas ont d’ailleurs été relevés dans la jurisprudence de 2018 et dont d’autres ont été signalés plus récemment, notamment par voie de presse, leur refus apparait contraire au principe constitutionnel d’égalité.
- L’acceptation des prénoms ne saurait être tributaire de pratiques distinctes en fonction des mairies et des juridictions sans violer ce même principe constitutionnel d’égalité.
- La circulaire de 2014 n’ayant aucune valeur normative, elle ne saurait ni être invoquée comme argument juridique pour s’opposer à des prénoms comportant un « ñ », ni remettre en question la jurisprudence en la matière, et à plus forte raison lorsque cette dernière lui est postérieure, comme c’est le cas pour la jurisprudence de 2018.
- Le rejet du « ñ » n’ayant aucun fondement juridique, aucun texte ne contrevient à la légalité du « ñ » dans les prénoms que la jurisprudence de 2018 reconnait d’ailleurs explicitement, en notant que « c’est sans porter atteinte au principe de rédaction des actes publics en langue française ni à l’article 2 de la Constitution française que le prénom Fañch peut être orthographié avec un tilde sur le n. »
Aussi, il est étonnant que tant d’attention soit portée aux prénoms comportant un « ñ », et que ces prénoms mobilisent autant la justice. Quand, de plus, il est connu que le tilde est, à l’origine, un caractère français, et qu’il apparait maintes fois dans la célèbre ordonnance de Villers-Cotterêts, elle-même encensée dans la toute nouvelle Cité internationale de la langue française, cela pourrait porter à rire, si toutefois les obstacles auxquels se trouvent parfois confrontés les parents ayant choisi un prénom ainsi orthographié pour leur enfant n’étaient pas tant source d’incompréhension, ne généraient pas un tel sentiment d’injustice, et si les méthodes employées n’étaient pas aussi violentes et culpabilisantes pour ces derniers.
Pour toutes les raisons invoquées, il est à espérer que les parents du petit Fañch obtiendront gain de cause devant le juge. Mais cela ne suffira pas à régler le fond du problème : alors que le tilde est accepté pour certains, d’autres se le voient refuser et se trouvent alors contraints d’entrer dans une bataille judiciaire pour obtenir le respect du droit. Dans un pays qui se fait le chantre de l’égalité, cela fait tout de même un peu désordre. Pour éviter ce genre de déboires, il serait temps que le législateur se décide à autoriser définitivement le « ñ » dans les mentions des actes de l’état civil, à défaut de pouvoir autoriser, dans l’état actuel du droit constitutionnel, tous les diacritiques utilisés dans les langues autochtones. Mais cet incident met également en lumière l’urgence qu’il y a à réviser l’article 2 de la Constitution, afin que tous les prénoms autochtones puissent enfin être librement portés.
Notes :
- « Décision no 2021-818 DC du 21 mai 2021 – Loi relative à la protection patrimoniale des langues régionales et à leur promotion », sur le site du Conseil constitutionnel.
- « Circulaire du 23 juillet 2014 relative à l’état civil », Légifrance.
- « Cour d’appel de Rennes – Arrêt du 19 novembre 2018 », arrêt 559, Dalloz Actualité.
- « Tilde de Fañch : le maire de Lorient assume et maintient sa position », par Céline Le Strat, Le Télégramme, 14 septembre 2023, 18 h 53.
- « Code civil – Article 57 », Légifrance.
- « Ana s’appelle désormais Aña : 28 ans après, le tilde lui est accordé pour son prénom basque », par Iban Etxezaharreta, France Bleu, 21 décembre 2023, 13 h 42.