Justice pour nos langues !

Les conséquences de la dissolution de l’Assemblée nationale
pour les langues autochtones, les droits humains
et les libertés fondamentales

La dissolution de l’Assemblée nationale, annoncée le 9 juin 2024 par Emmanuel Macron, était particulièrement inattendue. Elle a pris de court les différents partis, qui essaient tant bien que mal de s’organiser dans l’urgence, avec, en toile de fond, une extrême droite qui ne cesse de gagner du terrain. Bien qu’elle apparaisse pour beaucoup comme une erreur politique, elle ne doit rien au hasard, mais elle fait surtout planer un grand danger sur les langues autochtones et, plus généralement, sur les droits et libertés.

Si le cynisme est courant en politique, une chose est certaine : aussi douteuse qu’elle soit, la décision d’Emmanuel Macron n’est pas irréfléchie. Il l’a présentée comme une prise en compte de la volonté des Français. Toutefois, cela apparait bien peu convaincant, étant donné qu’il ne les a jamais véritablement écoutés jusque-là. En réalité, la dissolution qu’il a prononcée ne peut être comprise sans prendre en considération la politique qu’il a menée au cours de ses deux mandats à la présidence de la République. Et les trois mots qui résumeraient le mieux son action à la tête de l’État jusqu’à présent vont même clairement à l’encontre d’une telle hypothèse : autoritaire, liberticide et répressive.

Emmanuel Macron a pris sa décision en toute connaissance de cause. Mais pour comprendre ses motivations, il convient d’examiner les trois scénarios envisageables au moment où il a effectué son annonce.

Tout d’abord, il espérait une grande alliance autour de son parti pour faire barrage à l’extrême droite. Si cela s’était produit et que la coalition avait obtenu une majorité, il aurait eu les coudées franches. Aucun changement n’aurait alors été à attendre, ni sur sa politique, ni sur la manière de gouverner. Malheureusement pour lui, sa tentative de fédérer les forces politiques autour de son parti s’est soldée par un échec.

Ensuite, l’éventualité de voir le Rassemblement national arriver en tête ne pouvait certainement pas être écarté. Mais la politique d’Emmanuel Macron étant assez analogue avec celle de l’extrême droite, il se pourrait bien qu’il compte sur ce parti, autoritaire, liberticide et répressif lui aussi, pour prendre le relai en cas de victoire de celui-là. Et pour répondre aux critiques, il aurait alors deux arguments, consistant, d’une part, à expliquer que la nouvelle configuration politique n’est que la conséquence directe de la volonté populaire exprimée par la voie des urnes, et, d’autre part, à présenter le Rassemblement national comme responsable des mesures les plus contestables pour s’en dédouaner.

Enfin, il ne pouvait pas non plus être exclu que l’ensemble des autres partis d’opposition obtiennent malgré tout une majorité. La configuration serait alors similaire à la situation précédente. Il n’aurait donc rien perdu. Il aurait seulement montré qu’il dispose d’une réelle capacité de nuisance, et qu’il est prêt à tout dès lors que son bon plaisir est contrarié. Il pourrait alors espérer que cela conduise à davantage de soumission.

Quant aux implications concernant les langues autochtones, étant donné l’hostilité notoire que leur vouent Emmanuel Macron et le Rassemblement national, en dehors du dernier scénario, leur avenir apparait bien sombre. La récente conférence de presse du 12 juin 2024 montre d’ailleurs qu’Emmanuel Macron fait clairement le jeu de l’extrême droite en mettant en avant ses thématiques sécuritaires de prédilection et la cautionne en reprenant sa rhétorique : « l’inquiétude existentielle, le sentiment de dépossession », le « sentiment qui existe d’impunité », « réduire l’immigration illégale », « la violence des mineurs », « agir pour plus de fermeté, plus d’autorité », etc.1 Sachant que l’éventualité d’une majorité de députés d’extrême droite au pouvoir pouvait déjà difficilement être exclue, cela laisse présager le pire.

Une telle issue aurait de fortes chances de mener à une mise en application stricte de la censure du Conseil constitutionnel de l’enseignement immersif en langue autochtone, et même d’aller au-delà. L’exclusion pure et simple des langues autochtones de l’enseignement scolaire serait, en effet, à craindre, puisque, l’ex-présidente du groupe Rassemblement national à l’Assemblée nationale, Marine Le Pen, qui assène avec force que « la langue de la République c’est le français », présentant ainsi comme indiscutable la célèbre disposition ajoutée en 1992 à l’article 2 de la Constitution, en déduit abusivement que leur apprentissage n’y a pas sa place : « Pas à l’école, qui doit se concentrer sur l’enseignement des savoirs fondamentaux. »2

Mais le Rassemblement national prépare une restriction de droits pour les langues autochtones bien plus sévère encore, et qui dépasse largement le cadre de l’instruction. Il entend, dans cet esprit, durcir l’article 2 de la Constitution, qui n’a donc rien d’immuable, en y inscrivant que le français « est la langue de l’enseignement, du travail, des échanges et des services publics », ce qui revient quasiment à interdire les langues autochtones, y compris sur leurs propres aires linguistiques.

Pour couronner le tout, les éventuels recours européens en faveur de l’enseignement immersif ou de l’usage des langues autochtones dans le travail ou les échanges risqueraient d’être rendus inopérants. Le Rassemblement national considère, en effet, « indispensable de faire en sorte que la Constitution française prévale sur le droit international », et envisage d’introduire à l’article 1er de la Constitution de nouvelles dispositions qui modifieraient la hiérarchie des normes juridiques pour ce faire.

Avec une telle révision constitutionnelle, les normes européennes ne protégeraient plus contre les atteintes aux droits humains et aux libertés fondamentales qui résulteraient de l’application de dispositions constitutionnalisées, alors que les juridictions européennes sont actuellement les seules à disposer d’un pouvoir de coercition pour garantir le respect des droits et libertés du citoyen dans le cas où de telles violations sont avérées. Et, au vu de l’hostilité aux droits de l’homme régulièrement exprimée par le Rassemblement national, au sein duquel il est notamment fait usage du terme « droit-de-l’hommiste », et invariablement dans un sens péjoratif, les inquiétudes concernant les droits et libertés apparaissent particulièrement légitimes.

En clair, par le projet de loi qu’il voudrait faire adopter en cas d’arrivée au pouvoir, le Rassemblement national prévoit de créer les conditions pour permettre à l’État et à ses services de bafouer les droits de l’homme en toute impunité. Les élections législatives qui se tiendront le 30 juin et le 7 juillet 2024 permettront d’en savoir plus sur ce que l’avenir réserve. Mais quels que soient les résultats, la situation présente montre que les mobilisations seront plus nécessaires que jamais.

Notes :

  1. « Conférence d’Emmanuel Macron : « Nous devons continuer à agir pour plus de fermeté, plus d’autorité » », Le Figaro, 12 juin 2024, 11 h 56, mis à jour à 19 h 25.
  2. « Entretien exclusif. Marine Le Pen : « Je veux défendre le patriotisme économique » », par Alexandra Turcat, Patrice Moyon, Yves-Marie Robin et Stéphane Vernay, Ouest-France, 22 avril 2022, 6 h 30.