Justice pour nos langues !

Lettre aux membres du conseil municipal de Gwimaeg
et de la commission locale chargée de l’établissement
des nouvelles adresses à Gwimaeg

Le 10 septembre 2024.

Objet : Sauvegarde des noms de lieux en breton.

Mesdames et messieurs les membres du conseil municipal de Guimaëc
et de la commission locale chargée de l’établissement de nouvelles adresses à Guimaëc,

Suite à la nouvelle législation contraignant les communes à modifier nombre d’adresses de lieux situés sur leurs territoires, connue sous le nom de « loi 3DS », votre conseil municipal a créé une commission locale pour établir de nouvelles adresses. Ainsi que cela apparait dans votre bulletin municipal du mois de juillet, cette commission reconnait que « les noms de lieux font partie du patrimoine, de la géographie et de l’histoire de la commune » et en tire une conclusion selon laquelle « il convient donc d’en conserver un maximum dans l’usage ». Je tiens, tout d’abord, à vous féliciter de cette reconnaissance.

Cependant, le même texte indique que les noms de lieux « seront conservés en breton, langue dans laquelle ils ont été créés, sauf s’ils sont attestés en français dans l’usage. » Cela signifie, par conséquent, que les noms de lieux en breton seront francisés dès lors qu’il existe un usage en français les concernant, et ce en dépit du nom breton préexistant. Or cela constitue une atteinte à la fois au patrimoine et à l’histoire de la commune, et entre, par là même, doublement en contradiction avec les principes mentionnés plus hauts définis par votre commission.

Aussi, je vous invite à approfondir la réflexion que vous avez entamée. Je souhaite, pour cela, porter à votre connaissance quelques documents de référence en la matière. J’attire notamment votre attention sur les points qui suivent.

– Dans le rapport de 1974 de la Deuxième Conférence des Nations unies sur la normalisation des noms géographiques de mai 1972, le Département des affaires économiques et sociales des Nations unies indique, à la résolution 36, que « La Conférence […] Recommande que, si possible, les pays […]
a) Adoptent une orthographe commune pour écrire tous les noms géographiques de la langue minoritaire ;
b) Appliquent cette orthographe pour normaliser les noms de lieux situés sur leur territoire qui viennent de la langue minoritaire ;
c) Publient les noms normalisés dans leurs cartes officielles et dans leurs répertoires nationaux et toponymes. »

– L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, considérant, notamment, « qu’il est très important pour le progrès de l’Europe et de l’idée européenne d’assurer le respect et le développement équilibré de toutes les cultures européennes, et tout spécialement des identités linguistiques », et « que le traitement scientifique, humain et culturel de chaque langue doit être envisagé à partir [de] principes » incluant le « respect de l’authenticité scientifique » et le « droit des communautés humaines au développement de leur langue et leur culture propres », s’est prononcé, dans la Recommandation 928 du 7 octobre 1981, en faveur de la mesure suivante : « Au niveau scientifique, l’adoption progressive, le cas échéant conjointement avec la dénomination devenue usuelle, des formes correctes de la toponymie, à partir des langages originels de chaque territoire, si petit soit-il ».

– La Déclaration universelle des droits linguistiques, signée en 1996 par l’Unesco, énonce, à l’article 31 : « Toute communauté linguistique a le droit de préserver et d’utiliser dans tous les domaines et en toute occasion son système onomastique. » Et elle ajoute, à l’article 33 : « Toute communauté linguistique a le droit d’établir, de préserver et de réviser la toponymie autochtone. Celle-ci ne peut être ni supprimée, altérée ou adaptée arbitrairement, ni remplacée en cas de changement de conjoncture politique ou autre. »

