Justice pour nos langues !

Une nouvelle audience sans contradictoire
dans le cadre de la 2e affaire en cours de Gorka Torre

Poursuivi pour sa participation à deux actions pour la langue basque, Gorka Torre était convoqué au tribunal de Baiona (Bayonne) le 10 septembre 2024. N’ayant pas été autorisé à s’exprimer en basque, il a quitté l’audience, comme il l’avait fait dans une autre affaire encore en cours. Ce nouvel épisode montre combien la justice française reste toujours hermétique aux droits linguistiques.


Gorka Torre a comparu aussi pour sa participation
au transport des panneaux de signalétique en français
près du pont Bizkaia, le 23 février 2023.

Le 23 février 2023, des membres du collectif Herribiltza ont démonté des panneaux de signalétique routière en français, car, selon leurs termes, ces derniers « tuent la langue basque car ils la traitent comme langue de second niveau ». Ils les ont déposés à proximité du Pont Bizkaia à Getxo, choisi symboliquement, car il est reconnu patrimoine culturel commun de l’humanité par l’Unesco, et l’Unesco alerte depuis des années sur la disparition des langues.

Plus d’un an après, le 17 mai 2024, des membres du collectif Herribiltza ont inscrit sur la façade de la sous-préfecture de Baiona “Geldi euskara zapatzea” (Arrêtez d’opprimer la langue basque), message destiné « aux dirigeants de l’État français »1. La réponse ne s’est pas fait attendre, puisque, le jour même, la police est intervenue et a arrêté près de la mairie l’un des militants linguistiques, Gorka Torre.

Le lendemain le sous-préfet a déposé plainte au commissariat. Et, par la suite, Gorka Torre a été convoqué à comparaitre le 10 septembre 2024 au tribunal de Baiona pour sa participation aux deux actions évoquées. N’ayant auparavant pas été autorisé à se défendre en basque à une audience relevant d’une autre affaire pour laquelle il a fait appel, il a, cette fois, envoyé un courrier aux juges de Baiona, daté du 27 aout 2024, pour leur signaler son intention de se défendre en basque et leur demander de lui laisser la possibilité de le faire2.


Rassemblement devant le tribunal de Baiona
le jour de l’audience, le 10 septembre 2024.

Cependant, aucune réponse ne lui étant parvenue avant le procès, Gorka Torre a alors décidé de se présenter sans avocat. Mais l’échange n’a pas été particulièrement amène.

Gorka Torre s’est tout d’abord inquiété de savoir si la juge avait reçu sa lettre. La juge a répondu par la négative, ce qui a valu à la greffière de réagir en faisant savoir que la lettre était bien contenue dans le dossier que la juge avait entre les mains. La juge a alors précisé qu’elle ne l’avait pas lue.

Après s’être interrogée sur les raisons de la demande de Gorka Torre de s’exprimer en basque, la présidente a manifesté qu’elle n’en voyait pas l’utilité : « Cela ne préjudicie pas [à] vos droits »3. Le procureur a abondé en son sens, se prononçant contre l’accès à la demande du mis en cause. Puis, afin d’éviter qu’une réelle discussion sur le sujet ne s’installe, la juge a asséné « qu’il n’est fait droit à interprète que lorsque la personne ne peut s’exprimer en français »4. Mais cette fin de non-recevoir a surtout révélé qu’il n’y avait pas de compréhension possible, puisque c’est précisément cette pratique que Gorka Torre avait entrepris de contester. Il a alors demandé à ce qu’on lui montre quelle loi lui interdisait de s’exprimer en basque. Mais, à défaut de loi, la juge lui a servi une injonction : « Soit vous vous exprimez en français, soit vous gardez le silence »3. Et, comme lors de sa précédente audience, il a quitté les lieux, renonçant ainsi à se défendre.

Pourtant, la légitimité de la demande de Gorka Torre était fondée à plus d’un titre.

Ces arguments, qui auraient pu être invoqués, mais qui n’ont manifestement pas eu l’occasion d’être soulevés, relèvent ainsi de la philosophie, de l’éthique, des principes généraux du droit, du droit français, notamment constitutionnel, et des droits promus par l’Unesco. La demande de Gorka Torre apparait donc raisonnable et fondée en droit. Aussi, le refus qui lui a été opposé de s’exprimer en basque lors de l’audience a, en réalité, préjudicié à des droits, contrairement à ce qu’a affirmé la présidente.

Parmi les demandes effectuées, 1 268 € ont été requis pour le remplacement et la pose des panneaux4, car ces derniers auraient été endommagés3. Les photos des panneaux qui ont été prises près du pont ne permettent pourtant pas de mettre en évidence les éventuelles dégradations qui auraient été commises. Et, au demeurant, il serait bien difficile d’affirmer, si elles étaient avérées, que le mis en cause en serait l’auteur.

Enfin, la justice ne s’est pas sortie grandie de cette audience. Alors que le contradictoire est fondamental pour toute procédure judiciaire, et que sa violation est cause de nullité11, la justice française, en cette première moitié de 21e siècle, persiste à aller à l’encontre de ce principe plutôt que de laisser un mis en cause s’exprimer en langue autochtone. Selon un ancien rapporteur spécial des Nations unies sur les questions relatives aux minorités, Fernand de Varennes, s’exprimant dans un entretien publié le jour même du procès, la France « mérite 2 sur 10 » en matière de droits linguistiques12. Une chose est sûre : elle ne mérite pas plus.

Notes :

  1. « Multiplication des inscriptions en basque et nouvelle convocation en justice pour Gorka Torre », par Yann-Vadezour ar Rouz, Justice pour nos langues !, 25 mai 2024.
  2. « Lettre aux juges de Baiona : “Justice pour la langue basque !” », par Gorka Roca Torre, Justice pour nos langues !, 29 aout 2024.
  3. « Sorti prématurément de son procès, Gorka Torre a été condamné à verser plus de 2 700 euros », par Iker Lagrenade, Mediabask, 10 septembre 2024, 17 h 40.
  4. « « Je vous prie de vous exprimer en français » : Gorka Torre privé de basque et condamné par le tribunal de Bayonne », par Yoann Boffo, Sud Ouest, 10 septembre 2024 à 19 h 56.
  5. « Quels sont les droits de la défense ? », par Maitre Zubaroglu, Alexia.fr, 5 octobre 2022 à 14 h 35.
  6. « Décision no 94-359 DC du 19 janvier 1995 – Loi relative à la diversité de l’habitat », sur le site du Conseil constitutionnel. Considérant 6.
  7. « Conseil d’État, Assemblée, du 27 octobre 1995, 136727, publié au recueil Lebon », sur le site Légifrance.
  8. « Décision no 2005-532 DC du 19 janvier 2006 – Loi relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers », sur le site du Conseil constitutionnel. Considérant 9.
  9. Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, sur le site Légifrance.
  10. Déclaration universelle des droits linguistiques, sur le site du Pen català.
  11. « Un jugement sans interprète et sans réelle défense pour un militant du basque », par Yann-Vadezour ar Rouz, Justice pour nos langues !, 30 mars 2024, modifié le 5 avril 2024.
  12. « Langues régionales : “En matière de droits linguistiques, la France mérite 2 sur 10” », par Michel Feltin-Palas, L’Express, 10 septembre 2024, 6 h 53.