Justice pour nos langues !

Le cadre juridique régissant
l’enseignement immersif en langue autochtone exposé
par la chambre régionale des comptes de Bretagne

La chambre régionale des comptes de Bretagne vient de rendre public un rapport soulignant les fragilités juridiques de l’enseignement immersif en breton. Cet enseignement constituant le fondement de la pédagogie pratiquée par le réseau Diwan, le rapport attire l’attention sur la menace qui pèse sur ce réseau, et, plus généralement, sur l’enseignement immersif en langue autochtone. Le rapport n’est cependant pas exhaustif sur les questions juridiques.

La chambre régionale des comptes de Bretagne a réalisé un rapport sur Diwan, qui a rapidement été décrié. Le Monde a ainsi publié un article traitant du « très politique rapport de la chambre régionale des comptes sur l’enseignement du breton »1. La chambre régionale des comptes de Bretagne y semble mue par de bien curieuses préoccupations : « Son rapport questionne les soutiens politiques en faveur des identités locales dans tout le pays. » Et ce rapport, y apparait, au final, particulièrement orienté, car focalisant sur la déstabilisation potentielle de Diwan : « Les conclusions de l’enquête évacuent rapidement la réussite académique « satisfaisante » des élèves, la correcte gestion du budget annuel de 5 millions d’euros de l’association et les quelques ajustements statutaires recommandés… pour s’arrêter sur les « fragilités » de la structure. »

S’intéressant au « cadre normatif existant » s’appliquant à l’enseignement immersif2, le rapport de la chambre régionale des comptes de Bretagne « observe que la méthode pédagogique dite immersive sur laquelle repose l’enseignement tant du breton que des principales langues régionales métropolitaines présente un risque sérieux de remise en cause au regard des précisions apportées par le Conseil constitutionnel au cadre juridique en vigueur ». Mais le rapport ne fait pas le tour de la question. Aussi, quelques remarques peuvent être utiles afin de compléter le tableau.

Premièrement, l’enseignement par immersion a été mis en place en France métropolitaine avant la rédaction des textes actuels qui lui sont défavorables. C’est donc l’adoption de nouvelles dispositions qui est la cause des difficultés juridiques soulevées. Et c’est uniquement leur maintien qui se révèle être problématique.

Deuxièmement, si le Conseil constitutionnel a établi que « l’usage du français s’impose aux personnes morales de droit public et aux personnes de droit privé dans l’exercice d’une mission de service public »3, cela devrait s’appliquer aussi à l’enseignement supérieur et aux sections internationales. Or, certains cursus de l’enseignement supérieur public se déroulant intégralement en anglais4, les enseignants qui y dispensent des cours contreviennent nécessairement à ce principe constitutionnel. De même, les enseignants des sections internationales peuvent être recrutés et rémunérées par l’État ou par des associations agréées5, alors que, dans un cas, ils sont des personnes morales de droit public, et, dans l’autre, ils sont des personnes de droit privé exerçant une mission de service public.

Troisièmement, la jurisprudence constitutionnelle dispose que « l’usage d’une langue autre que le français ne peut être imposé aux élèves des établissements de l’enseignement public ni dans la vie de l’établissement, ni dans l’enseignement des disciplines autres que celles de la langue considérée »6. Or les sections internationales, de même que les cursus anglophones de l’enseignement supérieur public, dispensent des cours dans une langue autre que le français, y compris dans des disciplines autres que celles de la langue considérée7. De même, pour les sections binationales, il est prévu une « quotité horaire enseignée en langue étrangère »8. Ces enseignements sont donc anticonstitutionnels, et à plus d’un titre pour au moins les deux premiers.

