Recommandations de 2008
suite à une mission en France
L’experte indépendante sur les questions relatives aux minorités, dans son rapport faisant suite à sa mission en France du 19 au 28 septembre 2007, a formulé une importante série de recommandations1. Ces dernières ont été publiées par les Nations unies le 3 mars 2008. Les quelques extraits qui suivent montrent que le contenu du document reste malheureusement toujours d’actualité.
Résumé
[…] L’État a l’obligation positive de créer des conditions favorables à l’exercice des droits des minorités. […] (Page 3.)
La France a historiquement rejeté les notions de droits des minorités et de reconnaissance des groupes minoritaires ou les droits collectifs comme étant incompatibles avec la Constitution et les principes de la République, qui accordent la priorité aux droits individuels, à l’égalité, à l’unité et à l’universalité. Cela a constitué un obstacle à l’adoption d’initiatives politiques qui, par définition, devraient tenir compte de la réalité de la discrimination à l’égard de groupes spécifiques de population dans la société française. Cela a également empêché d’envisager sérieusement de lancer des programmes de mesures spéciales ou de recueillir des données statistiques relatives à la situation socioéconomique des groupes de population, qui puissent être ventilées par origine ethnique ou par religion. L’experte indépendante recommande que de telles mesures gouvernementales, plutôt que d’être jugées contraires à la Constitution, soient considérées comme essentielles pour traduire véritablement dans les faits la devise «Liberté, Égalité, Fraternité». La reconnaissance de l’appartenance ethnique, de la religion et de l’héritage ne doit pas être vue comme une atteinte aux principes d’unité et d’égalité qui constituent les fondements de la société française. (Page 3.)
L’experte indépendante a également reçu des informations concernant la situation des Tziganes/voyageurs, de la communauté juive et de minorités linguistiques telles que les Bretons, les Basques, les Catalans et les Occitans. (Page 4.)
Introduction
Pour évaluer la situation des minorités en France, l’experte indépendante s’est fondée sur la Déclaration sur les minorités de 1992 et d’autres normes internationales pertinentes, et en a dégagé quatre grands sujets de préoccupation valables pour toutes les minorités à travers le monde, dont découlent les objectifs ci-après: a) protéger l’existence des minorités […]; b) protéger et promouvoir l’identité culturelle des groupes minoritaires et le droit des groupes nationaux, ethniques, religieux ou linguistiques d’affirmer leur identité collective et de refuser l’assimilation forcée; […] et d) garantir le droit des membres des minorités de participer effectivement à la vie publique, en particulier à la prise des décisions qui les concernent. […] (§ 6.)
Contexte juridique et politique (Section I.)
Reconnaissance des minorités en France (Section I. A.)
La France ne reconnaît pas les notions de droits des minorités et la reconnaissance officielle des groupes minoritaires ou les droits collectifs sont considérés comme étant incompatibles avec la Constitution et les principes de la République, qui donnent la priorité aux droits individuels, à l’égalité, à l’unité et à l’universalité. Dans le rapport que la France a présenté en 2007 au Comité des droits économiques, sociaux et culturels, le Gouvernement déclare ce qui suit: «La Constitution française définit la nation comme composée de personnes égales en droits: “La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion” (art. 2). La position de la France signifie que les minorités ne sont pas reconnues comme titulaires de droits collectifs mais cette position n’interdit pas qu’il y ait, dans l’espace public, des manifestations ou expressions différenciées.». (§ 7.)
Les gouvernements français successifs ont maintenu la position selon laquelle il ne doit pas y avoir de reconnaissance officielle des caractéristiques ethniques, religieuses ou culturelles des citoyens, en dépit des recommandations des organes antidiscrimination de l’Union européenne et des Nations Unies. La France a émis une réserve à l’article 27 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et à l’article 30 de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant, consacrés tous deux aux droits des minorités[note 2]. Elle n’a pas ratifié la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales du Conseil de l’Europe ni la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. En tant qu’État Membre de l’ONU, la France est tenue de respecter et d’appliquer les dispositions de la Déclaration sur les droits des personnes appartenant à des minorités nationales ou ethniques, religieuses et linguistiques, qui a été adoptée par consensus en 1992. (§ 8.)