– La Résolution de la Conférence territoriale de la langue bretonne, composée du Conseil régional de Bretagne, des Conseils départementaux du Finistère, des Côtes-d’Armor, du Morbihan et d’Ille-et-Vilaine, des EPCI de plus de 30 000 habitants, des autres intercommunalités et des communes de la région, représentés dans 4 collèges distincts, du Conseil économique, social et environnemental régional, du Conseil culturel de Bretagne et de l’Office public de la langue bretonne, qui a été émise le 17 octobre 2019, traite des bonnes pratiques en matière de toponymie : « La Conférence territoriale […] recommande, en s’appuyant sur l’expertise de l’Office public de la langue bretonne :
• de conserver, préserver et mettre en valeur le patrimoine toponymique existant ;
• de s’efforcer d’utiliser la langue bretonne et les éléments historiques locaux pour procéder au choix des nouvelles appellations. »
Et elle va plus loin : « S’agissant de la toponymie nouvelle (artères, voies, zones, quartiers, équipements, communes nouvelles, communautés…), la Conférence territoriale […] souligne l’intérêt d’utiliser à la fois la langue bretonne et les éléments culturels et historiques locaux ou régionaux pour créer les toponymes qui seront les futurs marqueurs du cadre de vie des habitants et de l’identité de chaque territoire. Il s’agit ainsi d’une part d’éviter de participer à un mouvement de banalisation de plus en plus rejeté par la population, et d’autre de part de profiter des nouvelles appellations pour renforcer le sens et l’adhésion collectives aux territoires. »

– L’Unesco a récemment souligné, dans un courrier du 3 juillet 2024, que, le 4 juin 2024, lors de la réunion du Bureau de la dix-neuvième session du Comité intergouvernemental de sauvegarde du patrimoine culturel immatériel, ce dernier, suite à l’examen d’une demande concernant la sauvegarde de la toponymie en langue bretonne, a encouragé la France « à travailler avec les communautés concernées pour assurer la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel dans la région concernée ».

– Le Guide d’accompagnement à la dénomination et à la numérotation des voies du Pays de Brest, qui constitue un guide pratique complet et parfaitement valable pour toutes les communes de Basse-Bretagne, aborde, aux pages 15 et 20 à 22, la question du respect de la toponymie existante de langue bretonne, y compris lors de la création de noms de voies. Il est disponible à l’adresse suivante :
https://geo.brest-metropole.fr/portal/apps/sites/#/geopaysdebrest/documents/7ae9c8276f0e48dbb1485517e2d79f19/explore

– L’Office public de la langue bretonne met aussi à disposition nombre d’informations précises et pertinentes sur le sujet. Elles peuvent être consultées en suivant ce lien :
https://www.fr.brezhoneg.bzh/7-noms-de-lieux.htm

Soucieux de la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel que constituent les noms de lieux autant que de la préservation de la langue bretonne, qui fait, elle aussi, partie de ce patrimoine culturel immatériel, et reconnue comme appartenant au patrimoine de la France à l’article 75-1 de la Constitution, j’en appelle à votre sens des responsabilités pour réajuster vos préceptes. Vous comprendrez, je pense, l’importance que revêt la conservation les noms de lieux en breton dans leur langue d’origine en tant que noms principaux, aussi bien dans les registres et bases de données officielles, nationales et locales, que dans l’affichage, conformément aux droits promus par l’Unesco, aux recommandations régionales, européennes et internationales et à l’ensemble des principes précités.

Enfin, il n’y aurait aucune raison de précipiter une action qui pourrait s’avérer préjudiciable à notre patrimoine toponymique et linguistique. Aucune sanction n’est, à ce jour, prévue pour les communes qui prendraient le temps qui leur est nécessaire pour mener au mieux cette lourde tâche. La sollicitation de l’Office public de la langue bretonne pour assister votre commission dans son difficile travail, reste donc une option qui s’offre à vous, d’autant plus que ce dernier, selon les termes employés dans votre bulletin municipal, « est incontestablement compétent en la matière ».

Confiant dans votre capacité à mener à bien votre mission en vous tournant vers des solutions à la hauteur des enjeux, et dans l’attente d’un retour de votre part, veuillez recevoir, mesdames et messieurs, mes sincères salutations.

Yann-Vadezour ar Rouz