Quatrièmement, non seulement l’enseignement immersif en langue autochtone est conforme aux normes du droit international, mais, à l’inverse, l’interdiction d’un tel enseignement peut aller à l’encontre de ces mêmes normes. Il s’agit là d’une conséquence de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (CIEDR)9, comme le montre la jurisprudence de la Cour internatinale de justice : « Les modifications structurelles concernant la disponibilité d’une langue d’enseignement dans les écoles peuvent emporter discrimination au sens de la CIEDR »10(a). Dans le cas de la Crimée, une mesure conservatoire a indiqué que « la Fédération de Russie doit, conformément aux obligations lui incombant au titre de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale », en précisant notamment : « Faire en sorte de rendre disponible un enseignement en langue ukrainienne »10(b). Et, selon l’arrêt de la cour, « la Fédération de Russie demeure dans l’obligation de veiller à ce que le système d’enseignement en langue ukrainienne tienne dûment compte des besoins et des attentes raisonnables des enfants et des parents d’origine ethnique ukrainienne »10(c).

Il se trouve que la France adhère à la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale11. Par conséquent, une mise en conformité du droit français avec les droits qui découlent de cette convention s’impose pour résoudre le conflit de normes qui existe concernant l’enseignement immersif en langue autochtone. Et il y a aussi là un souci de cohérence, étant donné que la France développe un enseignement immersif en français à l’étranger, en passant, au besoin, pour cela, par une convention bilatérale entre l’État concerné et la France. Pour ce qui est du fonctionnement, le réseau des établissements d’enseignement français à l’étranger est suivi et animé par l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger, établissement public national à caractère administratif placé sous la tutelle du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, et les établissements du réseau sont homologués par le ministère de l’Éducation nationale.

Au final, l’enseignement en langue autochtone, qu’il soit immersif ou bilingue, ne pourra bénéficier d’une existence sereine tant que le cadre normatif n’aura pas évolué. Et le législateur ayant rendu l’enseignement en langue autochtone contraire au droit interne, c’est à lui de résoudre le problème dont il est à l’origine, soit en modifiant l’article 2 de la Constitution, soit en prévoyant des accords avec les territoires concernés, comme cela a été mis en place pour la Nouvelle-Calédonie avec l’accord de Nouméa de 1998, et, dans un cas comme dans l’autre, en complétant l’article L. 312-10 du Code de l’éducation, qui ne prévoit actuellement pas la possibilité d’un enseignement immersif. Il est particulièrement urgent de mettre un terme aux effets indésirables de ces textes. L’obstruction à l’enseignement immersif en langue autochtone est, en effet, préjudiciable tant aux parents d’élèves qu’à leurs enfants, il constitue un obstacle à la transmission des langues autochtones, et il porte, de ce fait, atteinte au respect de la diversité linguistique.

Notes :

  1. « Écoles Diwan : le très politique rapport de la chambre régionale des comptes sur l’enseignement du breton », par Benjamin Keltz, Le Monde, 15 février 2024, 8 h 52, modifié à 12 h 18.
  2. « Rapport d’observations définitives et ses réponses. Association Diwan (Département du Finistère). Exercices 2019 et suivants », par la chambre des comptes de Bretagne, sur le site de la Cour des comptes. P. 11-14.
  3. « Décision no 2021-818 DC du 21 mai 2021 – Loi relative à la protection patrimoniale des langues régionales et à leur promotion », sur le site du Conseil constitutionnel. Alinéa 16.
  4. « Taught in english », sur le site de Campus France.
  5. « Loi no 2006-1771 du 30 décembre 2006 de finances rectificative pour 2006 – Article 165 », sur le site Légifrance.
  6. « Décision no 2001-456 DC du 27 décembre 2001 – Loi de finances pour 2002 », sur le site du Conseil constitutionnel. Considérant 49.
  7. « Code de l’éducation – Article D421-132 », sur le site Légifrance.
  8. « Code de l’éducation – Article D421-143-4 », sur le site Légifrance.
  9. « Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale », sur le site du Haut-commissariat des Nations unies aux droits de l’homme.
  10. Ukraine c. Fédération de Russie, arrêt de la Cour internationale de Justice du 31 janvier 2024, sur le site de la Cour internationale de justice. Renvois des différentes notes : a. § 357 p. 103 ; b. § 9 p. 12 ; c. § 373 p. 106.
  11. « Chapitre IV : Droits de l’homme. 2. Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale », sur le site Collection des traités des Nations unies.