Dans ses réserves à l’article 27 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et à l’article 30 de la Convention relative aux droits de l’enfant, la France déclare ce qui suit: «Le Gouvernement de la République déclare, compte tenu de l’article 2 de la Constitution de la République française, que l’article 27 (l’article 30 dans le cas de la Convention relative aux droits de l’enfant) n’a pas lieu de s’appliquer en ce qui concerne la République.». (Note 2.)
Identité, langue, culture et religion (Section II.)
Langue et droits culturels (Section II. B.)
Des représentants de nombreuses minorités linguistiques et culturelles dans différentes régions de France, notamment des Bretons, des Basques, des Catalans et des Occitans, de même que des intellectuels appartenant à ces minorités, se plaignent vivement de ce que leurs droits linguistiques et culturels ne sont pas pleinement respectés et défendus en France. Ils pensent que certaines langues régionales et d’autres éléments de leur identité et de leur patrimoine culturel risquent de disparaître à moyen ou long terme. Selon les représentants des communautés, depuis que la Constitution française a été modifiée en 1992 pour exprimer l’idée que le français est la langue de la République, les gouvernements ont pour politique de promouvoir le français au détriment des langues régionales. […] (§ 22.)
Des représentants de la communauté basque ont indiqué qu’en dépit du désir de la communauté de maintenir et de préserver la langue basque, il y a aujourd’hui 5 000 personnes de moins qu’il y a dix ans qui parlent cette langue et que celle-ci est sérieusement menacée en France par manque de statut officiel. Des représentants des communautés qui parlent le catalan et l’occitan affirment également que la non-reconnaissance ou l’absence de statut officiel aboutit à une diminution constante du nombre de personnes qui parlent le basque, le catalan ou l’occitan, tant en pourcentage qu’en chiffres absolus, à tel point que malgré les recommandations des organes antidiscrimination de l’Union européenne et de l’ONU, ces langues en danger ne sont plus utilisées que dans la sphère privée, ce qui a des incidences à la fois linguistiques et culturelles. (§ 23.)
Des représentants de la communauté bretonne ont indiqué à l’experte indépendante que les subventions accordées aux écoles pour l’enseignement de et dans la langue bretonne avaient été supprimées. Il existe des écoles indépendantes d’immersion en langue bretonne (les Diwan), mais elles ne font pas partie du système éducatif public, car le Conseil constitutionnel français s’y est opposé au motif que la langue de la République est le français et qu’aucune autre langue ne peut servir de véhicule à l’enseignement dispensé dans les écoles de l’État. Les représentants de cette communauté constatent que le nombre de personnes parlant le breton est passé de 1,3 million en 1900 à 200 000 aujourd’hui. (§ 24.)
Selon le Gouvernement[note 7]: «Dans le système éducatif, les langues régionales et minoritaires font l’objet d’un enseignement à option et de concours de recrutement spécifiques d’enseignants du premier et du second degré. C’est le cas notamment pour le basque, le breton, le catalan, le corse et l’occitan en métropole et le créole, le tahitien et les langues mélanésiennes d’outre-mer.». Le Gouvernement souligne que «des musées et des centres culturels dédiés aux cultures régionales ont été créés; des festivals axés sur la valorisation de ces patrimoines sont soutenus par les Ministères de la culture et de la communication, outre les collectivités locales. Le Conseil et la Mission du patrimoine ethnologique établis dès 1980 sous la tutelle du Ministère de la culture sont chargés d’assurer la conservation des éléments fondateurs de l’identité des cultures locales et de contribuer à la coordination de la politique de recherche ethnologique sur l’ensemble du territoire métropolitain et d’outre-mer.». (§ 25.)
Troisième rapport périodique de la France au Comité des droits économiques, sociaux et culturels, E/C.12/FRA/3, 15 mars 2007. (Note 7.)
L’experte indépendante considère que ces questions relèvent directement de la Déclaration sur les droits des minorités de 1992. La Déclaration met grandement l’accent sur la préservation de l’identité linguistique, religieuse et culturelle, même dans les cas où les minorités linguistiques sont relativement bien intégrées dans les domaines économique, social et politique[note 8]. L’État a l’obligation positive de créer des conditions favorables à cet égard. Les informations reçues donnent à penser que les politiques et les pratiques en France doivent être réexaminées en consultation avec les communautés concernées, en vue de mettre au point une démarche et une politique cohérentes. (§ 26.)
L’article premier dispose ce qui suit: «Les États protègent l’existence et l’identité nationale ou ethnique, culturelle, religieuse ou linguistique des minorités sur leurs territoires respectifs et favorisent l’instauration des conditions propres à promouvoir cette identité. Les États adoptent les mesures législatives ou autres qui sont nécessaires pour parvenir à ces fins.». (Note 8.)
Participation des minorités à la vie politique (Section IV.)
Le paragraphe 3 de l’article 2 de la Déclaration de 1992 sur les droits des personnes appartenant à des minorités dispose: «Les personnes appartenant à des minorités ont le droit de prendre une part effective, au niveau national et, le cas échéant, au niveau régional, aux décisions qui concernent la minorité à laquelle elles appartiennent ou les régions dans lesquelles elles vivent, selon des modalités qui ne soient pas incompatibles avec la législation nationale.». Cette disposition doit être lue conjointement avec les droits énoncés aux articles 2.1 et 25 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. (§ 71.)
Les intérêts légitimes des minorités ne sont pas pleinement pris en compte dans les institutions politiques, qui ne reflètent pas la diversité de la société française. Les débats parlementaires sur les questions fondamentales intéressant les minorités […] sont menés sans la participation de représentants des minorités […]. (§ 73.)
Conclusions et recommandations de l’experte indépendante (Section V.)
Reconnaissance de la réalité
Le Gouvernement français devrait: 1) reconnaître l’existence de minorités nationales ou ethniques, religieuses et linguistiques sur le territoire français et retirer sa réserve à l’article 27 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, concernant les droits des personnes appartenant à des minorités, et à l’article 30 de la Convention relative aux droits de l’enfant; 2) ratifier les instruments européens relatifs aux droits de l’homme concernant les droits des minorités, notamment le Protocole no 12 à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et la Convention-cadre du Conseil de l’Europe pour la protection des minorités nationales. (§ 77.)
Garanties en faveur de la non-discrimination et de l’égalité
La collecte de données socioéconomiques ventilées selon des critères tels que l’appartenance ethnique et la religion mais aussi le sexe apparaît comme un outil indispensable pour obtenir un tableau complet des problèmes sociaux auxquels sont confrontées les personnes appartenant aux différents groupes ethniques ou religieux minoritaires. […] (§ 82.)
Promotion des droits linguistiques, religieux et culturels
L’experte indépendante appuie les appels lancés à la France pour qu’elle ratifie la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, qui donne à tous les États européens des orientations précieuses quant à la manière de traiter les questions linguistiques et de préserver et promouvoir le riche héritage culturel et linguistique de chaque État. Le Gouvernement français devrait favoriser l’enseignement en langue régionale ou minoritaire dans les premières années du primaire, pour les élèves qui le souhaitent. (§ 93.)
Participation accrue à la vie politique
Le Gouvernement français devrait créer des organes consultatifs composés de personnes issues de minorités afin que ces dernières puissent participer pleinement à toutes les décisions les concernant et à l’élaboration, la mise en œuvre et l’évaluation des politiques et programmes portant sur les questions relatives aux minorités ou ayant un impact sur leur situation. (§ 96.)
Note :
- Promotion et protection de tous les droits de l’homme, civils, politiques, économiques, sociaux et culturels, y compris le droit au développement – Rapport de l’experte indépendante sur les questions relatives aux minorités – Additif – Mission en France – (19-28 septembre 2007) (Nations unies, 3 mars 2008).